Hortefeux ne manque pas d’air. S’il se dit surpris de voir certaines cylindrées qui trainent des caravanes, l’ancien conseiller de Sarkozy à Neuilly a bénéficié d’une Safrane généreusement attribuée.
Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux a jugé la semaine dernière, lors de la présentation des nouvelles mesures sécuritaires visant les « Roms et gens du voyage », que « beaucoup de nos compatriotes sont à juste titre surpris en observant la cylindrée de certains véhicules qui traînent les caravanes ». « Beaucoup de nos compatriotes » seront peut-être aussi surpris d’apprendre comment en 1995 le ministre s’est payé, à un tarif défiant toute concurrence, une grosse cylindrée, une Renault Safrane idéale pour tirer une caravane.
C’était au temps béni où le conflit d’intérêts ou l’abus de bien social (ouh, les vilains mots) ne dérangeaient pas grand-monde dans les Hauts-de-Seine, dirigés par Charles Pasqua. Nicolas Sarkozy, maire de Neuilly, était assisté par deux conseillers officieux et prometteurs, Brice Hortefeux et Thierry Gaubert. Le premier a depuis fait carrière en politique, le second est resté dans l’ombre, plombé par des déboires judiciaires.
Dans les années 1980, Thierry Gaubert, nanti d’un solide carnet d’adresses, prend un associé, Philippe Smadja, pour faire, sur le papier, du logement social via le 1% patronal (une contribution des entreprises pour l’habitat social des salariés, collectée par les CIL, les Comités interprofessionnels du logement, des associations spécialement agréées). Il crée une structure pour ramasser l’argent, le CIL Habitation française. Autour duquel va se greffer, au fil des années, un nombre conséquent d’associations et de petites sociétés dirigées par les deux associés, entre lesquelles les transferts de fonds se feront de manière… détendue.
Un rapport de l’Inspection générale des Finances (IGF), que Bakchich s’est procuré, passe à la loupe une dizaine d’opérations immobilières au Sarkostan et pointe des prêts ou donations litigieux (du CIL à des sociétés où siègent Smadja et Gaubert, mais aussi à des proches, des hommes politiques) et des dépenses non justifiées (voyages, fleurs, voitures haut de gamme, PV, restaurants, « cadeaux » à des fonctionnaires et avocats…). Un train de vie « non dénué d’aspects somptuaires », en tremble la vénérable IGF.
Lorsqu’en 1993, la droite remporte les législatives et revient au pouvoir, Sarko devient ministre du Budget, puis cumule le ministère de la Communication qu’Alain Carignon doit lâcher après sa mise en examen — où Gaubert devient son directeur adjoint de cabinet. Ainsi introduit, l’ami Thierry change de braquet et va tendre sa sébile dans différents ministères du gouvernement Balladur, pour les faire cracher au bassinet au nom de la construction de HLM. Et l’enthousiasme est là : 23 millions d’euros en quatre ans. Seul problème, la loi interdit aux ministères de cotiser au 1% logement. Ce que n’a pas manqué de relever l’IGF. Mais que Sarkozy n’a apparemment pas vu passer au ministère du Budget.
Les inspecteurs des Finances se sont au passage intéressés à l’achat d’une berline haut de gamme par une des associations de Gaubert. Une jolie Safrane avec options, payée 300.000 francs en 1993, revendue deux ans et demi plus tard pour 116.800 francs à Brice Hortefeux. L’IGF estime la « perte nette comptable » pour l’association à « près de 17.000 francs ». Mais elle se base prudemment sur une baisse annuelle à l’argus de 25% de la valeur de la voiture. Sur une hypothèse plus réaliste de 10% de dévaluation annuelle, le trou dépasse les 100.000 francs. Une seconde Safrane sera vendue par l’association à un proche, pour « une perte nette comptable de près de 120.000 francs », selon l’estimation de l’IGF.
L’acheteur de la première Safrane est aujourd’hui ministre, et le vendeur, Thierry Gaubert, devrait passer en correctionnelle début octobre au tribunal de Nanterre. Il est poursuivi avec son associé pour, entre autres, « abus de biens sociaux, abus de confiance, prise illégale d’intérêt, escroquerie, faux et recel ». Il aurait dû choisir la politique. On y est moins embêté.