Aujourd’hui, une grande institution européenne souffle ses cinquante bougies, et dans la chaude ambiance de la fête d’anniversaire, « Bakchich » se penche pour regarder un peu ce qui se passe sous les jupes de la vieille dame ! Disons-le franchement, les dessous chics de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) ne sont pas à la hauteur de sa réputation…
La BEI, dont les 27 Etats européens sont actionnaires, n’est pas peu fière de son bilan. Eh oui, nos grands banquiers européens investissent pour améliorer le sort des hommes. Depuis 1958, la BEI prête des milliards d’euros aux entreprises de la planète qui œuvrent à la prospérité de la vieille Europe en construisant des ponts, des barrages, des centrales nucléaires, des routes ou des usines. Cadeau : chaque année, ce sont 45 milliards d’euros qui sortent de notre belle banque pour financer des projets sur notre continent, mais la BEI donne aussi des milliards à des projets hors d’Europe, dans la louable intention d’aider les pays pauvres à se développer et à combattre la pauvreté. 5,9 milliards d’euros ont été accordés cette année à des projets en Asie, en Amérique latine, ou en Afrique.
C’est justement l’utilisation de ces 5,9 milliards dans les pays pauvres qui retient aujourd’hui l’attention de plusieurs ONG comme Les Amis de la Terre, ou l’association congolaise ACIDH (Action contre l’Impunité et pour les Droits Humains), représentée par Prince Kumwamba, juriste de formation. De passage à Paris, Kumwanba est venu expliquer à Bakchich en quoi les choix de la BEI en République Démocratique du Congo posent de sérieux problèmes à la population.
En juillet 2007, la banque accepte de financer, pour un montant de 100 millions d’euros, la mine d’extraction de cobalt et de cuivre de Tenke Fungurume, dans la fameuse province du Katanga. La mine est entre les mains d’un consortium, Tenke Fugurume Mining SARL (TFM) dont l’actionnaire majoritaire est le géant minier américain, FreeportMcMoran. Sur le papier, les 100 millions d’euros de la BEI devront réduire la pauvreté et contribuer au développement durable. Mais sur le terrain, c’est une autre histoire. Prince Kumwamba a fait sa petite enquête, et il a vu la face cachée de ces belles intentions.
Depuis le début de l’exploitation du site en 1996, deux écoles ont vu le jour, mais elles accueillent 300 élèves pour une population de 200 000 habitants, ce qui donne une moyenne de 50 élèves par classe. Cela va être dur de renforcer les élites congolaises ! La mine possède un centre de soins, mais son aménagement est digne d’un bidonville et des patients y sont traités à même le sol. Les cadres américains et canadiens de la mine bénéficient, eux, d’une clinique privée équipée du meilleur matériel. Chacun chez soi ! Sur 48 puits promis par les entreprises du projet, seuls dix fonctionnent et la population fait la queue pendant des heures avant de réussir à remplir ses bidons.
Enfin, les ouvriers de la mine, et en particulier les sous-traitants, tous non syndiqués, travaillent près de douze heures par jour, parfois sept jours sur sept. Et sur mille ouvriers titulaires travaillant pour le consortium TFM, seuls 28 sont actuellement déclarés auprès de l’administration congolaise… Ce qui s’appelle du travail au noir, où l’on ne s’y connaît pas. Voilà, donc, ce qu’ont ramené les dix permanents de l’ONG de Prince Kumwanba de leur visite sur le terrain.
Maintenant, quand on appelle au téléphone la BEI, dans l’euphorie de l’anniversaire, on nous raconte une autre histoire. Un fonctionnaire de la BEI, en poste au Luxembourg, nous explique que les techniciens de la banque, eux-aussi, sont allés enquêter sur place avant d’accorder le prêt au consortium. Qu’en disent-ils ? En un mot : youpi ! « Nous avons fait notre propre enquête de terrain, durant plusieurs années et sur tous les aspects du projet, économiques, environnementaux, humains. On est content. »
Même si la BEI garantit que tout va pour le mieux, sur place, les ouvriers se comportent comme s’ils étaient aveugles à tous les bienfaits qui leurs sont prodigués. En janvier 2007, pour protester contre leurs conditions de vie sur le site de Tenke et exiger du consortium qu’il améliore leur ordinaire, ils brûlent un camion et pillent les entrepôts de l’exploitant. Trois mois plus tard, les autres sites miniers du pays arrêtent le travail et obligent le gouvernement à lancer « une commission interministérielle de révision des contrats ». En clair, on va revoir la copie des entreprises américaines, françaises, canadiennes, qui viennent creuser le sol au Congo ! Mais cela n’a nullement empêché la BEI de demander au gouvernement congolais, trois mois plus tard, de valider le prêt de 100 millions d’euros consenti au consortium piloté par le géant minier américain. Rien n’arrête la générosité de nos grands banquiers pour les projets occidentaux en Afrique.
Enfin, presque. Le gouvernement congolais commence à se demander s’il ne s’est pas fait arnaquer. En février 2008, il déclare que soixante contrats miniers signés avec les exploitants étrangers sont illégaux et qu’ils doivent être renégociés ! Il faut dire que l’entreprise d’État Gécamines ne détient que 17,5% des parts de la mine, 24,75% revenant à une société canadienne et 57,75% au géant américain Freeport McMoRan. Ce qui ne fait pas du Congo le meilleur bénéficiaire des revenus de l’extraction ! En conséquence, le gouvernement de Kabila a suspendu le versement du prêt européen… Voilà comment la BEI est récompensée de sa générosité. Et l’année de son cinquantenaire, en plus !
À lire d’ici quelques jours, le rapport des Amis de la Terre, fait conjointement avec ACIDH.
En attendant, est disponible celui de l’IPIS, une ONG belge.
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