Environnement, Guantanamo… les premières mesures d’Obama enterrent la présidence de Bush. Hélas, les crimes commis par l’ancien locataire de la Maison-Blanche risquent de rester impunis.
Pendant la cérémonie d’investiture de Barack Obama, alors que les haut-parleurs annonçaient l’arrivée de George W. Bush, une majorité des 1,9 millions de spectateurs présents à Washington l’ont hué. Du jamais vu lors de l’investiture d’un président américain. Mais il faut dire que jamais, depuis Nixon et les crimes du Watergate, un locataire de la Maison-Blanche n’a été plombé à ce point par des sondages aussi exécrables.
Justement, selon un sondage pour CNN publié le 19 janvier, à la veille de l’investiture d’Obama, 72 % des Américains désapprouvaient le président sortant. Et beaucoup de téléspectateurs, en voyant Bush arriver ont eu envie de jeter leurs chaussures sur leur écran de télévision. Un site web a même vu le jour et permet aux internautes de s’adonner à ce petit plaisir.
Alors que les électeurs exilent de facto Bush dans son luxueux ranch du Texas (c’est là qu’il s’est retiré), il convient de se souvenir d’une infime partie de ses décisions et agissements — pour ne pas dire exactions — qui ont marqué ses huit longues années de présidence. Et expliquent pourquoi les Américains le honnissent à ce point.
Dans une Amérique toujours nationaliste, on lui reproche d’abord ses mensonges sur les attentats du 11 septembre. La commission officielle chargée d’enquêter sur les attaques contre le Pentagone et les Twin Towers de New York indique dans son rapport que, dès le début 2001, les agences de renseignement avaient identifié Al Qaida comme responsable de l’attaque qui a manqué de faire couler à pic le destroyeur USS Cole et tué 17 marins.
L’expert en contre-terrorisme de Bush, Richard Clarke, avait même déjà préparé un plan pour détruire Al Qaida. Au lieu de quoi, le Conseil de la sécurité nationale, aux ordres de Bush, a commencé à préparer le plan d’invasion de… l’Irak. La Commission sur le 11 septembre a déclaré plus tard que l’Irak n’avait « aucun lien » avec les attentats de 2001.
Une réalité que Bush connaissait pertinemment puisqu’en mars 2001 — six mois avant le 11 septembre — il avait déjà entre ses mains une carte de prospections pétrolières en Irak ainsi qu’une liste de sociétés pressenties. Puis, le 6 août 2001, Bush recevait un « briefing » d’un analyste de la CIA mentionnant qu’« Oussama Ben Laden est déterminé à frapper les Etats-Unis ». Réponse de Bush : « Alright, you’ve covered your ass now » (« Entendu, t’as couvert ton cul maintenant »). Anecdote véridique !
Un mois plus tard, Richard Clarke demandait l’autorisation d’utiliser des missiles Predator pour tuer Ben Laden. Et s’est vu opposer un refus net du Pentagone. Puis, après le 11 septembre, lorsque le chef d’Al Qaida était coincé à Tora Bora, la CIA a réclamé l’envoi de 800 rangers (soldats d’élite américains) pour le capturer pendant sa fuite. Las ! Le président Bush en personne a alors confié cette mission aux Pakistanais dont il est de notoriété publique que bon nombre de gradés de l’armée et des services de renseignements sont des sympathisants de Ben Laden. Bien évidemment le chef d’Al Qaida a réussi à prendre la tangente.
En février 2002, le Général Tommy Franks raconte à un sénateur que Bush est en train de faire sortir du matériel de guerre d’Afghanistan pour envahir l’Irak. Afin de justifier cette guerre, un conseiller qui avait aidé la secrétaire d’Etat Condoleeza Rice à préparer son audition devant le Sénat peu avant l’invasion de l’Irak devait avouer plus tard : « nous avons choisi seulement les éléments susceptibles de montrer que le président était vraiment soucieux du problème que représentait Al Qaida mais, en réalité, ils [l’admistration Bush] s’en foutaient d’Al Qaida ».
En juillet 2002, le chef des renseignements britanniques, selon le fameux mémorandum secret de Downing Street révélé en 2005, rapporte à Tony Blair, alors Premier ministre, que Bush et les Américains étaient en train de travestir et de maquiller les faits pour justifier une invasion de l’Irak, notamment la non-existence d’armes de destruction massive. (A ce sujet, lire l’excellent rappel historique de Mark Danner, « The Secret Way to War » publié dans le prestigieux New York Review of Books.
Bush a finalement pris la décision d’envahir l’Irak en juillet 2002. En janvier 2003, il rallie Tony Blair à sa croisade. Mais le président américain continue de mentir à son peuple en disant qu’il n’avait encore rien décidé. On connaît la suite : deux mois plus tard, l’armée américaine entre en Irak. Avec tout ce qui s’ensuit et qui est connu six ans plus tard : la honte de la prison d’Abou Ghraib, le pétrole et les milliards de dollars de contrats attribués à de grandes sociétés comme Halliburton et les mercenaires de Blackwater, les 4 838 Américains morts en Irak, les centaines de milliers de civils irakiens tués et un Irakien sur six chassés de sa maison par le nettoyage religieux, le refus de Bush de faciliter l’accès des vétérans aux soins médicaux, Guantanamo et ses 550 prisonniers (dont des centaines seront éventuellement libérés sans aucune poursuite judiciaire, la torture de dizaines d’entre eux et huit morts), les violations de la Convention de Genève sur laquelle s’est assis l’administration Bush, l’arrestation musclée de 1 200 immigrés (la plupart en situation régulière) sans le moindre procès ou poursuite pour terrorisme et, cerise sur le gâteau, l’élargissement anticonstitutionnel des pouvoirs de Bush par le Patriot Act… Sans parler du Military Commissions Act qui réduit en miettes des libertés fondamentales pour lesquelles les Américains ont fait leur révolution il y a 225 ans. Tout cela pour une seule cause : la guerre d’Irak. Et cette liste est loin d’être complète…
Le 13 janvier, les membres démocrates de la Commission Justice de la Chambre des Représentants ont rendu public un rapport de 486 pages intitulé « Reigning in the imperial presidency : Lessons et recommendations relating to the presidency of George W. Bush » (Freiner la présidence impériale : leçons et recommandations liées à la présidence de George W. Bush). Y sont détaillés et documentés bon nombre des crimes anticonstitutionnels ainsi que des violations des lois et traités commises par Bush et ses sbires. De la torture à l’odieuse politique de « rendition » (sous-traitance de la torture à des pays la pratiquant comme l’Egypte ou la Syrie) jusqu’à l’abrogation secrète de lois et la mise sous tutelle politique du ministère de la Justice. Là encore, la liste est incomplète.
Ce rapport demande l’ouverture d’une enquête criminelle sur les méfaits de Bush and Co., mais aussi la création d’une commission d’enquête officielle composée de notables (comme celle pour le 11 septembre). Objectif : établir la vérité. Cinquante-six démocrates de la Chambre de Représentants se sont d’ores et déjà déclarés favorables à des poursuites judiciaires.
John Conyers, le président de la Commission de Justice de la Chambre, a même introduit un projet de loi pour établir une enquête. Comme l’a dit Conyers, un afro-américain qui représente une circonscription de la ville de Detroit depuis 1965, « l’idée de l’exercice du pouvoir de l’administration Bush n’est autre qu’une nouvelle version de la fameuse déclaration du président Nixon qui justifiait ses crimes en disant que « si le président le fait, ce n’est pas illégal ».
Malheureusement, le rapport de Conyers et de ses collègues a suscité très peu d’attention chez les médias. Quant à Obama, en dépit de sa promesse faite pendant la campagne présidentielle lors d’une interview au quotidien Philadelphia Daily News où il a promis de demander que son futur Attorney General (ministre de la Justice) ouvre « immédiatement » une enquête criminelle et que « si crimes il y en a, on doit faire une enquête », eh bien, aujourd’hui, le nouveau président semble bien plus réticent. Sur la chaîne ABC le 11 janvier, Obama a déclaré qu’il « préfère aller de l’avant » au lieu de regarder en arrière.
Au sujet d’Obama, comme l’a si bien dit le respecté professeur de droit constitutionnel Jonathan Turley sur la chaîne MSNBC, « il n’est plus question de savoir si des crimes ont été commis par son prédécesseur. Il peut débuter sa nouvelle administration comme un homme de principes et permettre que la justice aille jusqu’au bout. Sinon, il sera l’héritier du même genre de relativisme moral qui a vraiment corrompu l’administration précédente ». Bien vu. Car ce n’est pas parce qu’on dit aujourd’hui avec joie « Bye Bye Bush » qu’on doit oublier les transgressions des principes fondamentaux de la république américaine par l’administration Bush et ne pas poursuivre les coupables pour leurs crimes.
Lire ou relire dans Bakchich :
Là, je crois que Bakchich peut toujours rêver. Bush a des centaines de fusibles empêchant pour lui-même, une quelconque poursuite en justice. Fusibles juridiques d’abord qui stoppent toute détention et extradition hors territoire des E.U. par exemple.
Fusibles de collaborateurs ensuite (pour ne parler que des plus proches…) comme Rumsfeld Secrétaire d’Etat à la Défense, qui a légalisé la torture à Guntanamo, le Major Général Miller qui l’a supervisée et enfin le Brigadier Général Janis Karpinski qui a dirigé l’effroyable prison d’Abu Ghraib et ses sinistres passages à tabac, ses privations de nourriture et de sommeil avec aussi l’utilisation de la cagoule et des abus sexuels… Et je ne parle pas de tous les autres membres du gouvernement (blancs ou noirs) qui avaient et ont toujours des intérêts dans l’armement, le pétrole ou l’uranium et qui ont leur part de responsabilité dans ces crimes.
Quant à Ben Laden, çà arrange bien tous ces intérêts là qu’il soit "maintenu toujours en vie" même si on ne le voit plus. Etrange non ?
Enfin, penser une seconde qu’Obama dont les amis démocrates ont voté d’une seule main la guerre en Irak et la mise en coupe réglée de l’Amérique au nom du terrorisme, va laisser envoyer Bush en justice, c’est vraiment méconnaître la politique aux Etats-Unis.