Les leaders de l’opposition font un tour en cabane, l’ancien Premier ministre et âme damnée du régime hésite à rentrer au bercail, les présidentielles sont prêtes à être reportées. Mais dans le quartier, l’heure est à la fête. Le vieux est mort. C’est le premier épisode des carnets sénégalais, un feuilleton pré-électoral à suivre toute la semaine.
Dès neuf heures, les enfants crient. Les chaises empilées à la va-vite sont prestement installées sous les tentes qui jalonnent les ruelles. Les voisins devisent, assis à l’ombre des manguiers. Tantôt un verre, tantôt une gazelle à la main. De celles qu’on boit il s’entend, pour les autres il est tôt encore. Les prémices d’une effervescence qui va ponctuer le week-end. Enfin. La Sicap Liberté 3 – un quartier dakarois – attend les évènements depuis trois semaines. Depuis que la nouvelle est tombée, deux bœufs sont déjà passés à la rôtissoire, les chèvres saignées sont presque passées inaperçues, après la fête de Tabaski (l’Aïd). Ces deux jours aura lieu la vraie cérémonie, la vraie fête, les vrais adieux. Car, le 7 janvier dernier, le vieux est mort. Les T-shirts à son effigie fleurissent dans le quartier. « Norman Zannou Saïzonnou, né le 20 septembre 1924 à Porto Novo, décédé le 7 janvier 2007 à Dakar ». Un hommage généralement réservé aux chefs d’États en campagne ou en visite officielle. Jacqueline, intruse ingénue, sort de sa torpeur avec le président Wade sur le corps.
L’autre Vieux fait parler de lui. Mais plus dans les medias que dans la foule de ce matin. « Ca y est, cette fois, il est devenu fou », rit Pa, le vieux dioula. La nouvelle est confirmée sur le coup des onze heures. « La vieillesse est un naufrage ». La manifestation de l’opposition a tourné à la pantalonnade ce 27 janvier. Sitôt descendus de leurs voitures, les leaders ont été priés de gentiment monter dans le panier à salades. Direction le commissariat Central pour Amath Dansokho, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse et Abdoulaye Bathily. Quatre monstres sacrés de la politique sénégalaise au trou. « Trouble à l’ordre public », leur a-t-on signifié. Pour leurs militants, un petit réveil au lacrymogène a été servi par les pandores sur la place de l’Indépendance.
Assiégé par les journalistes, le pouvoir renvoie à la décision du préfet. Interdiction de marcher. L’arrêté a été pris la veille, à 20 heures, pour une marche annoncée depuis des semaines… « De toute façon, ils n’étaient pas cinq cents », ose-t-on maladroitement au ministère de l’Intérieur de l’ami Ousmane Ngom. Certes, mais l’argutie du trouble à l’ordre public tombe aussi. « L’Intérieur est indéfendable », geint un conseiller de la présidence.
Le déjeuner n’est pas encore servi. L’heure est aux tresses et à la parure. Cérémonie de condoléances oblige. Aucun pleur, à l’exception de Marinette : « On ne doit pas pleureur la mort d’un vieillard, car il a bien vécu. Mais moi, je n’y arrive pas ». 13 heures, une bière en main, Eliane expose doctement, le geste lent, que le « vieux était fatigué de vivre ». De mourir aussi peut-être. Trois semaines après son dernier souffle, le corps n’est pas encore enseveli.
15 heures, le thieboudiene (riz-au poisson) préparé depuis le matin est prêt. Repas familial, pas encore cérémonial. Vite englouti. Des sirènes, très proches. Un camion qui ressemble à s’y méprendre à un fourgon de flics. Des motos de gendarmerie qui débarquent. Coup de fil, « On ne sait pas où ils ont transféré les Dansokho et Cie, ils ne sont plus à Centrale ». La nouvelle fait bien rire. Entre le vin rouge et la bière, à l’ombre des manguiers, l’heure n’est toujours pas à la politique. Tout au plus au cas guinéen. Sur l’actualité sénégalaise, un mot seulement. « Pourquoi on leur a interdit de marcher ? Wade marchait bien et en dépit des interdictions ». Et la sentence, rituelle. « Gorgui dafa dof ». (le vieux est fou). Les pandores, eux emmènent le corps jusqu’au cimetière. Les motards ouvriront la voie au corbillard. « Pratique et cher », susurrent les invités, ravis mais étonnés de la débauche de moyen.
Deux heures plus loin, les cadavres de gazelle jonchent les pieds de mur. 0,8 litres de bière, à un prix inférieur à l’eau en bouteille. Incitation à la débauche ? Prise de conscience de l’alcoolémie qui augmente ? Une douce brise balaie les derniers confettis de culpabilité. 24 degrés à l’ombre. Chants, rires, fanfare tonitruante. Le couscous de cérémonie est servi. « Jus et boissons » lui emboîtent le pas.
Les plats se nettoient vite. Les criquets du Nord du pays n’ont qu’à bien se tenir. Les « Éthiopiens » ont fait honneur au mort. Discrètement, quelques malins se remplissent les poches d’eau minérale en sachet. Les bouteilles de bières seraient moins discrètes.
Enième sonnerie. « On les a retrouvés les opposants. Libérés à 17 heures. Un tour en cabane, sûrement pour réfléchir ». Une fois de plus, l’information fait sourire. Les élections présidentielles sont actées pour le 25 février prochain. Tanor (parti socialiste), Niasse (Alliance des Forces de Progrès) et Bathily (Ligue Démocratique/Mouvement Pour le Travail), tous candidats à la magistrature suprême, ont passé leur après-midi au trou. Idrissa Seck, l’ancien Premier ministre et également candidat au trône, hésite, lui à revenir au bercail libéral. La veille, « Ngorsi » a rencontré son ancien mentor, le président Wade pour la deuxième fois en une semaine. Et a reporté, comme à son habitude, la conférence de presse qu’il avait promise de donner au sortir de l’audience. « À la troisième rencontre, je parle », glisse à sa place ses proches. Touchante timidité. Allié à deux des opposants embastillés, il n’a pas eu un mot pour ses tous récents amis. Un peu désordre.
La fête s’achève. Le landernau politique se réactivera lundi, avec la sortie des journaux. Et les habituelles hypothèses éditoriales sur les tractations Wade-Seck, le report des élections, la dérive monarchique du pouvoir.
Dimanche, à Liberté 3, la cérémonie a touché à son dernier jour. Avec fanfare, repas, jus et boissons pour tout le quartier… Lundi, c’est Tamkharit, la fête du couscous, célébrée un mois après Tabaski. Et mardi sera férié.