Les déchets toxiques d’Abidjan n’ont pas fini de faire parler d’eux
En Côte d’Ivoire, le rapport de la Commission d’enquête remis le 23 novembre dernier au premier ministre Charles Konan Banny a mis à jour des dysfonctionnements accablants dans la gestion de ces déchets, dont le déversement dans des décharges a provoqué, fin août, la mort de 10 personnes et des milliers d’intoxication.
Mais la justice ivoirienne semble peu pressée de poursuivre ses investigations, qui pourraient mettre en cause pas mal de responsables dans le port d’Abidjan et les administrations. Suspendus un temps de leurs fonctions, le directeur du port, celui des douanes et le gouverneur du district d’Abidjan ont été finalement autorisés à reprendre leur poste fin novembre…
En revanche, deux des principaux dirigeants de Trafigura, le groupe néerlandais de négoce qui a assuré l’affrêtement et le déchargement des déchets du cargo Probo Koala le 19 août, continuent de croupir dans les geôles de la capitale. Claude Dauphin et Jean-Pierre Valentini, arrivés officiellement à Abidjan le 14 septembre pour « porter assistance aux autorités ivoiriennes » (dixit leur porte-parole), ont été arrêtés quelques jours après et mis en examen pour « empoisonnement et non respect des lois sur les déchets toxiques ». Ils sont soupçonnés d’être coresponsables du déchargement des 528 mètres cube de résidus chimiques sans précaution.
Interrogé par Bakchich, Trafigura réaffirme qu’ils « ne peuvent pas être tenus personnellement responsables de ces accusations criminelles ». Ajoutant, pour tenter de prouver la bonne foi de ses deux dirigeants : « Pourquoi se seraient-ils rendus à Abidjan s’ils avaient délibérément déchargé des produits dangereux en Côte d’Ivoire ? ».
Seul petit problème : les investigations menées en Côte d’ivoire et aux Pays-Bas, d’où était parti le Probo Koala début juillet, semblent montrer que certains petits malins en charge du transport connaissaient le caractère très spécial de la maudite cargaison. Trafigura, qui est en train de mener sa propre enquête « indépendante » sur le sujet, s’inquiète surtout du sort de Claude Dauphin et Jean Pierre Valentini. Mi-novembre, ceux-ci ont failli être pris à partie lors d’une bagarre armée au sein de la prison de Maca où ils sont incarcérés. De son côté, le pouvoir du président Laurent Gbagbo semble toujours interpréter cette affaire de déchets comme un coup monté par la France pour « polluer » son image. Il n’a donc pas renoncer à exploiter cette affaire.
Rapatriés dans le port de Havre, les fameux déchets toxiques sont, quant à eux, encore loin d’être éliminés. Composées notamment de résidus d’hydrocarbures, d’un peu de toluène et de benzène mêlés à de la terre contaminée, ces 9 000 tonnes de mélasse devaient être rapidement incinérées dans une usine de traitement des déchets industriels du groupe Tredi (Séché Environnement), à Salaise-sur-Sanne, dans l’Isère.
La pimpante ministre de l’écologie, Nelly Ollin, est même venue sur place, début décembre, pour assurer que tout se passerait bien, dans la plus parfaite transparence. Mais des associations environnementales locales réclament au minimum une réunion d’une commission locale d’information et de surveillance (CLIS) avant le traitement des déchets dans les fours de l’usine. « On nous l’a promis en décembre. Et le préfet vient de nous dire que cette réunion ne pouvait pas encore se tenir, à cause de problèmes techniques et du retard pour obtenir l’accord de certains élus. C’est invraisemblable » estime Jean-Luc Pérouze, de l’association Vivre Ici. Cette association a demandé, en vain, début janvier, l’arrêt provisoire de l’exploitation de l’incinérateur qui doit traiter les déchets d’Abidjan.
Il est vrai que des contrôles réalisés par les pouvoirs publics ont mis à jour quelques dépassements des rejets dans l’air de dioxines par les fours de cet incinérateur. Les mesures les plus récentes sont dans les normes mais cela ne suffit pas pour rassurer complètement les riverains ! Voilà pourquoi militants et élus locaux exigent ces jours-ci une réunion immédiate de la CLIS et une plus grande célérité de la part des autorités.
L’industriel, qui affiche également un souhait de transparence, est d’ailleurs pressé de traiter ses déchets. La ministre de l’Écologie, qui doit revenir à Salaise le 26 janvier, veut également se débarrasser au plus vite de ce dossier brûlant avant les élections. Mais voilà, cela coince encore quelque part, sans que l’on sache exactement où ! En attendant, les fûts toxiques sont stockés sous haute protection dans le port du Havre. On espère qu’ils n’ont pas de fuites…