Las des escarpins de Royal, le penseur mondain rêve d’être à Carignon ce que Zola fut pour Dreyfus. Et tant pis si Dreyfus, lui, n’était pas coupable.
Le 6 mai au soir, son élection à peine acquise, Sarko l’invincible situe parmi ses devoirs principaux celui de « réhabiliter la morale ». Noble formule ! Elle enthousiasme à la salle Gaveau une foule passionnée parmi ses fidèles. Ensuite, départ pour le Fouquet’s, puis envol vers Malte. Le redressement des mœurs commence bien. Les hémorragies financières dues au gros appétit du prédécesseur, son utilisation des fonds secrets pour des vacances princières à l’Ile Maurice, la condamnation d’Alain Juppé en justice pour les truquages dans les marchés publics d’Ile de France réclamaient une cohésion immédiate entre les paroles et les actes.
Déjà élu, le vainqueur songe évidemment d’abord à gagner les prochaines élections législatives. Pareille échéance exige des hommes sûrs. Parmi eux, Alain Carignon dans la première circonscription de l’Isère. Un sacré sabreur ! Ministre délégué à l’environnement quand survient la catastrophe de Tchernobyl en mai 1986, il annonce au journal télévisé d’Antenne 2, le 11 du même mois : « Les taux de radioactivité les plus élevés sont au-dessous des seuils à partir desquels il y a danger. »
D’ordinaire, les gros mensonges de cette nature vous préparent une belle carrière politique. Malheureusement, la sienne tourne court dix ans plus tard après des tripotages financiers suffisants pour le conduire en correctionnelle. Une peine de prison plutôt lourde pour un délinquant primaire lui révèle de l’intérieur les navrantes promiscuités du régime carcéral. Assortie de cinq ans d’inéligibilité, elle semble le mettre pour toujours à l’abri des grandeurs trompeuses. Mais un estafier de sa trempe ne redoute rien. Le voilà donc candidat pour l’UMP aux prochaines législatives, dans son Dauphiné natal où il dévora tant de hontes. Avec BHL pour l’aider !
Quelles singulières circonstances conduisent donc l’ex-nouveau philosophe dans cette équipée si distante de son univers ? Jamais il ne cacha son dédain des horizons bornés du terroir. À la province mesquine, il préféra toujours le grand large des idées étendues par-dessus l’Atlantique jusqu’au Michigan Institute ou aux universités californiennes. Comme Sarko, il éprouve un besoin profond de bouillir, frémir, bondir, tressaillir, courir en permanence. Le 6 mai au soir, quelle humiliation de ne pas trinquer au Fouquet’s avec Alain Minc sous les yeux du vainqueur. Quelle misère d’avoir donné son concours à cette gourde de Ségolène, même s’il y allait seulement du bout des lèvres, comme par dégoût.
Pour un habitué comme lui des faveurs officielles sous n’importe quel gouvernement, il ne restait plus qu’à rattraper sa mise après son vieux copain Kouchner. Seule l’audace paie. La sagesse des nations enseigne même qu’elle ne sourit qu’aux audacieux. Carignon entre deux gendarmes rappelle peut-être Dreyfus à l’âme romanesque de BHL. À cette différence près qu’au fond de sa cellule, le malheureux capitaine n’expiait pas les conséquences d’un juste verdict, mais celle d’une abominable machination judiciaire. Bernard-Henry ne s’arrête pas à cette distinction. Parce que maintenant, il en pince vraiment pour Carignon.
Peut-être à cause des coups déjà reçus par Colombani à l’intérieur de la boutique, Le Monde du 27 mai publie une information brève mais suffisante sur son ralliement : « Bernard-Henry Lévy a décidé d’apporter publiquement son soutien au candidat UMP Alain Carignon neuf ans après sa sortie de prison ». Extraordinaire éclat de l’étincelante exception culturelle française. Car dans quel autre pays un notable, certes très discuté vole-t-il ainsi au secours, d’un chenapan notoire ? Heures sublimes où le champion des causes humanitaires tend une main d’ONG à la victime par excellence de notre mentalité financière : le condamné de droit commun pour corruptions de toutes espèces.
Bien sûr, BHL ne part pas en campagne sans fourbir son argumentaire. La façon dont « fut instrumentalisé le passé judiciaire » de son nouvel ami le bouleverse. Parce qu’en matière d’ « instrumentalisations » , il en connaît des rames. « Touche pas à mon pote » pourrait s’écrier cet ancien des débuts d’SOS-racisme. « Il a payé sa dette à la société », s’émeut-il encore. Et le détestable exemple qu’il donna dans l’exercice d’un mandat public ? Car « la société » ne se réduit pas aux intérêts ni aux citoyens du moment. Elle incorpore le passé comme elle préfigure l’avenir. Un vrai philosophe ne l’oublierait pas. Notre pseudo-penseur, lui, prône le Devoir de Mémoire seulement quand il entre dans ses stratégies. Pour notre part, demeurons dans les règles simples : quiconque viola les lois comme le fît Carignon ne peut plus participer jamais à aucune œuvre législative. Sinon, à quoi cela sert-il de rester honnête ? À quoi même ressembleront ses juges ? Imaginons ceux de Grenoble, responsables du verdict rendu contre lui, contraints de nouveau envers lui à un respect officiel s’il redevient député. BHL le reconnaît sans doute comme un « ambitieux », certes pas un « escroc », et se sent « étonnamment proche » de ce candidat « paradoxal, social ». Laissons donc des gens si semblables dans l’intimité.
Contre le député local UMP sortant Richard Lacaze, parfait honnête homme, Sarko l’Invincible apporte son soutien au bandit. Ainsi s’annonce le moment où nul ne pourra plus solliciter un mandat public sans séjour préalable dans une cellule et diverses condamnations, pour ignorance de la vraie vie. En même temps, François Hollande apparaît comme le grand dindon de la farce avec tous ces traîtres qu’il fréquentât depuis tant d’années. Jamais entre ces deux Bernard, l’écrivain, le médecin, chacun en soi une monumentale conscience de Gauche, il ne flaira le faux-frère, « l’ambitieux », non « l’escroc » prêt aux pires compromissions ! François ! Ô François qui toujours sait répondre à tout, quand nous expliqueras-tu cette cruelle énigme ?
L’erreur est humaine. Que celui qui n’a jamais fauté lui jette la première pierre. A lire certaines personnes depuis des années, la société ne se salit pas les mains, juste certains qui n’ont plus d’appui et que l’on jette en pâture … (citation de M.Mitterand). Je veux simplement dire qu’ils existent beaucoup de M.Propre et pourtant quand vous les côtoyaient c’est à vomir la façon dont ils gèrent les associations et celles de faire de la politique. Allons, messieurs,dames un peu de tenue et balayaient devant votre porte.
Ça c’est dit !