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Chronique / jeudi 3 mai 2007 par Gilbert Comte
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Dans leurs communs bavardages, les divers candidats au redoutable honneur de diriger les Français s’accordèrent au moins sur le respectable projet de les rendre tous capables de produire le meilleur d’eux-mêmes. Quel esprit pernicieux envisagerait autre chose ? Garantir « l’acquisition des connaissances et de la culture nécessaires pour réussir sa vie d’adulte » figure au programme de Nicolas Sarkozy. « L’ordre juste » de Ségolène Royal se fonde sur un accomplissement intérieur où « chacun donne le meilleur de lui-même. » Au fond, Buffet, Bayrou, Besancenot, tout le reste du stock souhaitent aussi le même résultat. Mais chacun selon son programme. Comme si les rapports entre vie sociale, ressources et réussite individuelle s’organisaient selon des recettes aussi simples !

À chaque époque sa foi. À chaque temps ses maîtres. Le Moyen-Âge tout religieux réclamait des bâtisseurs de cathédrales, des moines, des chevaliers. La Renaissance inspira peintres, sculpteurs et condottiere. La Réforme engendra des théologiens, la Révolution des idéologues. Puis la société industrielle des économistes, des polytechniciens. Au cours de ses mues successives, l’humanité confie chaque étape de son évolution à ceux qu’elle sait les mieux adaptés à ses besoins immédiats les plus importants : naguère le prêtre, le soldat, l’instituteur. Aujourd’hui, l’Expert, mystérieux praticien des courbes prévisionnelles, grand initié de monétarisme, en contact direct avec la bourse de Tokyo, les variations des marchés à terme, un œil sur Bookham Technology à Londres, l’autre sur Hewlett Pakard à New York, pour ne dire du futur super TGV capable de réaliser un Paris-Toulouse en dix minutes.

Heureux, bénis du ciel, ces hommes qu’une disposition naturelle prépare à l’emploi complet de leurs forces dans un accord organique fondamental entre leurs capacités natives et les besoins généraux du moment. Cette rare fortune échappe à leur volonté. Elle tombe sur eux comme une grâce de la présidentielle historique. Avec la tranquille assurance des privilégiés, ils s’intéressent peu à ses origines. Les nobles tâches de la gestion, de l’administration ou de la production les occupent suffisamment avec, en prime, l’argent, les honneurs, les ivresses du succès.

Dès qu’un privilège s’institue, il se consolide. À trop rencontrer le pouvoir politique dans la direction des affaires, les cadres finissent par vouloir s’en emparer. Savamment, ils l’investissent. Sûrement, ils l’envahissent. À partir de positions stratégiques inexpugnables : Polytechnique, Sup de Co, ESSEC, HEC, Ponts-et-Chaussées, Arts et Métiers, Monts-et-Merveilles, Trucs-et-Machins, RPR, UMP, Parti socialiste où se préparent la conquête puis la mise à profits des institutions. Une interprétation assez spéciale « de l’acquisition des connaissances et de la culture nécessaires pour réussir sa vie d’adulte » du programme sarkozyste, où « chacun donne le meilleur de lui-même », selon Ségolène.

Mais pour s’élever jusqu’aux vraies réussites, « la culture nécessaire » ni le « meilleur » de soi ne suffisent toujours pas, quoi qu’en disent nos producteurs de bavardages. Il faut d’abord des ressources intimes adaptables aux besoins ou aux goûts de l’époque. Au XVII° siècle, Racine dînait à la table de Louis XIV. Le Roi et toute la Cour aimaient la poésie. Aujourd’hui, il crèverait de faim à la porte d’une multinationale sans intéresser une seconde son président-directeur-général.

À l’inverse, l’âge de la tragédie classique se passionnait par comparaison fort peu pour les savants. En 1681, Denis Papin perfectionne jusqu’à les rendre décisifs les travaux sur la vapeur de quelques devanciers. Il n’en décède pas moins parfaitement inconnu à Londres, dans une misère sinistre, à une date incertaine entre 1710 et 1714. Son existence ne concerne personne. Il vient pourtant de fournir à l’humanité l’une des découvertes les plus importantes de toute son histoire. Trois-cent-quatre-vingt-six ans plus tard, les universités américaines, la sacro-sainte recherche de pointe s’arracheraient à grands frais une intelligence aussi inventive. Une qualité, un don ne valent leur prix qu’à condition de trouver des utilisateurs. Sans bras pour sa culture, une excellente terre demeure en friche ou produit seulement d’épais ronciers.

Dans notre temps où l’intérêt positif immédiat l’emporte sur toutes autres considérations, voici au moins tout spécialiste à-peu-près sérieux sûr de découvrir un emploi. Non sans d’immenses dégâts pour les autres. Cette domination de la technique sur les sentiments, du positif sur l’impalpable, des certitudes sur l’intuition, de la matière sur l’esprit instaure le règne métallique de l’utilitaire. Elle broie le philosophe, humilie le poète, marginalise le serviteur consciencieux du savoir gratuit, esclavagise l’indispensable défenseur de la réflexion désintéressée.

Avec des dégâts sociaux immenses. Enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans l’univers clos de l’esprit pratique, les nouveaux maîtres sortis des statistiques confondent décidément le gouvernement des hommes avec l’administration des choses, selon la formule célèbre de Saint-Simon. Par principe, aucune révolte ne sort jamais de leurs calculs. Ainsi vit-on nos urbanistes impeccables enfermer dans de vastes ensembles la matière vivante, aimante et souffrante des ouvriers, des immigrés, selon d’exactes analyses financières, avec des évaluations des prix du béton au kilo près. Avec de 1960 à 1980 environ, les études, les compliments d’une armada de sociologues, psychologues sociaux, et autres techniciens dans leur genre. Puis les banlieues flambèrent. Les politiciens de profession croient répondre à ce vaste déséquilibre quand ils prononcent le mot « culture ». Il ne signifie rien dans leur bouche car le superficiel ne comprend jamais l’essentiel.

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