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Désastre de Colombani

Oraison / jeudi 31 mai 2007 par Gilbert Comte
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Nécrologie du sortant Jean-Marie Colombani, par un ancien de la maison.

Au moins par ouï-dire, après quelques lectures, nous connaissons tous l’histoire de nobles et grands royaumes, de belles républiques, d’ordres monastiques vénérables tombés soudain en décrépitude parce qu’au fil des âges, d’erreurs en mauvais hasards, leur direction arrivait jusqu’à des héritiers indignes, avec autour d’eux des courtisans imbéciles ou des coquins de haut vol. Freluquets hébétés, comparses sentencieux ou inconscients dispersent alors le patrimoine à tout vent selon leurs erreurs de calculs ou leurs caprices. Une déchéance comparable frappa Le Monde passé, en cinquante ans, de son fondateur janséniste l’immense Hubert Beuve-Méry aux pattes de l’ardent et habile tripoteur Jean-Marie Colombani. En partie à cause de sa gestion calamiteuse, la rédaction lui signifie qu’elle ne souhaite plus le voir à la tête du journal. La décision vaut qu’on s’y arrête. Elle frappe comme une balle en plein front l’un des personnages les plus symboliques de notre temps. Il existait en lui l’étoffe suffisante pour faire un ministre. Peut-être même quelque chose de plus grand.

« Je ne suis pas bonapartiste. Je ne crois pas aux hommes providentiels » claironne-t-il lorsqu’il s’empare de la maison en septembre 1994. Comme si, un demi-siècle plus tôt, il n’en n’avait pas fallu un, d’« homme providentiel », pour lancer l’admirable entreprise dont il recueille les profits. Sans doute se porte-t-elle alors très mal. Quitte à en compromettre l’avenir sur le long terme, il la redresse à courte échéance. Au prix de quelles combinaisons, avec Alain Minc son prestidigitateur ? Mais comme tous les grands vaniteux, ces deux-là ne se reconnaissent de dettes morales envers personne. Ils cautionnent volontiers « le Devoir de Mémoire ». À condition qu’il s’applique aux autres et ne sortent pas trop souvent des ornières d’entre 1940 et 1944.

Admirons la réussite ! D’une silhouette banale, ordinaire dans son élocution, sans aucun style, sauf mauvais cadet de Rastignac mit pendant des années la France entière dans sa poche avec son petit air patelin. Un tel talent n’appartenait certes pas à n’importe qui. Mais comme dans le héros balzacien, il existait en lui les désordres d’un tempérament menacé par la démesure. Dans un dédain bien téméraire des équilibres naturels, il voulut réussir à la fois dans le journalisme, la politique et les affaires. Avec une autorité morale très supérieure à la sienne, des générosités, une intelligence reconnues de toutes parts, un Beuve-Méry se contenta d’exercer le magistère immatériel détenu autrefois par certains hommes d’Église ou de grands professeurs.

Mais comme disaient les Anciens, « Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre » . Il malaxa donc dans la cervelle de Jean-Marie un mélange explosif de finesses manœuvrières, d’opportunisme brutal, d’ambitions disproportionnées. En 1995, il souhaite ainsi peser sur l’élection présidentielle par toutes sortes de manœuvres obliques. « Les dirigeants européens sont convaincus que M. Delors sera candidat à l’Élysée » titre un jour Le Monde sur tout le haut de sa première page. Vingt-quatre heures plus tard, l’ancien président de la Commission européenne annonce le contraire en rase campagne. Belle paire de gifles pour le journal, pris là en flagrant délit de mensonge ou d’incompétence professionnelle. Son lent discrédit débuta par ce genre de bêtises. Jean-Marie ne s’en tracassait pas trop. Toujours à préparer un nouveau coup, il espérait bien aboutir de l’un à l’autre par prendre une influence définitive dans les hauteurs de l’État. Depuis La Fontaine, nous savons qu’en toute chose, « il faut considérer la fin ». Voici enfin venue la sienne.

Pour avancer sans péril sur les itinéraires du pouvoir ordinairement parcourus par des bandits de grands chemins, il arborait en bandoulière de fermes sentiments républicains. Au pays des formules toutes faites, ce principe-là n’engage plus à rien. Il ne comporte d’ailleurs aucun risque personnel. Mais d’une certaine façon, il exista bien entre Colombani et ses aînés encore proche de Beuve-Méry la même différence de caractère qu’entre les Jacobins sortis du Tiers-État avec des tempéraments d’égorgeurs et les ministres de la Monarchie finissante, bien incapables de faire du mal à une mouche.

Les gens en place n’en imposent guère s’ils s’annoncent hésitants, bonasses. Dès son installation dans la place, le vainqueur bouscula, élimina les ultimes représentants de l’ancien Monde trop attachés au vieil esprit du journal. Intraitable sur les principes chaque fois qu’ils l’arrangent le voilà comme certains sombres conventionnels avec de grands mots à la bouche mais, derrière, de furieux appétits d’honneurs, de pouvoir et d’argent. Ces gens-là envoient les copains à la guillotine, spéculent sur la dépréciation des assignats, puis achètent des biens nationaux en province. Comme ils votèrent la mort du Roi, Colombani procéda aussi au meurtre du Père quand dans un entretien accordé au Débat, il prit envers Beuve-Méry toutes les distances convenables avec son action à Uriage.

Pendant la Terreur, nul n’envisage Colombani devant le Tribunal révolutionnaire. Il file doux sous le regard de Robespierre puis, comme tant d’autres, le tue en Thermidor. Le meilleur des choix pour arriver jusqu’à l’Empire. Là de vagues démangeaisons d’écriture, le goût du papier sans celui du talent l’auraient hissé comme surnuméraire jusqu’au bureau de la Censure, comme il transforma Le Monde en organe sourcilleux du « politiquement correct ». Dans ces périlleux exercices, l’adoucissement comme la fonte des mœurs lui évita au moins de perdre la tête. Jusqu’à mardi dernier, la sienne demeurait bien en équilibre sur ses épaules, blanchie, défraîchie, avec aussi pour conclure une réputation singulièrement raccourcie ; sa rédaction l’envoie au Diable. Il y a comme ça des jours heureux. Malgré la pluie, la rue soudain ressemble à une fête. Ne pas bouder son bonheur figure aussi parmi les devoirs d’une saine existence.

Voir en ligne : in Bakchich # 36

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4 MESSAGES

Forum

  • Désastre de Colombani
    le mercredi 11 juillet 2007 à 21:57, Rat caille a dit :
    Là, vraiment, c’est jubilatoirement fielleux à souhait. On peut généraliser ?
  • Désastre de Colombani
    le vendredi 1er juin 2007 à 01:05, hugues a dit :

    Si le rejet est si net, comment s’expliquer que la grande majorité du personnel (je ne parle pas des redacteurs) ait voté pour lui ?

    Ceci dit je trouve l’article de solé de meilleur facture (voir le big bang blog de schneiderman)

  • Désastre de Colombani
    le jeudi 31 mai 2007 à 23:13, Rossel a dit :
    La maman corse de Colombani ne s’appelle pas Laetitia.Sinon, comme la mère de Napoléon elle se serait inquiétée du goût immodéré de Colombani pour le monopoly avec les quotidiens régionaux, et aurait soupiré : pourvu que çà dure. Dans son billet remarquable, M.Comte nous rappelle que cela n’a pas duré. Et que devient dans l’aventure le petit frère des riches, Minc ?
  • Désastre de Colombani
    le jeudi 31 mai 2007 à 11:42

    Attention : nécrologie et non "necorlogie".

    Merci d’exister.

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