"L’homme de Malte" veut "changer la France"
Le soir du 6 mai, l’âme du Général quitta quelques instants Colombey pour voir à quoi ressemblait l’élection du troisième candidat prétendu gaulliste depuis 1969. Le spectacle qu’elle découvre devant le Fouquet’s puis à la Concorde lui prodigue de telles afflictions qu’elle en regagne aussitôt sa campagne.
Sur les Champs-Élysées, une tourbe de noceurs, chanteurs, jongleurs, sauteurs, publicitaires, gens du show-biz et de plaisirs franchissent d’épais cordons de police pour leur fête à eux dans l’un des restaurants les plus chers de Paris. Toujours prêts à rire, s’esclaffer quand la France délocalise, peut-être préfigurent-ils sans le savoir les rapports sociaux selon l’idéal sarkozyste : en haut, des fêtes ; en bas des lacrymogènes, la matraque. Qu’un vainqueur du scrutin constitutionnel le plus important choisisse de tels symboles pour célébrer son triomphe révèle en lui une psychologie de parvenu brutal, sans aucun sens des limites. Qui paie d’ailleurs tout ce champagne, ces buffets ravissants ? Sa fortune personnelle, le maire de Neuilly, les fonds de sa campagne ? Dans cette ultime hypothèse, en quoi le produit de nos impôts doit-il abreuver jusqu’à plus soif Alain Minc, Johnny Hallyday, en whiskys et meilleurs Bordeaux ?
Peut-être le patron de l’établissement, Dominique Desseigne, mit-il plus simplement la main à la poche. Dans ce cas, le futur Chef de l’État se discrédite déjà beaucoup à recevoir si rapidement ce cadeau d’un petit Crésus. Les thuriféraires répondent aussitôt : « mais non ! Nicolas entretient avec l’argent des rapports simples, sans complexes ! » Les truands aussi agissent de la sorte. Pas encore à l’Élysée, le nouvel élu se croit déjà tout permis. En riche compagnie, foi de Patrick Balkany.
À la Concorde, liesse éclatante des pigeons assez nombreux pour s’être laissés prendre aux belles chansons de l’oiseleur. Le lendemain, Le Monde estimera cette foule essentiellement « blanche » d’après la teinte des épidermes. Curieux critère de la part d’un journal antiraciste, si soucieux d’habitude de ne jamais désigner les gens d’après leur couleur. Quoiqu’il en soit, cette multitude rappelle forcément la foule assemblée cinq ans plus tôt par Chirac, lorsqu’il fêta place de la République son triomphe sur Le Pen. Avec une différence digne d’attention : beaucoup plus « foncée » comme dirait Le Monde aujourd’hui, celle d’alors brandissait des drapeaux maghrébins en très grand nombre. Trois ou quatre seulement de tricolores au dessus des têtes aujourd’hui. Comme dans un océan d’étendards blancs avec imprimés en gros caractères écarlates le nom du Chef. Symboliques eux aussi d’une Droite entièrement dénationalisée, désormais sans principes, sauf la trouille des 35 heures. Mais quel retour du culte de la personnalité en politique, disparu depuis Maurice Thorez !
Enfin, voici l’espace autour de l’Obélisque livré aux tumultes d’un immense music-hall. Jusqu’à ce soir, il servait principalement aux cérémonies militaires. Ancien militant de Gauche devenu en quelques semaines un intime de Nicolas, Enrico Macias chante, se contorsionne sur son estrade, presque à l’emplacement où, du haut de la sienne, le Général regardait le 18 juin 1945 d’un œil fier le défilé victorieux de ses troupes d’outre-mer. Les transformations d’un pays se jaugent par de tels contrastes. Un peu plus tard, Sarkozy traversera la Méditerranée pour rejoindre à bord d’un jet privé un yacht cinq étoiles. L’esprit de résistance inspira l’Homme de Londres. Vincent Bolloré nous donne celui de Malte.
Au retour, il dit vouloir « changer la France ». ce noble projet suscite deux questions : le souhaite-t-elle ? Le peut-il ? Ronchonneur, bougonneur, mais toujours prêt à roupiller dès qu’il doute, notre peuple vit dans des représentations théâtrales de lui-même depuis très longtemps. Par sondages interposés, de peu d’opinions sincères au fond, sinon qu’il admire encore et toujours Zinédine Zidane, Yannick Noah ou quelque autre Dieu du muscle sans cervelle. Ensuite, il remet le pouvoir à des Présidents psychopathes, envoûtés par le Pouvoir parce qu’il procure la satisfaction de tous leurs caprices.
Giscard couronne ainsi à nos frais Bokassa Empereur pour le remercier de ses chasses en Afrique. Mitterrand navigue des années entières entre des « affaires » de toutes espèces, des écoutes téléphoniques aberrantes jusqu’aux scandales financiers insondables. De l’Ile Maurice au Maroc, de la Mairie de Paris aux fonds secrets sans fonds, Chirac pique du nez dans l’argent sale à n’en plus finir. Avec sa fille Claude en majorette. Une rhétorique affligeante qualifie ces malpropretés de « dérive monarchique ». Et s’il s’agissait d’abord et plutôt d’une destruction de la conscience républicaine ?
Nul part en Europe, aucune des monarchies encore à l’œuvre de Madrid à Stokholm, Londres, La Haye, Bruxelles ou Copenhague n’expose des tares pareilles à celles de l’Élysée depuis 33 ans. Répété sans cesse par les politiciens de tous bords, l’adjectif « républicain » mis à toutes les sauces empêche la comparaison par sa grandiloquence. Dissiper tant d’impostures exigerait l’intelligence d’Ulysse et les forces d’Hercule. Avec son footing, son jogging, son vélo, Nicolas affronte encore malgré les apparences de toutes petites courses, avec de modestes pointures.
Ministre des Finances sous Raffarin, il exhortait ses compatriotes à consommer davantage afin de relancer la consommation. Au risque de perdre toutes leurs économies dans une bouffe industrielle genre leader price, des objets, des services de plus en plus de mauvaise qualité, sortis des fabriques de ses copains du CAC40 réunis avec lui au Fouquet’s, avant l’envolée vers Malte. Ambitieux, parleur de grand talent, il apporte à la Présidence ses appétits insatiables, dans un État déjà livré à beaucoup trop d’intérêts obscurs, sur le modèle et les pressions de l’influence américaine. Avec en prime Cécilia de guingois, inégalable dans ses comportements d’imprévisible et redoutable emmerdeuse.
Illustration de la résistance au bout du stylo : http://www.pourceau.info/static/20072305/index_static.php
Il en faudra de l’encre pour tenir cinq ans…