C’est l’heure du grand départ pour notre envoyé spécial Renaud Santa Maria. La boule au ventre, il vous livre ses dernières impressions cannoises. De Pierre Woodman, pape du porno, à Wim Wenders, il n’y a qu’un pas…
Dernière journée sur la Croisette et déjà un petit bilan en tête : le célèbre Festival de Cannes est un vrai fourre-tout où le magique côtoie le toc, des marches mythiques à l’Eden-Roc.
Pourtant, il semble réellement possible d’en retirer quelque chose : du plaisir, de l’info, de réelles interrogations existentielles concernant le comportement humain et, pour certain, de l’émerveillement. Vivre l’expérience de Cannes durant cette période c’est aussi vivre l’expérimentation du surréalisme comme dogme d’Etat : un plan vigie pirate aux services de la corporation du cinéma, des capitaines d’industries, des hôtels de luxes, des marques de prestiges et du tout cathodique. C’est Monaco ! On y croise beaucoup de Parisiens, certes, mais plus que Paname c’est Panama : comment ne pas se frotter par deux fois les yeux lorsque l’on voit s’arrêter un camion de pompiers, toute sirène dehors et gyrophare couleur contusion en branle, pour laisser traverser sur les passage cloutés…..quelques sombres inconnus habillés en smoking ! « Ici, pingouins prioritaires ».
Pour des raisons un peu obscures, Bakchich n’a pas eu le droit d’obtenir les si précieuses accréditations qui permettent d’accéder au cœur de la Quinzaine, toutes portes ouvertes, de l’autre coté de ces nombreuses barrières dressées pour les « non badgés », le public, vous, moi. Armé d’un appareil photo et d’une petite caméra numérique il nous a pourtant été permis d’accéder dans certaines arcanes du Festival, l’humour au cœur et la désinvolture en tête.
En début d’après midi, les frères Dardenne, réalisateurs belges déjà récompensés de la Palme d’or en 1999 pour « Rosetta » et pour « L’Enfant » en 2005, répondent à la presse au sujet de leur dernier film en compétition : « Le silence de Lorna ». Les deux héros du film sont également présents : Jérémie Rénier et Arta Dobroshi, actrice née à Pristina, au Kosovo et dont le personnage du film lui tient « sincèrement à cœur » puisqu’il est celui d’une jeune albanaise dans la tourmente de son pays, ce qui n’est pas sans lui rappeler sa propre enfance.
Plus légère, l’arrivée sur les marches d’Alain Chabat, vêtu de l’habit de scène du faux chanteur Gilles Gabriel (hommage à Frédéric François ?), héros du film « La personne aux deux personnes » en salle à partir du 18 juin.
Sur la Croisette, une jeune et ravissante orientale charme les passants de son chant a capella avant d’être interviewée et sollicitée par de nombreux journalistes (hélas, nous n’avons pas son nom, si certains de nos lecteurs la connaissent, faites le nous savoir !).
En fin d’après midi, les conversations tournent autour du film : « Serbis » du réalisateur philippin Brillante Mendoza qui évoque le cinéma porno de Manille. Seul hic, les scènes aussi sont porno, et l’on hésite à crier à l’escroquerie – le film est tout de même en compétition – ou au respect du cinéma d’auteur . J’évoque le sujet un peu plus tard avec (re) Pierre Woodman, accompagné de sa charmante petite amie au voluptueux accent des pays de l’Est, dont l’entreprise (pornographique) ne connaît pas la crise : « Je te dirai juste que ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est le film traditionnel, voilà là où je compte aller. Pas question de cracher sur le porno mais quand admettra-t-on que nous subissons des cloisonnements un peu idiots et très européens ? ». Pas faux.
Début de soirée : chemin du retour en vue des derniers préparatifs pour le départ du lendemain. Je repense à ma soirée de la veille, à Opio, dans une villa partagée par quatre larrons en foire qui avaient eu l’après midi même la gentillesse de m’inviter. Bien sûr, j’ai bien pu remarquer que toutes les filles n’étaient pas blondes (Lire ou relire dans Bakchich : J-1 les journalistes parisiens s’en Cannes aïe), évidemment… Surtout, cette jeunesse me confirmait qu’elle s’en moquait pas mal du Festival, que la fête sur la Côte, c’est toute l’année, même avec un pouvoir d’achat bien fragile en ce moment en France… « Quant au cinéma, on n’est pas plus con que les autres, ça nous intéresse, bien sûr, mais ce n’est pas dans les salles obscures que cela se passe ? Si on y réfléchit bien, non ? Tu sais, pour nous et pour ceux qui font le succès d’un film au nombre d’entrées, c’est juste un point de vue, comme ça… »
Sans pouvoir comprendre, je ressentais tout de même un léger pincement au cœur au moment de quitter la Croisette. Pourquoi ? Deux pas plus loin, je me trouve par hasard face à face avec un des réalisateurs les plus cultes depuis un demi siècle : Wim Wenders himself….
Le réalisateur de « Paris, Texas », « Les Ailes du Désir », « Si loin, si proche ! » me regarde, un peu perplexe, surpris que je le photographie au beau milieu de photographes professionnels qui ne le remarquent pas, parfaitement indifférents. Soudainement, à mon tour victime de la magie de Cannes, j’aimerais l’interviewer, je me dirige vers lui, ma caméra n’a plus de bande et mon appareil photo expire sa dernière seconde de batterie après mon seul et unique cliché du Maître. J’espère que la photo sera bonne. Grand moment de solitude, hésitation entre la corde et le revolver. Il me sourit une dernière fois, comme s’il avait compris, entre dans un taxi et disparaît.
Je comprends alors qu’il est temps pour moi de partir.
Lire les précédentes chroniques de Renaud Santa Maria dans Bakchich :
Monsieur Santa Maria,
Vos pérégrinations cannoises suivies avec l’assiduité et l’acidité de circonstance m’ont prodigieusement amusé. Votre ton détaché et la faculté de nous faire partager le maelstrom festivalier m’amène à penser que ce haut évènement cinématographique n’est plus qu’un nom suranné et une tête de gondole de la mondialisation. Des starlettes en gogette achalandées de Golgoths en vis de sac à main et d’une presse affligeante qui se doit d’être sur le coup me laisse nébuleux et caustique. Quid du cinéma ? Je me fais mienne votre perplexité sur le cas Wenders mais de même pour des personnages tels que Dennis Hopper et bien d’autres. Hormis que telles personnalités ayant transfigurées et sublimées un certain regard du cinéma soient libres et non exposées m’apparaisse extravagant, les flashs ne crépitent-ils plus que pour l’éphémère ? Les anges s’intéressent-ils encore au monde des mortels ou à la poussière. Mais c’est peut-être cela la magie de Cannes.
Merci pour votre oraison. CD.