Le procès de l’affaire de corruption qui implique le groupe de défense français Thales et le glorieux vice-président Jacob Zuma a été interrompu.
Bonne nouvelle pour Thales. Le procès de l’encombrante affaire de corruption qui lui vaut de faire la Une en Afrique du Sud depuis des années a été interrompu ; un juge de la Haute Cour d’Afrique du Sud, Herbert Msimang, a tout simplement retiré l’affaire de l’ordre du jour au terme d’une procédure compliquée. L’État demandait un nouveau délai pour fournir ses éléments de preuve. Dans le jugement inédit que Bakchich s’est procuré, le magistrat a compté : il a fallu pas moins de 4043 pages de documents pour en arriver là. Quatre mille quarante trois pages pour dire : stop.
Dans le jugement de 25 pages, le résumé visant Jacob Zuma, qui il y a quelques mois se voyait bien en futur président de la République, vaut le détour. Zuma est « un adulte mâle bien connu en Afrique du Sud », écrit le magistrat. Les antécédents de celui qui s’est « voué à la lutte pour la libération des masses opprimées dans ce pays » sont « légendaires et impeccables », a rédigé le juge, lyrique. « Depuis son retour d’exil [sous l’apartheid, qui s’est terminé en 1994, ndlr], il a occupé un nombre de fonctions gouvernementales importantes dont celle de vice-président, dont il a été démis en juin 2005 ». Il est aujourd’hui « vice-président de l’ANC, titre qu’il occupe depuis 1997 ». On ne peut nier « qu’il est respecté et idolâtré » par une partie de la population. Rien que ça. Aux côtés de Zuma figuraient sur le banc des accusés deux filiales de Thales, le géant français de l’électronique : Thint Holding et Thint, représentées par leur directeur Pierre Moynot. Un haut cadre de Thales qui n’était pas là au moment des faits.
Thales est bien le seul groupe français de défense à être cité dans des affaires judiciaires en permanence. Les juges ont enquêté pendant des années sur les éventuelles commissions reversées à des hommes politiques en marge du marché des frégates vendues à Taïwan en 1991. En vain, ce volet est en train de fondre comme neige au soleil. Il leur reste une « tentative d’escroquerie » au détriment du groupe d’électronique via une petite société suisse, Frontier AG, qui masquait à l’époque deux stars de la future affaire Elf, Alfred Sirven et Christine Deviers-Joncour. Les conditions dans lesquelles Thales aurait obtenu la concession du fonctionnement de l’espace radioélectrique en Argentine, auprès du président Carlos Menem, font l’objet d’un autre dossier, car des soupçons de pots-de-vin ont été évoqués. À Nice, une opération sur le tramway local est également sous la loupe judiciaire. En Autriche une opération de vente de radars, dans laquelle apparaît l’un des financiers occultes de la CDU allemande, fait aussi du bruit. L’appel d’offres remporté par Thales en 1994 a été contesté. Avec Thales, les avocats gagnent à tous les coups.
C’est, raconte le jugement, en avril 1998, au cours de l’approbation par le Parlement sud-africain d’un programme de révision de la défense nationale, que tout a commencé. L’idée d’une enquête généralisée sur les conditions des achats d’armes par l’État a germé dans la tête des membres du bureau de l’audit général, une sorte de Cour des Comptes. Un audit a bien été lancé, qui n’a pas fait de grandes découvertes. Mais en parallèle, des empêcheurs de tourner – de corrompre ? - en rond du Serious Economic Offences (DSEO) avaient lancé leurs propres investigations sur des marchés de corvettes, sous-marins, hélicoptères et avions de combat. C’est alors qu’un « fax crypté », adressé par la secrétaire du patron de Thales local, Alain Thetard, a été déniché. Dans ce bout de papier, que les Français doivent regretter d’avoir conservé, Zuma donnait son accord à son conseiller Shabir Shaik, en contact avec Thales, pour recevoir chaque année 500 000 rands. Environ 60 000 euros annuels : bien peu au regard des affaires à la française ! En échange de quoi Zuma s’engageait à protéger Thales de toute enquête dérangeante… On connaît la suite : un scandale public, l’ouverture d’un procès au début de l’été 2006. Et sa clôture inopinée le 20 septembre dernier. Zuma doit « être traité comme toute autre personne en dépit de sa position dans le pays », dit le document du juge Msimang. Les efforts de l’État pour le poursuivre en justice reposent sur des « fondements peu solides ». Mais il y une mauvaise nouvelle pour Thales. Alors que la société d’électronique de défense pensait en avoir terminé avec l’affaire, les Sud-Africains auraient adressé à la France une nouvelle commission rogatoire. Ils cherchent à obtenir de nouvelles informations pour, si possible, rejuger le dossier, comme la procédure le permet. La justice sud-africaine a conscience que sinon, les corrupteurs présumés auraient été blanchis, alors que pour le pot-de-vin en question, Shaïk serait allé en prison. Ce dernier, lié à Thales dans des sociétés sud-africaines, a en effet été jugé et condamné à 15 ans pour corruption et fraude…