Pour sa quatrième édition du 15 au 22 décembre dernier, le festival Mantsina sur scène de Brazzaville a vu revenir par le théâtre de bien encombrants mais nécessaires fantômes. Au moins deux spectacles ont réouverts le souvenir des massacres du Beach : Crabe rouge de Fanny Julien Bissila et La folie de Janus de Sylvie Irène Dyclo-Pomos, mise en scène de Judith Depaule. Un troisième spectacle a eu les mêmes résultats tout récemment à la Cour de Cassation de Paris.
Lors de l’édition 2005 de Mantsina sur scène, la Française Judith Depaule avait découvert le texte musical et rythmé de Sylvie Irène Dyclo-Pomos, long monologue d’un réfugié de la forêt pendant la guerre du Pool, passé par un site en RDC, revenant en mai 1999 au Beach au moment des « disparitions ».
Immédiatement, le matériau l’a intéressé : après deux spectacles sur le thème du Goulag, ce témoignage sur un autre fait historique spolié la passionne. Sylvie réécrit et enrichit le texte pour une adaptation théâtrale : parole d’un esprit perdu dans un pays névrosé où la parole n’a plus de sens, où tout n’est plus qu’humiliations et atroces normalités guerrières, histoire de victimes, de viols, de sadisme par l’inceste. Le texte cogne dans la mémoire récente. S’y mêle l’histoire de la mère d’un enfant adopté par le narrateur, toujours par le même acteur (le talentueux Ludovic Louppé) témoignant à deux voix de la même souffrance, et de toutes les paroles empêchées.
Devant un public qui a vécu dans sa chair ou qui connaît forcément des victimes de cette période, le théâtre est devenu réappropriation de la mémoire et de la parole oblitérée, un miroir, une psychanalyse, un nécessaire revenant. Personne n’est désigné, bien que l’auteur ait eu le courage d’écouter quelques uns des bourreaux « ordinaires » pour mieux mettre son texte en situation.
« J’ai invoqué les esprits de mes aïeux de Mutessi
Pour qu’ils accueillent leur petit-fils
J’ai mis la tête de mon fils dans la fosse
Du haut d’un arbuste, j’ai entendu des voix
Les yeux fermés, j’ai continué mon rituel
Mes aïeux étaient là, ils me soutenaient ».
La pièce a été soutenue par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et espère tourner en Afrique et en France.
Paradoxe françafricain, venant d’un gouvernement qui n’a jamais eu de problèmes à fréquenter et soutenir assidûment Sassou N’Guesso, l’opus a aussi bénéficié de l’aide de « Cultures France/Afrique en création », l’un des pôles culturels du ministère français des Affaires étrangères, ainsi que du soutien de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et du spectacle (DMDTS) du ministère de la Culture.
Il est vrai que « Cultures France » s’intéresse aux auteurs émergents et à la qualité littéraire des oeuvres proposées, ainsi qu’au travail mixte avec des Français. Le gouvernement congolais, quant à lui, se désintéresse de la question culturelle au point qu’il n’a pas donné un franc CFA pour aider le festival. Alors, le contenu…
Une autre scène, à Paris cette fois, a joué ce 10 janvier un autre acte sur le même thème : la Cour de cassation a cassé la décision du 22 novembre 2004 de la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris annulant la procédure du « Beach de Brazzaville » devant les juridictions françaises.
Après la mascarade de la Chambre criminelle de Brazzaville, conduisant en août 2005 à l’acquittement de l’ensemble des personnes poursuivies, la réouverture de l’enquête est donc possible. Par le théâtre ou par le droit, les fantômes du Beach n’ont pas fini de hanter le Congo.