Troisième opus de la série estivale de reportage-fiction concoctée par Bakchich. Carte blanche à l’auteur prolixe Sebastien Doubinsky qui donne libre cours à sa plume agitée pour pondre un Document exclusif !
Nous ne sommes pas seuls ! Notre reporter a pu rencontrer un véritable martien, qui vit et travaille en France. Ils sont des milliers, comme lui, à arriver chaque année sur notre territoire et à essayer de s’intégrer dans notre société. Bien entendu, il est sans-papiers et nous avons changé son nom pour préserver son identité.
Journaliste : Suleiman, quand êtes vous arrivé en France ?
Martien anonyme : Mon vaisseau spatial s’est écrasé à Bondy en 2003, brûlant avec lui mes papiers martiens officiels et ce qui restait de me économies. En fait, je visais Paris, mais la soucoupe qu’on m’avait vendue était de mauvaise qualité et ma courroie de transmission a lâché au-dessus de Bondy.
Journaliste : Pourquoi la France ? Pourquoi Paris ?
M.A. :Vous savez, sur Mars, la France jouit encore d’un très grand prestige. La pays des droits de l’homme, la révolution de 1789… Moi, j’ai lu Les Misérables, traduit en Martien et je me suis dit que c’était le pays où je voulais vivre…
Journaliste : Mars est une planète magnifique, qui fait rêver. Pourquoi en être parti ?
M.A. : Oui, Mars est une planète magnifique… si on a les moyens pour y vivre. 10% de la population possède 90% des ressources et il n’y a pas une seule industrie qui soit 100% martienne. Tous les profits partent à l’étranger. Moi qui vis en bordure du désert, je n’ai rien. Absolument rien. C’est mon village qui s’est cotisé pour payer ma soucoupe. Et j’ai eu de la chance qu’elle m’amène jusqu’ici. Beaucoup se perdent en route…
Journaliste : Comment vivez-vous ici ?
M.A. :Le problème majeur, ce sont les papiers. Sinon, j’ai trouvé un travail dans une maternelle de la région, comme agent d’entretien. Sur Mars, j’avais commencé des études d’ingénieur, mais ici il n’est plus possible de venir comme étudiant, comme autrefois. Si vous n’avez pas un bon compte en banque, vous n’obtenez pas de visa. J’espérais beaucoup une régularisation massive, mais visiblement… Heureusement je n’ai pas d’enfant – je tremblerais en allant les chercher… Pour mes compatriotes qui sont parents, c’est un stress abominable.
Journaliste : Vous êtes nombreux en France ?
M.A. :Je ne peux pas vous donner de chiffres, mais sur la région parisienne, je sais que nous constituons une bonne petite colonie. Pas assez pour vous envahir, comme dans les bons vieux films terriens, mais suffisamment pour que la solidarité marche à plein. C’est d’ailleurs un reproche qu’on entend assez souvent : « Les Martiens, ils ne se voient qu’entre eux ». mais si vous, vous étiez à plusieurs dizaines d’années-lumière de chez vous, est-ce que vous n’auriez pas envie de vous retrouver entre vous ?
Après avoir vécu un pan de son existence entre les Etats-Unis, où a enseigné son père, et la France, ce quadra a fini par poser ses valises au Danemark. Il y enseigne aujourd’hui la littérature hexagonale à la fac d’Aarhus.
Que ce soit dans ses poésies et ses romans, dans ses nouvelles ou dans les cours à la fac, Sébastien Doubinsky distille à sa manière sa conception de la liberté. Un concept tant chéri par cet écrivain atypique baigné depuis son plus tendre âge dans les idéaux anarchistes, hérités de son grand-père russe, qu’il revendique pleinement depuis ses 18 ans.
Pour accomplir sa quête de liberté, il prend un malin plaisir à explorer les méandres de notre société et les arcanes de la nature humaine, avec un petit faible pour les déviances… Qu’importe le degré de glauquitude, sa plume revêche et punchy demeure volubile.
Il puise son intarissable source d’inspiration dans le réel, retranscrit sans fioritures dans ses livres en y injectant avec finesse une part de rêve. « Le message que j’essaye de faire passer est un certain message de la mémoire, un message de l’identité, qui passe forcément par la liberté, la liberté dans tous les sens du terme. » Ses histoires explorent tant les bas-fonds que les hautes sphères. Deux milieux aux antipodes qui s’entremêlent, voire même fusionnent, dans ses contes urbains en ombre et lumière.
Dans son dernier polar, Star (L’écailler), publié cette année, vengeance, mélancolie, vices, désenchantement et destin raté s’unissent dans un coktail littéraire amer mais savoureux. Une histoire d’amitié entre une pute usée et un flic blasé enquêtant sur la mort d’une copine de trottoir.
Pour 2008, l’artiste concocte, outre une trilogie en anglais, un roman intitulé Les fantômes du soir, prévu pour février.
Journaliste : Vous n’avez pas envie de vous intégrer ?
M.A. :Mais je suis intégré ! D’accord, je suis et serai toujours un Martien, mais ce n’est pas forcément incompatible avec la France. On peut être Alsacien et Français, pourquoi pas Martien et Français ? Tous les Français n’aiment pas la choucroute…
Journaliste : Oui mais, la religion…
M.A. :Nous croyons en Sirius et nous ne mangeons pas de légumes. Je ne vois pas en quoi cela pose un problème, sauf pour ceux qui sont eux-mêmes intolérants ou sont marchands de légumes. Et moi, comme beaucoup de mes compatriotes, je ne crois en rien et j’adore les brocolis. Alors ?
Journaliste : Comment voyez-vous votre avenir ici ?
M.A. :Comme vous, avec la peur en plus.
Sébastien Doubimsky
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