Août 1938, le libéralisme classique sombre. Une poignée d’hommes tente, en France, de le sauver. Dans son livre, « Néo-libéralisme version française » (éd. Demopolis), le chercheur François Denord montre comment leur doctrine politique, le néolibéralisme, s’est peu à peu imposée en France. Le livre tord, au passage, le cou aux clichés.
Non content de s’être référé à Blum et Jaurès durant la campagne présidentielle, le candidat de Neuilly, Nicolas Sarkozy, a affiché sa proximité avec Tony Blair et sa distance avec Margaret Thatcher, égérie de l’idéologie néolibérale.
Entamant sa longue marche vers la présidence de la République, Jacques Chirac, voulait allier, dès 1976, le « gaullisme » à un « travaillisme à la française », déjà plus présentable que son homologue conservateur (p.289).
Tel le Diable du catéchisme traditionnel, le néolibéralisme a beau être omniprésent, son plus grand succès est sans conteste de brouiller les pistes jusqu’à se faire oublier. Pour y voir plus clair, François Denord a détouré au scalpel les contours d’une doctrine et dissipé de nombreux rideaux de fumée.
Cette idéologie est une réponse à l’intervention de plus en plus importante de l’Etat dans l’économie depuis la fin du XIXe siècle. Face aux multiples crises de l’entre-deux-guerres, « les derniers partisans [du libéralisme hérité de la Révolution française] font figure de donquichottesques paladins attardés à défendre une cause perdue » (p.26), s’exclame un pionnier du néolibéralisme.
Paris, août 1938. C’est le Front populaire qui a répandu, au sein de la bourgeoisie, une peur comparable à celle de l’an mille. Un aréopage international d’intellectuels, de hauts fonctionnaires et de chefs d’entreprises se réunis, dont Jacques Rueff et Raymond Aron.
En dépit des divisions, ils s’accorderont sur un point (p.152 ) : « On ne peut revenir d’une économie dirigée à une économie progressivement libérale que par un interventionnisme en sens contraire (…) » destiné à créer un cadre favorable au marché, à faire sauter les verrous, à suppléer l’initiative privée si besoin et à aider les pauvres.
« L’innovation de ce libéralisme renouvelé, écrit François Denord, fut d’imaginer l’Etat comme l’acteur de son propre dessaisissement (…) : le néolibéralisme est un réformisme conservateur. » (p.305)
Le néolibéralisme débordera des cénacles patronaux avec l’acceptation par les gaullistes d’une construction européenne fondée sur le libre-échange. Georges Pompidou, devenu président, s’en expliquera : « quand on choisi le libéralisme international, il faut opter aussi pour le libéralisme intérieur. » (p.270)
Ensuite, à la faveur de la crise économique des années 1970, Valéry Giscard d’Estaing, en tandem avec Raymond Barre, réintroduit les mécanismes du marché, abandonne l’objectif de plein emploi et affaiblit les politiques sociales, en particulier de logement.
Puis, mai 1981 amène Jacques Chirac à prôner une « double rupture » : « avec les politiques (…) dangereuses [du] gouvernement socialo-communiste. Mais aussi (…) avec l’évolution, plus ou moins subie, des années 1970 qui nous a menée à une forme de socialisation à peine déguisée de l’économie et de la société française. » (p.10)
Nicolas Sarkozy s’est servi de la vieille posture chiraquienne entre 2002 et 2007. L’un de ses supporters, Pascal Salin déplorait d’ailleurs à l’époque que « la France [soit] plus socialiste en 2004 qu’en 1981 » (p.307).
Pourtant, dès l’élection du nouveau candidat de la « rupture », Denis Kessler, l’ancien intellectuel du Medef, a montré dans quel sens soufflait le vent : « La liste des réformes ? (…) Prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952 (…). Il s’agit [de] défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Ce qui implique de revenir sur la « Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, (…) le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc. » Un programme qui ne peut être envisagé que parce que le Parti socialiste s’est, lui aussi, converti au néolibéralisme il y a 25 ans.
En 98, Jospin, à peine nommé premier ministre, privatise les Télécoms, alors qu’il avait auparavant signé une pétition nationale de SUD PTT contre la privatisation… !
Ensuite, il y eu plusieurs privatisations et le même Jospin a signé à Barcelone le fameux accord AGCS qui permet, aujourd’hui de saborder différents services publics (la Poste, les hôpitaux…).
Décidément, à part la lutte des égos, il n’y a rien à attendre de bon de la part des socialos qui ont intégré le marché libéral depuis belle lurette. Le problème est que Sarkozy va casser le Code du travail, la Sécu, l’Education nationale et qu’il n’y aura pas de justes répartitions de richesses entre les salariés qui verront l’écart des salaires s’aggraver, alors même si les socialistes reprennent la Présidence française, la casse sociale sera faite et les laissés pour compte seront encore plus nombreux. Le chiffre du chômage va peut-être baisser, mais avec plus de précarité dans le secteur de l’emploi.
Quand aux mesures sécuritaires de prises avec le maudit ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et son quota annuel d’expulsés, cela semble satisfaire la majorité des Français qui devraient être en grand nombre pour manifester devant les Centres de rétention. A part RESF (Merci à eux…), il n’y a pas à ma connaissance de partis politiques appelant à la mobilisation contre cette "ignominie" française… !!
@ phoskito
pour quelqu’un qui n’a pas lu le bouquin et le dit maintes fois dans son analyse, combien défendez-vous les théories qu’il dénonce. Sous votre pseudo ne se cacherait-il pas un Denis Koessler quelconque ? Pourquoi n’allez-vous pas au bout et ne dites pas qu’en France,e patronnat ( MEDEF ) est le plus nullissime d4europe voire du monde industriel ? Que ses représentants n’ont jamais été des entrepreneurs mais des héritiers, des fainéants qui n’ontjamais rien construit de leur propre talent et donc ne méritent pas le respect et l’admiration qu’ils veulent qu’on leur témoigne ?
En effet, beaucoup de grands patrons français sont nuls. Je ne saisis pas trop en quoi mon post laisserait entendre que je ne partage pas cette opinion. Et je concorde en partie sur les causes de cette situation : très peu de self-made men, beaucoup d’héritiers… j’ajouterais aussi un grand nombre de hauts-fonctionnaires promus patrons pour de mauvaises raisons. Globalement, bien peu de grands patrons français méritent d’être admirés, je suis bien d’accord avec vous. Mais c’est aussi beaucoup la faute du capitalisme d’Etat (les nationalisations, la politique industrielle à l’ancienne) ou, maintenant, du "crony capitalism" que met en place M. Sarkozy.
Ceci étant dit, je ne vois pas trop le rapport avec le thème dont il était question. Et je ne vois pas en quoi mon propos est pro-Medef. Si je me donne la peine de commenter certains articles, ce n’est pas simplement pour donner une opinion - ça n’intéresse personne - mais bien pour participer à un débat d’idées. Vous devriez essayer, on y prend goût.
Hm, autant je trouve la thèse de fond intéressante (il existerait une idéologie néolibérale qui consisterait à utiliser l’Etat pour réduire l’Etat), autant je trouve le reste de l’article excessivement niais. J’en déduis donc que le livre de François Denord vaut probablement la peine d’être lu mais que vous l’avez lu avec un regard plus idéologique que celui de Denord lui-même. Enfin, je peux me tromper.
Pour être clair, ce qui me dérange dans votre article, ce sont des phrases du type "Ensuite, à la faveur de la crise économique des années 1970, Valéry Giscard d’Estaing, en tandem avec Raymond Barre, réintroduit les mécanismes du marché, abandonne l’objectif de plein emploi et affaiblit les politiques sociales, en particulier de logement" ou "Ce qui implique de revenir sur la « Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, (…) le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc. » Un programme qui ne peut être envisagé que parce que le Parti socialiste s’est, lui aussi, converti au néolibéralisme il y a 25 ans". D’une part, la dernière affirmation est grotesque. Car si le PS a bien fini par admettre que la parodie de keynesianisme qui lui tenait lieu de doctrine économique se heurtait durement à la réalité, il semble très loin d’avoir admis que les mécanismes d’auto-régulation des marchés étaient la norme et non l’exception. L’hostilité de nombreux militants à des personnalités comme DSK, leur étrange fascination vis-à-vis d’O. Besancenot (cf. les sondages du moment), tout cela traduit bien des paradigmes économiques bien ancrés du côté du dirigisme. Le PS se montre incapable de penser un monde de PME globalisées, d’économie de la connaissance (forcément inégalitaire), de politiques environnementales et sociales basées sur le marché, etc. Mais surtout, d’autre part, vous essayez de faire croire que le but des décideurs qualifiés de néolibéraux par F. Denord est fondamentalement de détruire toute solidarité institutionnalisée. Vous n’envisagez pas une seule seconde que certaines des politiques publiques évoquées par ces personnes puissent être dysfonctionnelles ou perçues par ces gens comme dysfonctionnelles. Vous n’envisagez pas non plus que l’existence d’effets pervers puisse justifier l’abandon d’objectifs, irréalistes dans le contexte, comme le "plein emploi" et la focalisation sur des objectifs intermédiaires supposés plus pertinents. Je ne défends pas ici les politiques menées ou promues par ces personnes, mais je m’insurge contre votre rhétorique qui fait reculer le débat plutôt que le contraire. Vous ne montrez pas en quoi ces personnes ont tort. Cela impliquerait évidemment des pages de raisonnement politico-économique, impossible dans une colonne de journal. Du coup l’article ressemble à un anathème feutré contre "eux", un discours de l’ordre du tabou plutôt que de la démonstration. Le néolibéralisme est le mal, ne vous demandez pas pourquoi, ne fricotez pas avec le diable.
Malgré cet énorme problème de forme, votre article a tout de même éveillé ma curiosité. La thèse du bouquin permet d’évoquer l’image d’un groupe néolibéral français relativement organisé et bâti autour d’une idéologie commune. Les contours exacts de cette idéologie, les effets réels de l’action de ce groupe, la sociologie de ce groupe, tout cela est digne d’intérêt. Sans avoir lu le bouquin, il me semble toutefois que quelques nuances s’imposent forcément face à un tel exercice : 1° L’idéologie néolibérale dont il est question semble circonscrite à un petit groupe plutôt fermé, ce qui en ferait un phénomène peu significatif à l’échelle de l’histoire des idées politiques. Sans soutien de la base, à long terme je ne vois pas comment ce petit groupe pourrait subsister dès lors que l’emprise de l’élite étatique sur la société s’éffaiblit. 2° En dépit des références à l’expérience britannique, l’approche semble avant tout franco-française. Il faudrait voir comment l’étude est réalisée, mais des points de comparaison solides (chiffres, textes, etc.) me paraissent nécessaires pour que le raisonnement ait une quelconque portée au-delà du village gaulois. 3° Je suis assez sceptique par rapport à une approche exclusivement historique de la politique. La vulgarisation en science politique tend souvent à se baser sur des analogies historiques à la limite de la superstition (cf. la campagne électorale US, c’est édifiant). Cela n’a pas grande valeur si l’on n’y adjoint pas un minimum de réflexion théorique sur les politiques elles-mêmes, leur impact économique/ sociologique/ environnemental/ culturel/ etc. Dans quelle mesure le bouquin aborde-t-il ces aspects, votre recension ne permet pas de le savoir.
Dans votre appel au débat d’idée vous prenez la peine de préciser que vous trouvez l’article "niais" et les arguments "grotesques". Libre à vous.
Je ne soumettrai à votre sagacité qu’une seule citation extraite d’une de mes lectures estivales, La Deuxième Droite, publiée il y a 22 ans :
"Depuis 1976, c’est-à-dire depuis que monsieur Raymond Barre a été Premier ministre […] la France s’est éveillée peu à peu à la perception de la réalité d’aujourd’hui […] cela fait dix ans que les Français sont au travail, à travers deux Présidents de la République et deux gouvernements".
Ce cri du cœur a été poussé par Laurent Fabius, alors Premier ministre socialiste (Le Monde, 26.11.1985).
Question : comment mieux exprimer l’identité de vue et d’action entre deux Premiers ministres que vous continuez à opposer ?
Mes excuses si les mots utilisés vous ont paru blessants ou inappropriés. Si vous avez déjà croisé un de mes commentaires, vous savez mon agacement face à l’anti-libéralisme primaire qu’on nous ressort à tout bout de champ pour justifier le maintien d’un statu quo qui ne sourit qu’à l’oligarchie en place.
Toutefois vous répondez à ma critique par des arguments encore une fois "politiciens" et superficiels. Si l’on s’intéresse à autre chose qu’à des petites phrases, surtout venant d’un personnage comme M. Fabius dont l’opportunisme est apparemment la seule et unique valeur, je ne comprends pas comment il est possible de nier que le PS est un parti anti-libéral dans ses fondements idéologiques. S’il existe bien une "deuxième gauche" que l’on pourrait rapprocher d’un courant libéral, elle n’a jamais accédé durablement au pouvoir. Mendès-France est même devenu un symbole du gouvernement modéré et courageux mais incapable de s’enraciner au pouvoir. Delors s’est toujours senti dans l’impossibilité d’appliquer son programme en France et a préféré la Commission européenne, dont le libéralisme plutôt assumé lui convenait mieux. Rocard a connu le sort que l’on sait.
La droite libérale, si elle existe, n’a pas connu beaucoup plus de succès politiques. A. Madelin, qui semblait sincère quoique malhabile dans sa volonté de proposer une réelle avancée des libertés, à l’opposé des pratiques dirigistes et réactionnaires de la droite française classique, a été tout bonnement rayé de la carte. Pis, N. Sarkozy a phagocyté les quelques restes de discours libéral au sein de l’UMP et de l’UDF et en tiré une horreur clientéliste qu’il a laissé qualifier de "libéralisme" par les cohortes d’ignares qui le suivaient. Le mot "libéralisme" plaisait à M. Sarkozy car il choquait le bobo et entretenait ainsi l’illusion de la rupture. Mais évidemment le régime actuel n’oeuvre pas pour la dignité humaine ni pour la responsabilisation individuelle, il travaille jour après jour au service d’une clientèle. Le plan de com est donc une réussite totale : passer pour un libéral quand on n’est qu’un réactionnaire clientéliste, c’est à dire faire croire que l’on rend tout simple et brut pour restituer le système social à ses membres alors qu’en fait on rend tout opaque et biaisé pour mieux distribuer à une petite clique malsaine.
Je suis prêt à admettre l’idée d’un "plan néolibéral" secret mené par un groupe dont les visées ne seraient pas très claires. Je suis beaucoup moins prêt à accepter sans sourciller des discours simplistes sur une gauche qui serait de droite, une droite qui serait libérale ou un Fabius qui serait de gauche. Vous vivez sans doute dans un monde très rassurant, où les gentils sont bien identifiés et ont pour principale caractéristique de s’opposer à la propriété privée, tandis que les méchants ne jurent que par cette dernière. Comme Michel Onfray, vous pensez sûrement que la Fable des abeilles est une ode à la fourberie, ce qui signifierait que les libéraux sont à peu de choses près des adorateurs du Malin, en un peu plus matérialistes. Comme vous le dites si bien, "libre à vous". Ne vous étonnez cependant pas de susciter quelque réprobation, notamment chez tous ceux qui pensent que l’enfer est peut-être pavé de bonnes intentions, chez tous ceux qui croient que l’intuition qui vous guide n’est pas toujours la raison, chez tous ceux qui refusent une vision manichéenne du monde. La droite, la gauche, les libéraux, les nonistes, les rattachistes peuvent se tromper. Cela ne signifie pas forcément que leurs projets sont mal intentionnés. Et inversement, une politique clientéliste peut parfois aller dans le bon sens, quand les intérêts de l’oligarchie coïncident par hasard avec ceux de la masse.
Machiavel a très bien montré que la morale et le politique ne faisaient pas toujours bon ménage, oeuvrant au passage à la laïcisation de la Cité. Il est inutile de chercher un bouc émissaire à la décadence française du côté d’une droit qui serait par essence immorale et une gauche qui serait de droite donc elle aussi immorale. Les vrais problèmes, ce sont la pertinence de l’action, sa légitimité démocratique, sa légalité… L’idée d’une supériorité morale indissociable associée aux discours égalitariste est aussi dangereuse que naïve. En politique, le principe de plaisir c’est de croire que l’égalitarisme est la morale qui doit guider toute action. Se laisser aveugler par cette "passion de l’égalité", c’est empêcher à terme tout progrès, car les hommes sont différents et ils réagissent à des incitations davantage qu’à des préceptes moraux.
Encore une fois, j’ai du mal à suivre votre raisonnement.
1- "anti-libéralisme primaire" : pourriez-vous donner des exemples d’anti-libéralisme qui serait acceptable à vos yeux ?
2- "Vous vivez sans doute dans un monde très rassurant…". Il s’agit d’une projection, que vous vous permettez, en tant que pourfendeur du manichéisme, je suppose ?
Pour ma part, je ne sais pas dans quel monde vous vivez et me garde bien de l’imaginer. Sachez néanmoins que Michel Onfray, n’est pas mon petit-maître-à-penser, loin de là.
3- Vous pourfendez cette "passion de l’égalité" censée "empêcher à terme tout progrès". De tels propos vous dévoilent quelque peu. Mais, je me garderai bien d’en tirer des conclusions trop hâtives (cf : point 2).
4- Vous écrivez : "Je suis prêt à admettre l’idée d’un "plan néolibéral" secret mené par un groupe dont les visées ne seraient pas très claires."
Stop ! Il ne s’agit pas d’un complot, encore moins d’un groupe aux caractéristiques homogènes durant 70 ans. Ils existent des stratégies menées par des individus et des groupes, en constante recomposition, en concurrence, qui produisent des effets, parfois contradictoires, parfois involontaires, etc. Ces acteurs produisent des discours, des livres, des articles, etc, que l’on peut consulter. Il n’y a rien d’ésothérique.
Mon raisonnement est en fait très simple : vous vous basez sur la rhétorique des uns et des autres pour défendre l’idée que le néolibéralisme est une force dominante en France et que cette force est au service d’une oligarchie. Pour ma part j’affirme que vous êtes victime d’une illusion entretenue par des politiciens roués.
Le libéralisme (ou le néolibéralisme, a fortiori) étant un concept très élastique, on peut assez facilement lui faire porter le chapeau de mesures clientélistes édictées au nom de la compétitivité, de la France qui se lève tôt, de la rigueur ou que sais-je encore. L’erreur est de croire que des caractéristiques secondaires des politiques libérales - comme l’encouragement du capitalisme, une relative réduction de la fiscalité, une certaine suspicion vis-à-vis des systèmes beveridgiens de protection sociale, etc. - sont l’essence du libéralisme. Car on peut tout à fait mettre en oeuvre de telles mesures pour des raisons qui n’ont rien de libéral : par clientélisme, par obsession comptable, par conservatisme, par populisme, notamment. L’essence du libéralisme, ce n’est pas de prendre aux pauvres pour donner aux riches. C’est de faire en sorte que chaque personne puisse être aussi libre que possible, un objectif qui se prête à une infinité d’interprétations. La variété "néo-" consistait - car cette histoire de "néolibéralisme" sonne un peu surannée - à suggérer prioritairement une réduction de l’action de l’Etat pour promouvoir la liberté. Quand on repense à ce que faisaient les Etats dans les années 1960 à 1990, l’idée qu’ils n’étaient pas si bienveillants que ça n’est pas absurde. La question du rôle de l’Etat est beaucoup plus consensuelle depuis la chute du Mur, car les gouvernements ne peuvent plus autant se prévaloir des impératifs de sécurité nationale pour justifier la "raison d’Etat", c’est à dire le grand n’importe-quoi de l’interventionnisme tous azimuts. Bush a bien tenté le coup de la "guerre contre la terreur", avec un certain succès, mais vu l’état dans lequel il a mis son pays, je ne parierais pas sur un retour durable de l’idéologie de la raison d’Etat. Le coup de Villepin sur le patriotisme économique a fait un flop et les fonds souverains ne sont guère que des outils de gestion. Restent bien sûr les services publics. Mais il a été démontré, théoriquement d’abord, puis empiriquement, que le secteur public est structurellement mauvais gestionnaire, ce qui incite à limiter son périmètre aux domaines dans lesquels le secteur privé est défaillant pour diverses raisons (externalités, institutions déficientes, manque de capital pour permettre le décollage d’une industrie qui pourrait être très compétitive, etc.). Tout le débat porte sur la liste de ces domaines. Mais je ne crois que vous puissez le résoudre en deux phrases péremptoires.
Le (néo-)libéralisme me paraît difficilement être, par essence, la source de tous les maux du monde moderne. Alors que, dites vous, le livre de F. Denord "tord … cou aux clichés", vous ne vous privez pas d’en marteler un certain nombre :
a) Toute politique libérale est forcément de droite.
b) Toute politique de gauche est forcément anti-libérale.
c) D’après a et b, toute politique supposée de gauche un tant soit peu teintée de libéralisme est en fait de droite.
d) Les hommes politiques disent ce qu’ils font, à défaut de faire ce qu’ils disent.
e) Les journalistes ne se trompent jamais quand ils commentent la politique.
f) Le commentateur-quidam qui critique votre vision du monde transgresse votre liberté de pensée. Mais vous qui êtes journaliste pouvez vous permettre de supposer que les gouvernements de gauche poursuivaient en cachette des objectifs de droite. Crime de lèse-majesté ?
Pour tordre le cou aux clichés, il faudrait en fait cesser de se fier uniquement aux discours des uns et des autres, surtout lorsqu’ils sont datés et partisans. Sur un tel sujet, je ne vois pas comment éviter les questions de fond, que vous esquivez pourtant complètement. La gestion centralisée est-elle la forme la plus efficace de gouvernement ? L’Etat est-il le meilleur promoteur de la justice sociale ? Une économie de marché est-elle incompatible avec des politiques sociales efficaces ? Peu importe qu’untel se dise libéral ou antilibéral, même s’il y a quelque chose d’irrationnel dans la honte que beaucoup éprouvent vis-à-vis de leurs penchants libéraux (pourtant ténus, chez la plupart des politiciens français). Puisque l’on sait que l’excès de réglementation est nuisible à l’économie mais que certains secteurs défaillants requièrent une certaine régulation pour fonctionner correctement, le libéralisme n’a pas à être tabou, il pose une problématique tout à fait pertinente. Personne ne peut nier les bienfaits apporter par l’ouverture des télécoms à la concurrence. Si on peut être plus dubitatif pour d’autres secteurs (énergie, transports), alors il faut se pencher scientifiquement sur ces questions. Mais ce n’est pas un problème "idéologique". Forcément, si vous partez du principe que toute "libéralisation" est forcément injuste et mauvaise, tout mouvement libéral vous semble être un complot. Si vous réfléchissez aux problématiques de fond, il y a pourtant des libéraux qui se sentent plutôt de gauche ou plutôt de droite, et des gens de gauche qui se sentent plutôt libéraux ou plutôt antilibéraux, et des gens de droite qui se sentent plutôt libéraux ou plutôt antilibéraux. C’est une autre dimension de la politique, distincte du gauche-droite mais au moins aussi pertinente.
A mon avis, plutôt que de lire de vieux pamphlets poussiéreux, vous devriez plutôt vous pencher sur la théorie sociale elle-même. Je n’ai pas de doute que vous m’éclatez au Trivial Pursuit dans la rubrique "citations oubliées de politiciens morts". Mais vous aurez remarqué que je ne vois qu’un intérêt limité à ce jeu-là, car vous aurez beau me répéter à l’infini que les poules ont des dents, je vous répondrai à l’infini que si ça a des dents, ce ne peut être une poule. Les réponses aux questions que les Français se posent sur le libéralisme, ils les trouveront chez Frédéric Bastiat, chez Alexis de Tocqueville, chez Douglass North, chez F.A. von Hayek, chez John Rawls… bien plus que dans un énième essai plus ou moins abouti sur le microcosme français, quels qu’en soient les mérites. L’expression "la passion de l’égalité" que j’ai employée précédemment faisait référence à Nietzsche, que vous aurez peut-être reconnu. Ce qui ne doit pas me situer beaucoup, puisque tout le monde se réfère à Nietzsche, de nos jours.
Sur l’anti-libéralisme, lequel serait-il acceptable à mes yeux ? Celui qui s’intéresserait au concept de libéralisme et à ses faiblesses : puisque chacun est libre, la vie en société ne devient-elle pas une confrontation permanente d’égos ? la société ne devient-elle pas moins exigente culturellement ? comment la liberté peut-elle alors perdurer, si on en perd la conscience ? l’expérience néerlandaise est-elle une réussite ou un échec ? Etc. Effectivement, certains arguments peuvent mettre en doute la viabilité d’une société libérale. Je trouverais éventuellement pertinents des arguments sur l’impossibilité éventuelle d’une expression politique du libéralisme, s’il est impossible de distinguer le discours authentiquement libéral (celui qui a réellement pour but de promouvoir la liberté) d’un discours oppportuniste qui se parerait des atours du libéralisme tout en poursuivant d’autres buts moins louables. C’est en cela que je trouve le bouquin de F. Denord potentiellement intéressant.
J’ai lu avec intérêt votre réponse, même si vous avez encore fâcheusement tendance à dénigrer votre vis-à-vis.
Cependant, je ne suis d’accord sur à peu près rien, sauf sur l’existence de libéraux à Droite comme à Gauche. Vous m’aviez reproché, sauf erreur de ma part, de l’avoir écris.
Comme un malheur ne vient jamais seul, j’ai eu du mal à suivre votre raisonnement, la plupart du temps. Exemple : "Plutôt que de lire de vieux pamphlets poussiéreux" où l’on trouve des "citations oubliées de politiciens morts"…
1- Vous tournez qqc en dérision sans l’avoir ni lu ni médité.
2- Vous imposez un principe sans le justifier, avant de vous en affranchir ; Tocqueville ayant été un politicien du XIXe siècle.
3- Même remarque pour Nietzsche : tout le monde ne l’emploie pas de cette manière, etc ; les "services publiques", "l’essence du libéralisme"…
Pour finir : "c’est en cela que je trouve le bouquin de F. Denord potentiellement intéressant." Je ne puis que vous encourager à le lire. Nous pourrions alors reprendre cette discussion.
Encore une fois, je vous prie de me pardonner si vous vous sentez dénigré par mes propos. Je n’ai pas le sentiment que mes propos portent sur quoi que ce soit d’autre que ce que vous avez écrit et, si j’emploie à l’occasion un ton sarcastique, ce n’est aucunement par manque de respect mais parce qu’un point précis de votre discours me paraît très critiquable. Je ne suis pas certain de savoir à quelle partie de mes commentaires vous faites allusion, tout au plus puis-je supposer que nous n’avez pas apprécié la partie sur les pamphlets poussiéreux. Pourtant c’est un point fondamental de ma critique. Votre article, comme vos réponses à mes commentaires, ne définit pas le libéralisme, ses finalités, ses moyens d’action. Vous vous contentez de laisser entendre que le libéralisme est mauvais et qu’il ne peut être de gauche. C’est un peu court…
Je ne comprends pas votre deuxième point. Peut-être voulez-vous dire que parce que certains intellectuels se sont engagés en politique à une époque de leur vie, leur travail est forcément partisan, donc idéologique ? Ce serait là un raccourci malvenu. Imposé-je un principe sans le justifier, avant de m’en affranchir, ou des préjugés vous empêchent-ils de suivre mon raisonnement ? Si mes propos vous paraissent contradictoires, c’est sans doute parce qu’ils ne collent pas à votre vision du libéralisme comme force malfaisante. Un intellectuel produit des grilles d’analyse du monde ; à titre personnel il en tire des conclusions sur les politiques à mener pour améliorer la société ; sa pratique politique est distincte de son oeuvre, même si elle peut y puiser une inspiration. De toute façon parmi les penseurs libéraux, vous en trouverez un certain nombre qui se situent eux-mêmes à la gauche du spectre politique (Bastiat, Walras, Bobbio, B. de Jouvenel) et beaucoup plus encore qui se situent en-dehors de l’axe gauche-droite. Promouvoir des idées libérales n’empêche pas d’avoir des valeurs ou des sentiments de gauche ou de droite. Le cas de Tocqueville est intéressant, puisque ce monsieur a été membre de partis de droite, tout en défendant des mesures que nous associerions aujourd’hui à la gauche (droits des Algériens, lutte contre le racisme et l’esclavage, droits de l’Homme, respect du droit international).
Pour ce qui est de Nietzsche, loin de moi l’idée d’employer le philosophe ou ses idées. Simplement, Nietzsche était radicalement opposé au socialisme, qui était pour lui une morale du ressentiment (mais il n’était pas non plus conservateur, ni même démocrate, faut-il le préciser).
Néanmoins, je ne m’étends pas davantage, puisque votre dernière phrase m’indique que vous avez clos le débat, il n’est même pas sûr que ceci soit publié. J’essaierai de trouver le livre de F. Denord, pour vous faire plaisir. L’occasion de reprendre cette discussion se présentera sûrement. Allez, je vous paie un café…
1- Pour vous le néo-libéralisme, défini par François Denord, a échoué. Une comparaison entre 1944, 1976 et 2008 s’impose, non ?
2- Je ne résiste pas au plaisir d’extraire d’autres citations de La Deuxième Droite :
"Comment en pas mentionner ce paradoxe qui a voulu que ce soit sous un gouvernement de la Gauche, qu’ont été revalorisés, l’entreprise, le marché, le champ international ; que ce soit durant cette même période que les salaires et le pouvoir d’achat ont baissé tandis que la Bourse ne cessait de monter ?" Michel Rocard, Forum de L’Expansion (03.10.1985)
Pierre Bérégovoy nouveau ministre de l’Economie a salué son prédécesseur Jacques Delors : "Là où Barre a échoué, tu as réussi".
Jacques Delors, 1985 : "le gouvernement fait aujourd’hui ce que la Droite n’a jamais osé faire lorsqu’elle était au pouvoir." Il a désindexé les salaires des prix, alors que les gains de productivité allaient croissants.
Giovanni Agnelli : "Pour moi, Reaganisme, Thatcherisme et Delorisme, c’est la même chose."
1983, Laurent Fabius réhabilite la compétivité, le risque et le profit. Réaction d’Yvon Gattaz : "Contrairement à ce qui a été dit, ce n’est pas moi qui ai écrit son discours."
1985, le rédacteur en chef européen du Wall Street Journal applaudit : "Un président socialiste veut sauver l’industrie française en prenant toute une série de mesures qui sont, normalement, des politiques de Droite."
Je m’arrête car rien ne peut remplacer la lecture de ce livre.
Il est dit : « La liste des réformes ? (…) Prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952 (…). Il s’agit [de] défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Ce qui implique de revenir sur la « Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, (…) le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc. » Tout un programme ! Et vive l’esclavage moderne , méthode hongroise ! J’espère que les " Nouveaux Philosophes " , façon ancien col-ouvert-mao-pelle-à-tarte-Le Gloupier s’y sont tous reconvertis . Grave question ! Restera-t-il encore quelques villas à 500 millions d’euros sur la Côte pour loger tout ce joli p’tit monde de becqueteurs ploutocrates bien informés ? Avant que le peuple - intelligent - en ait terminé d’affûter ses nouvelles piques , façon Etats Généraux ! Madame Roselyne Bouche d’Or , qui n’est pas St Jean , remplacera-t-elle Mr de Launay lors des émeutes de la faim ou du froid , qui se profilent ? Quelle philosophie de merde ces ringards réunis auront encore le culot de nous proposer à longueur de discours , de média , etc ? Auteuil , Neuilly , Passy , c’est vrai , ce n’est pas du gâteau ! Faut drôlement savoir agrémenter les dolci .