Tout récent fan de Camus, qu’il veut transférer au Panthéon, Nicolas Sarkozy a dû zapper l’éloge qu’a consacré l’écrivain à la Princesse de Clèves. Une oeuvre que Sarko Ier ne manque jamais de critiquer.
Lundi 4 janvier 2010 célébrait les cinquante ans de la tragique mort d’Albert Camus, footballeur émérite, talentueux journaliste, connu pour son engagement contre la guerre en Algérie dont il était natif, et écrivain dont la joute avec Sartre enflamma le milieu du siècle. Beau gosse contre homme à lunettes… L’éternel retour !
Radios, télés et presse réunies s’y sont copieusement consacrés. Bien. Mais Nicolas Sarkozy a tiré plus vite. Dès le mois de novembre, cet homme là, qui faut-il le rappeler, déteste les intellectuels (dixit la Secrétaire d’Etat au numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet), lançait l’idée de mettre le corps de notre Camus au Panthéon. A l’occasion, nous apprenions que le petit Nicolas aimait sincèrement l’oeuvre de Camus.
Ah ? Mais le président a-t-il bien lu son oeuvre ?
Au hasard, ouvrons le livre L’Homme révolté (auteur : Camus bien sûr). Au fil des pages, nous tombons sur une petite perle parmi d’autres, un éloge de la Princesse de Clèves (auteur : Mme de La Fayette [1]). Damned, voici un personnage que Nicolas Sarkozy ne porte guère dans son coeur…
Plusieurs fois en effet, il s’est entaché de critiques, vives ou voilées, du roman.
En février 2006, à Lyon, alors qu’il était encore ministre, il déclarait à ses fonctionnaires :
« L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur “La Princesse de Clèves”. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de “La Princesse de Clèves”… Imaginez un peu le spectacle ! »
Rebelote en juillet 2008 : alors qu’il distribuait des médaillons à des bénévoles d’un centre de vacances en Loire-Atlantique, Sarkozy vantait les qualités du bénévolat, qui, d’ailleurs, disait-il, devrait être reconnu par les concours de l’administration… car après tout, « ça vaut autant que de savoir par cœur “La Princesse de Clèves” ». Puis il ajoutait : « Enfin… j’ai rien contre, mais enfin, mais enfin… parce que j’avais beaucoup souffert sur elle ».
Quel acharnement, quand pour Camus, au contraire, la Princesse, à la fois Eve et fève du genre roman, est une merveille :
« Les héros [d’un roman] ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n’est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu’au bout de leur destin et il n’est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu’à l’extrémité de leur passion, Kirilov et Stavroguine, Mme Graslin, Julien Sorel ou le prince de Clèves. C’est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n’achevons jamais ».
Et, un peu plus loin dans le texte :
« Mme de La Fayette a tiré "La Princesse de Clèves" de la plus frémissante des expériences. Elle est sans doute Mme de Clèves, et pourtant ne l’est point. Où est la différence ? La différence est que Mme de La Fayette n’est pas entrée au couvent et que personne autour d’elle ne s’est éteint de désespoir. Nul doute qu’elle ait connu au moins les instants déchirés de cet amour sans égal. Mais il n’a pas eu de point final, elle lui a survécu, elle l’a prolongé en cessant de le vivre, et enfin personne, ni elle-même, n’en aurait connu le dessin si elle ne lui avait donné la courbe nue d’un langage sans défaut ».
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] Précision utile pour la secrétaire de Nicolas Sarkozy qui, selon André Santini, a raté un concours pour n’avoir pas su le nom de l’auteur de « La Princesse de Clèves »
Nietzsche fut "récupéré" par les nazis,
Céline fut récupéré par leurs kollabos pétainistes …
Le ventre est encore chaud, dont la bête immonde est sortie.
La famille de Camus a raison de le laisser à Lourmarin !
Je frémis à l’idée du discours présidentiel de récupération devant le catafalque de Camus dans la cour du Panthéon.
On peut très bien imaginer Sarkozy debout sur ses talonnettes, racontant Camus autour du thème de l’Afrique du Nord avec toutes les déviations possibles de la part du principal représentant de cette droite qu’il détestait…
On peut très bien l’imaginer encore, autour du thème de "Camus tenant tête à Sartre" et à une grande partie des intellectuels de gauche…
On peut très bien enfin, l’imaginer faire une comparaison sordide entre sa pseudo défense présidentielle des gens modestes et l’attachement de l’écrivain à "l’amélioration des conditions de vie des plus petits"…
Putain ! Qu’on le laisse reposer en paix à Lourmarin et surtout qu’on nous laisse tranquillement lire ou relire l’Etranger que l’on devrait d’ailleurs, distribuer à Sarko, Besson, Hortefeux et consorts. Ainsi ils pourront y comprendre que tout homme est condamné quand il se retrouve en marge de la société et ne joue pas le jeu de la normalité imposée.
Pauvre Camus, pauvre Guy Môquet, pauvre Jaurès et pauvres symboles de la liberté qu’un type inculte et dangereux, fût-il Président, s’approprie par unique intérêt de récupération sordide !
Un jour nos enfants ou nos petits-enfants auront un mot de plus dans le dictionnaire pour désigner un crétin. Devinez lequel ?