La correspondance entre Albert Camus et René Char, et leur complicité très forte autour d’une philosophie de la vie proche de la nature.
Très belle lecture présentée, en avant-première parisienne, par le magistère de gestion et la Fondation Dauphine, à l’amphithéâtre de la Faculté à l’occasion de la sortie d’un ouvrage d’art intitulé « La postérité du soleil » rédigé par Albert Camus, préfacé par René Char et illustré par de très belles photos noir et blanc d’Henriette Grindat. Cette lecture, à laquelle assistaient plus de 700 personnes était animée par Bruno Raffaeli, acteur et également professeur de théâtre à Dauphine, et Jean-Paul Schintu.
Les deux hommes s’estimaient profondément. Pour Camus, l’œuvre de Char est « la plus grande depuis Apollinaire ». Il se dit rempli, nourri par sa poésie. A travers cette amitié profonde, Camus goûte profondément au plaisir de se reconnaître une famille d’esprit et ils traversent ensemble toute une époque : la IVe République, la guerre d’Algérie de 1946 à 1959. Albert Camus envoie à son ami poète ses manuscrits « La Chute » « L’homme révolté » et lui demande son avis car dit-il « Nous nous ressemblons dans nos silences et nos absences ». On sent entre les deux hommes une complicité très forte autour d’une philosophie de la vie proche de la nature.
Et on découvre dans « L’Homme Révolté » si critiqué lors de sa sortie à quel point Camus estimait l’œuvre du poète, René Char. Dans le dernier chapitre, il cite René Char : « l’obsession de la moisson et l’indifférence à l’histoire sont les deux extrémités de mon arc ».
Car pour Camus ceux qui « font avancer l’histoire savent, au moment voulu, se révolter contre elle aussi. Cela suppose une interminable tension et la sérénité crispée dont parle le même poète. Mais la vraie vie est présente au cœur de ce déchirement. Elle est ce déchirement lui-même, l’esprit qui plane sur des volcans de lumière, la folie de l’équité, l’intransigeance exténuante de la mesure ».
C’est ainsi que nous avons besoin de « paroles de courage et d’intelligence qui près de la mer sont même vertu ». Il ajoute que « la révolte est le mouvement même de la vie et qu’on ne peut la nier sans renoncer à vivre. Elle est donc amour et fécondité ou elle n’est rien ». Lorsqu’on relit ses phrases, on découvre à quel point se complétaient les pensées du poète et du philosophe-écrivain-journaliste, et l’extraordinaire amitié qui unissait les deux hommes, ce que nous restituent parfaitement ces correspondances entre Camus et Char.
Il ne faut pas oublier à quel point la pensée de Camus est restée libre et loin de toute récupération. Il a été un des rares intellectuels français à contribuer aux nombreuses campagnes d’aide aux exilés espagnols ou à des détenus de Franco menacés de la peine capitale, à soutenir le droit à l’objection de conscience, soutenir les travailleurs et la lutte contre l’oppression économique, dénoncer toutes les formes et systèmes de violences y compris celles des communistes et défendre une démarche de paix en Algérie sans séparer les deux communautés [1].
Toutes ces prises de position lui ont valu beaucoup d’inimités mais il a été au bout de sa pensée et il n’est pas question à l’heure de la célébration du cinquantième de sa mort de détourner son message ou de le récupérer.
Comme l’a souligné Marie-Claude Char à l’issue de la lecture, on se dit qu’on aimerait entendre aujourd’hui « des voix proches de la vérité comme celles de ces deux auteurs ».
Cette lecture-spectacle sera présentée à nouveau au studio-théâtre du Vieux-Colombier à partir de juin 2010 et en juillet dans le Roussillon. Nous tiendrons au courant les lecteurs de Bakchich des dates exactes de reprise.
[1] à noter également la sortie d’un ouvrage de Lou Marin « Camus et sa critique libertaire de la violence » qui dénonce les récupérations actuelles et rappelle les actions et les combats de Camus.