Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État au numérique, a censuré l’essai politique de son mari, par crainte des foudres présidentielles.
"Si le livre sort, je divorce !" Tel a été l’ultimatum lancé par Nathalie Kosciusko-Morizet afin de mater la plume grandiloquente de son mari, Jean-Pierre Philippe. L’homme de la sous-ministre au numérique est un énarque qui collectionne les postes de conseiller dans les cabinets ministériels. Il a été également maire PS de Villefontaine (Isère), avant de devenir le candidat UMP à Longpont-sur-Orge (Essonne), aux dernières municipales.
Le forfait conjugal du brave homme est d’avoir écrit un livre en 2008, Où c kon va com ça ? Le besoin de discours politique. Vous ne remettez pas le titre ? Normal, l’essai philosophico-politique, qui, faut-il s’en étonner quand on considère le parcours de l’auteur, s’interroge sur l’existence d’une frontière gauche-droite, n’a jamais paru. Pourtant, le livre avait été écrit, revu, relu, mis en pages, relié, et envoyé à la presse, communiqués à l’appui, avant l’été 2008. Suivant une liste établie par l’auteur avec son directeur de collection, Philippe-Michel Thibault, et son attachée de presse. Libération avait même prévu un long portrait de l’écrivaillon pour habiller sa dernière page.
Mais voilà, à la fin juillet 2008, à quelques semaines seulement de la publication du livre chez Panama, l’éditeur Marc Grinsztajn reçoit un coup de fil de Jean-Pierre Philippe. Plaintif et gêné, Jean-Pierre lui explique que c’est bien dommage mais son œuvre ne peut plus sortir. En tout cas pas en l’état. Il faut couper des paragraphes de toute urgence ou prendre le risque que Nathalie, qui vient de lire le texte, divorce.
Grinsztajn n’est pas au bout de ses surprises. Après cet épisode pour le moins inattendu, c’est au tour de NKM en personne de faire des siennes. La secrétaire d’État, alors à l’Écologie chez Borloo, convie son boulet de mari et l’éditeur à un dîner dans un lieu qui laisse rêveur, au ministère, boulevard Saint-Germain. Interrogé par Bakchich, Marc Grinsztajn a confirmé l’épisode et raconté le dîner. Du plat au fromage, Nathalie passe tout son temps, l’ignoble livre ouvert, à relever, un brin énervée, les passages à censurer. Elle dit regretter que les épreuves aient « déjà » été envoyées. Culottée, la rouquine…
Un peu plus tard, entre la poire et le dessert, NKM change de registre et explique le motif de son courroux : « Nicolas Sarkozy va entrer dans une colère folle ! » « Le Président déteste les intellectuels. » Déjà, « la couverture du Point sur Sarkozy et les psys [mai 2008] l’avait rendu furieux. » La sous-ministre raconte que le chef de l’État n’a « aucun humour ». Puis elle laisse tomber une phrase définitive : « Si ce livre sort, je saute. Pas tout de suite, mais au prochain remaniement. »
Pendant ce temps-là, Jean-Pierre Philippe, presque oublié, se tord sur sa chaise. Son mutisme est régulièrement interrompu par un murmure : « tout cela est de ma faute ». Contacté par Bakchich, l’auteur du livre s’est montré tout autant mutique.
Au final, « NKM m’a proposé qu’on le publie avec des coupes, se rappelle Marc Grinsztajn, mais j’ai refusé. Il n’y avait pas lieu de couper. » L’éditeur poursuit : « J’ai expliqué que je ne voyais pas le caractère subversif de ce livre, mais bien la parano qu’inspirait Nicolas Sarkozy à ses ministres. » Et de conclure : « En matière de conjoint des ministres, aucune jurisprudence n’a pour l’instant été établie par le Président. »
L’ouvrage incriminé en mains, Bakchich a cherché les passages les plus gênants pour la secrétaire d’État. Pas de quoi fouetter un chat… D’abord parce que, sur 122 pages, Nicolas Sarkozy est cité… six fois. Les critiques, vagues, sont noyées dans une masse de propos sur la politique au sens large. Ici et là, l’auteur tresse des lauriers à un Président qu’il asticote gentiment deux lignes plus haut.
Ainsi, page 18, à propos de Sarkozy et de Ségolène Royal, alors candidats à l’élection présidentielle, Jean-Pierre Philippe écrit : « Face au réel qui est asphyxié par sa propre accumulation, ils se sont refusés à l’explication. Leur est resté le pari de l’incantation. Et là, quelle emphase, quelle réussite médiatique, chacun dans son registre composé au fil du temps. »
Page 27, sur le vocabulaire en politique, l’auteur envoie une petite pique à Sarkozy : « Qui peut entendre sans réagir des mots inutiles ou décalés : la « racaille », ou ce verbe qui vrille toute oreille bien faite : « j’exigerai ». » Quelle insolence !
La fin de l’ouvrage est une espèce de leçon politique à l’usage de Sarkozy. « Il y a une attente phénoménale. Nicolas Sarkozy le sait très bien. Il rythme son parcours au gré de ces dangers de désamour.Tout cela ne peut conduire à l’échec. Il doit ré-apprivoiser la France. » (page 117) La conclusion, toujours sur le ton du petit donneur de leçons, est légèrement plus pinçante : « Pas un Français n’aurait osé secrètement imaginer que ces élections de 2007 pourraient sonner aussi creux, que le timbre de leur désespoir aurait aussi peu d’écho… » (page 121) On ne peut que regretter de voir un auteur être censuré pour si peu. Mais si Nicolas Sarkozy manque à ce point d’humour, mieux vaut prévenir que guérir…
Sur la réforme de l’université engagée par Valérie Pécresse, le mari de Nathalie Kosciusko-Morizet ne mâche pas ses mots. « Avec l’université, on hésite entre la catastrophe et le non-sujet. L’été 2007 aura résonné d’une étrange façon. Le président de la République est venu « sauver » la réforme proposée par sa ministre. » C’est-à-dire donner plus d’autonomie aux présidents d’université. Puis : « Ce fut une réforme mais elle ne réforme rien (…). Nous avons besoin de diplômés du supérieur et nous renvoyons des cohortes d’étudiants vers l’échec. » (pages 23-24)
La critique est sévère. Mais dès le 30 septembre 2008, Jean-Pierre Philippe acceptait une mission du ministère sur la place de l’enseignement supérieur dans la formation tout au long de la vie. Cette fois, Jean-Pierre n’a pas de soucis à se faire : Valérie Pécresse ne pourra pas lire le livre ✹ A . V .
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