La tension monte au procès de l’évadé le plus célèbre de France où les mesures exceptionnelles de sécurité n’empêchent pas les pressions diverses et variées.
Bien sûr, il y a du pittoresque au procès de l’évasion de Nino Ferrara, qui se tient devant la Cour d’assises de Paris jusqu’au 28 novembre et dont l’examen des faits a commencé jeudi (lire l’encadré en bas de page). L’évadé d’abord, braqueur charismatique à la langue bien pendue dès qu’il s’agit de faire le pitre, met de l’ambiance dès qu’il s’approche du micro. Son ancien avocat, le controversé Karim Achoui, accusé de complicité d’évasion, serre les fesses en vantant pompeusement son parcours professionnel, de la défense de la Scientologie à celle des « beaux voyous ».
Un ancien conseil d’Action Directe devenu avocat de voyous, règle, lui, ses comptes avec la justice en multipliant les affronts procéduraux tous plus saugrenus les uns que les autres. Quant à la belle brochette de truands chevronnés traduits devant la Cour, elle met une ambiance de salle de classe de 5ème en zone d’éducation prioritaire dans le box blindé, forçant la très coincée présidente Jeanine Drai à se transformer en maîtresse d’école irritée. Bref, de loin, tout cela donne l’impression d’un joyeux bordel.
Mais, derrière le sympathique chahut, d’inquiétantes pressions se font jour. Des témoins tentent de décliner à leur convocation. L’ex d’un truand, par exemple, s’est faite porter pâle avec un certificat médical compris entre le 2 octobre et le 28 novembre, soit l’exacte période du procès ! La sécurité des jurés populaires est également très renforcée. Très discrètement, des flics du SPHP, le service de protection des hautes personnalités ont été missionnés pour assurer tous les jours la protection des jurés populaires et des magistrats engagés dans ce procès durant leur trajet vers la Cour. Des équipages de la Brigade anti-criminalité (BAC) patrouillent également à proximité des domiciles des jurés. Quant à la sécurité de la salle d’audience, elle est assurée par pas moins de trois services différents de la gendarmerie dont une section de la garde républicaine spécialisée dans les transferts de détenus sensibles. Pas moins de quinze cerbères se pressent dans le box des accusés aux vitres blindées pour seulement douze accusés détenus. Après tout, Nino Ferrara n’a-t-il pas été surnommé « le roi de la belle » ?
Le petit braqueur italien – « 1,67 m sans talonnettes », déclare-t-il – n’est pas le seul détenu surveillé comme le lait sur le feu. Un autre « gros profil » présent dans le box inquiète les responsables de la sécurité du procès. Hamid Hakkar, un parrain, un vrai, soupçonné de contrôler, avec ses trois frères, le trafic de stup’ dans la banlieue ouest, avait été arrêté en compagnie de Ferrara, à la fin de sa cavale. Incarcéré à la centrale de Moulin-Yzeure, une des taules les plus dures de France, après une condamnation pour meurtre, Hakkar est supporté chaque jour d’audience par une poignée de ses lieutenants présents dans la salle. Lesquels s’immiscent dans les conversations entre journalistes et avocats à chaque suspension de séance. Les premiers jours, certains avaient même réussi à se glisser sur les bancs de la presse, avant que les gendarmes les prient fermement de dégager. Pire encore, certains avocats des truands se font même les interprètes de l’agacement de leurs clients auprès des journalistes, après tel ou tel article qui ne leur paraissent pas assez favorables. Et ces clients là, qui disposent d’amis en liberté, ne sont pas réputés faire dans la dentelle quand la moutarde leur monte au nez. Certains avocats ont déjà vu leur cabinet dévasté après la visite de proches de clients mécontents d’être encore derrière les barreaux.
« On entre dans le bifteck » lâchait, il y a peu, Antonio Ferrara à l’un de ses avocats, pour signifier que l’audience qui débutait ce jeudi 15 octobre revêtait à ses yeux une importance toute particulière. Après l’étude des personnalités des prévenus, la cour a commencé l’examen des faits. Parmi les nombreuses accusations qui pèsent contre celui qui comparaît pour sa spectaculaire évasion de la prison de Fresnes en mars 2003, la complicité dans la « tentative d’homicides volontaires avec préméditation sur surveillants pénitentiaires » pourrait, si elle est prouvée, venir alourdir considérablement la peine qu’il risque déjà. 10 ans pour l’évasion, 20 ans pour l’attaque aux explosifs et une condamnation à perpétuité pour les tentatives d’homicides. Avec, à la clé, quelques années de plus à l’isolement.
Selon l’ordonnance de renvoi devant la cour d’assises, le document qui clôt et résume l’instruction, lors de l’évasion du 12 mars 2003, des membres du commando « faisaient feu avec des armes de guerre sur les surveillants des miradors 3 et 4. (…) Les deux surveillants en poste dans les miradors visés par les tirs étaient fortement choqués mais aucun blessé n’était à déplorer. »
La balistique qui comptait 84 impacts de balles sur les miradors, notait que : « ces tirs nourris apparaissaient bien groupés autour des ouvertures vitrées abritant les fonctionnaires de garde, annihilant toute velléité de riposte et mettant gravement en péril leur intégrité physique » Pour l’instruction, « Antonio Ferrara ne pouvait pas ignorer comme instigateur et donneur d’ordres de sa propre évasion, les moyens mis en œuvre par ses complices qui, pour mener avec succès cette opération, devaient neutraliser les deux surveillants en poste aux miradors et les tuer en cas de riposte (…) »
« Ces gens qui sont venus me chercher ne sont pas venus pour tuer. Pour ma liberté, je suis prêt à mourir, mais ôter la vie d’un autre, non ! », a déjà déclaré à l’audience le détenu le plus surveillé de France. Nul doute que ses avocats auront fort à faire pour convaincre Jeanine Drai, la présidente de la cour, qui n’a pas la réputation de faire dans la dentelle. Cette dernière a entendu les parties civiles, parmi lesquelles les deux surveillants en poste dans les miradors, dont les témoignages étaient très attendus.
S’agissait-il de tirs de couverture ou y avait-il volonté de tuer ? Pour la défense de Ferrara, cela ne fait pas de doute. « On est venu le chercher. Il n’a pas pu organiser son évasion de manière précise. D’ailleurs il a reçu le téléphone le jour-même. Faudrait-il en déduire qu’il est complice de tentative d’assassinat ? », explique l’un des conseils de Ferrara. Et d’ajouter, non sans ironie, que lors de ses précédentes affaires « il a toujours fait preuve d’un grand professionnalisme », soulignant que « jamais une goutte de sang n’avait été versée ». Quid de sa condamnation en 2005 pour tentative d’homicide ? « Mon client a toujours nié les faits. Il y a une vérité judiciaire certes. Mais les erreurs, ça existe »… S.P.
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