Loïc Delière fait partie de ceux là. Il y a deux jours, il a été jeté à l’isolement, coincé sous le mitard, avec pour tout vêtement un caleçon et comme pitance un repas qui lui est servi sans couvert. Comme on donnerait la gamelle à un chien. Jeté dans une cellule dont il a dû lessiver les murs tachés de sang et des matières non identifiables qui s’y trouvaient, pour espérer pouvoir y dormir. Une cellule flanquée d’un parquet éventré auquel il manque une latte sur deux dans cette vieille abbaye, anciennement baptisée « le cimetière des durs ». Tout un programme !
Comme le dit Dante dans son enfer : « étranger, toi qui entre ici, abandonne tout espoir ».
Bienvenue à Clairvaux !
Linda la compagne de Loïc qu’il a eu le droit d’appeler m’a expliqué que rien de précis ne lui avait été reproché, pas plus que signifié, il n’a vu aucun responsable pénitentiaire, pas de médecin rien. Le vide total, avec au ventre la peur de mourir sans l’avoir décidé.
Linda a de sérieuses raisons de s’inquiéter au regard de ce qui se passe intra-muros ces derniers mois et depuis trop longtemps déjà.
Le 7 janvier dernier à la prison de Villepinte, Samir a été retrouvé mort dans sa cellule. Aujourd’hui la cause de sa mort est encore sujette à caution. Et Marlon Goodwin, dont les médias ont parlé cet été ? Mort après une échauffourée avec les surveillants ? Et Zamani mort dans une cellule à Nantes à quelques jours de sa sortie, comme Fakraddine et cet autre, et autre encore, dont personne n’a entendu les cris.
Avec la régularité d’un métronome ils viennent grossir la liste morbide des morts suspectes en détention.
J’oubliais Salim pour lequel je me suis battue lui qui a frôlé la mort alors qu’on lui passait une corde autour du cou. J’avais eu au téléphone la directrice de la prison de Mulhouse où il était détenu, tandis que sur l’autre ligne son frère me suppliait de l’aider à lui sauver la vie.
Non je n’affabule pas. Entre temps, la tête de cette directrice a été réclamée par les surveillants de l’établissement avec comme argument massue la « dangerosité » de la dame en question. (Pour en savoir plus cliquez-ici) .
15 jours plus tôt, Loïc avait eu une altercation verbale au parloir avec un surveillant, m’explique encore Linda, ce dernier, n’avait pas voulu ouvrir la porte alors qu’elle suffoquait dans le réduit amputé de fenêtre où se déroulait la visite. Le père de Loïc était également présent. Sinon, rien d’autre ne se serait passé à part cet incident de troisième ordre pour justifier la mesure d’isolement.
Mais Loïc Delière est classé DPS (détenu particulièrement surveillé ) non pas à cause de son délit ou de ses actes, juste à cause de la lutte qu’il mène comme quelques rares autres gars dans les tranchées du pire. En utilisant la rhétorique républicaine, qui se voudrait pétrie des valeurs qu’elle nous vend, il s’applique à démontrer que les droits de l’homme ne sont qu’un paravent démocratique, derrière lequel se joue un bras de fer sur la question des droits fondamentaux.
L’administration pénitentiaire ne supporte pas le bagout de Loïc qui le distancie de la norme pénitentiaire, celle de la soumission et de l’infantilisation au sein d’un règlement immuable qui foule aux pieds les droits de la personne.
Et puis il a aussi pour ami Antonio Ferrara et comme pour tous les amis de cet homme il subit les foudres de l’administration pénitentiaire par direction interposée.
Sont-ce des raisons suffisantes que l’amitié, la fraternité ou la réflexion pour jeter des hommes aux oubliettes des quartiers d’isolement ? Sont-ce des raisons tout court ? Non, bien sur que non et nous le savons tous. Comme nous savons aujourd’hui que ces mesures arbitraires, validées par le fantasme sécuritaire, peuvent durer des années et porter une atteinte irréversible à la santé physique et mentale des personnes concernées. En parallèle, ce sont des familles entières qui se retrouvent plongées dans le désespoir le plus absolu face au mépris qui leur est dévolu.
J’ai d’ailleurs pu le constater durant 5 longues années lorsque Cyril, mon fils cadet, était maintenu de façon totalement arbitraire à l’isolement sur la simple foi d’allégations mensongères venant des personnels pénitentiaires. Même si ces derniers ont été condamnés au bout du compte, pour traitements inhumains et dégradants, après que Cyril a déposé plainte, il a failli y perdre la vie à plusieurs reprises.
Durant ces cinq longues années, je l’ai vu partir sur le chemin de la folie, de la somatisation tandis qu’un eczéma géant lui ravageait le corps et que d’horribles douleurs lui labouraient les os. Les mêmes symptômes types que l’on retrouve chez nombreux autres gars placés à l’isolement. J’ai cru devenir folle face à la violence de la situation et surtout à mon impuissance pour lui venir en aide.
Comment pouvons-nous tolérer ce que nous n’accepterions pas pour nos animaux même pour les plus méchants ?
Comment peut-on espérer l’amendement de ces hommes ? Né d’un discours tronqué il refleurit à chaque printemps pénitentiaire. Pas d’avenir en taule pour les condamnées à de longues peines. Ils la purgent comme on le ferait avec nos intestins, jusqu’à la dissolution totale de toute matière humaine qui finit par s’ évacuer dans le tout à l’égout de la démocratie. Une liste morbide qui fait de notre beau pays le plus mauvais élève d’Europe sur la question des droits fondamentaux et le champion de la longueur des peines, toutes catégories confondues. Et que pouvons-nous sincèrement espérer d’une ministre de la Justice qui débarque de la « grande muette » comme on appelle le ministère de l’armée, pour reprendre celui d’une justice aveugle, sourde, autiste et moins causante encore ?
Il y a juste à se souvenir de la phrase assassine que Pascal Clément, sinistre ministre de la justice en 2006, a proférée après l’appel des dix de Clairvaux qui réclamaient le rétablissement de la peine de mort pour eux plutôt que cette mort lente et douloureuse qui leur est imposée, un goutte-à-goutte sans fin de solution finale qui satisfait les politiques aigris n’ayant pas toujours pas digéré son abolition : « Si on les prenait au mot, combien se présenteraient-ils vraiment ? »
Moi, je refuse de me faire complice, par inertie interposée, de la mort peut-être programmée de Loïc Delière qui m’a appelé au secours par le biais de sa compagne et de Clarisse Serre son avocate.
Au mois de juillet dernier Jean-Marie Bockel secrétaire d’état à la Justice a proposé de mettre en place un numéro vert pour les familles et proches de personnes incarcérées afin de prévenir le suicide en prison.
Ce blog doit-il devenir également un numéro vert pour prévenir la mort suspecte des personnes emprisonnées sous la responsabilité de l’Etat ?
Peut-être qu’à plusieurs nous pourrons sauver la vie de Loïc ainsi que celle de plusieurs autres. Enfin moi qui suis contre la peine de mort c’est comme ça que je le conçois et comme le dit l’adage : Qui sauve la vie d’un homme sauve l’humanité entière.
Catherine