C’est sous très haute surveillance que s’ouvre ce jeudi, devant la cour d’assises de Paris, le procès d’Antonio Ferrara, braqueur multi-récidivistes, et de 21 autres accusés, pour l’évasion spectaculaire de la prison de Fresnes le 12 mars 2003.
« Il n’est pas question de laisser faire ces comportements », déclarait au matin du 12 mars 2003, un Dominique Perben, alors ministre de la Justice, encore sous le choc. 5 ans plus tard, c’est sous très haute surveillance que doit s’ouvrir ce jeudi 2 octobre, devant la cour d’assises de Paris, le procès d’Antonio Ferrara, et de 21 autres accusés, pour son évasion spectaculaire de la prison de Fresnes le 12 mars 2003. Spécialiste du braquage de fourgon, figure montante du grand banditisme, Antonio Ferrara dit « Nino », déjà condamné à plusieurs reprises, devra répondre des accusations d’ « évasion avec usage d’armes et d’explosifs », d’« infraction à la législation sur les armes », de « complicité de tentative d’homicides volontaires avec préméditation à la fois sur des surveillants pénitentiaires et sur des fonctionnaires de police », de « destruction de biens avec explosifs en bande organisée », d’« association de malfaiteurs », et de « détention de faux documents administratifs ». Rien que ça ! Il faut dire que l’évasion, filmée par un riverain, n’a pas son pareil dans l’histoire de l’administration pénitentiaire.
Préparée avec minutie, l’opération a tout d’une attaque militaire. Un groupe d’une quinzaine d’hommes surarmés est parvenu en quinze petites minutes, à coup d’explosifs, de lances-roquettes et de Kalachnikov, à sortir Antonio Ferrara du quartier d’isolement.
Bilan : la porte de prison de Fresnes explosée, les miradors criblés de balles, et l’ennemi public N°1 en liberté.
Comme le note Hervé Lafranque, alors patron de l’OCRB : « A l’époque, on s’attendait à ce que quelqu’un sorte de cette prison, on s’attendait peu à ce qu’un commando pénètre à l’intérieur. » CQFD.
Dominique Perben, qui se rendra sur les lieux dans la matinée de l’évasion, en sera bon pour une bonne suée. Certains se demandant même alors si le garde des Sceaux ne paiera pas cet affront de son portefeuille ministériel. Il n’en sera rien. Antonio Ferrara, probablement grisé par la liberté retrouvée, se laissera aller à quelques imprudences et sera arrêté dès le mois de juillet 2003 à Paris.
La cour aura la difficile tâche de déterminer comment les explosifs sont arrivés dans la cellule d’Antonio Ferrara, et éventuellement de pointer des complicités au sein de l’administration pénitentiaire. Elle devra aussi déterminer le niveau de complicité de chacun des accusés, parmi lesquels des bandits corses, des amis d’enfance de Ferrara, des anciens co-détenus, et…un avocat. Karim Achoui, avocat de Ferrara du temps de l’évasion, dont le nom a été prononcé à plusieurs reprises par les assaillants dans la nuit du 11 au 12 mars 2003, risque gros (lire encadré). Brendan Kemmet, auteur avec Matthieu Suc d’une biographie d’Antonio Ferrara, donne, dans le JDD, plusieurs raisons pour expliquer une telle mobilisation en faveur de « Nino » : « D’abord son charisme dans le milieu, incontestable. Ensuite, l’amitié qui l’unit à certains protagonistes. Mais aussi l’argent : il était question d’une prime totale de 800.000 euros. Ou encore la promesse d’un coup, une nouvelle attaque de fourgon. Enfin, un renvoi d’ascenseur venu de Corse, de la part de la Brise de mer… ».
Karim Achoui, sulfureux avocat, spécialisé dans la défense des caïds du milieu, et défenseur d’Antonio Ferrara à l’époque de l’évasion comparaît devant la cour d’assises de Paris pour répondre de l’accusation de complicité. Il est soupçonné d’avoir donné le top départ de l’intervention. La principale charge de l’accusation repose sur deux conversations entre les assaillants, enregistrées par un téléphone malencontreusement branché par les malfaiteurs et dont les enquêteurs ont pu prendre connaissance. Plusieurs fois, le mot « baveux », avocat en argot, est prononcé. Pour l’accusation, aucun doute il s’agit d’Achoui. L’accusation repose aussi sur les déclarations de l’ex femme de Karim Achoui qui le 19 janvier 2006, raconte aux policiers que la nuit de l’évasion : « il m’a dit qu’on allait être mis sur écoute et que nous allions faire l’objet d’une perquisition. Très tard dans la nuit, il a fouillé partout dans la maison et a pris des papiers qu’il gardait dans sa main. Il a mis ces papiers dans sa mallette pour certainement les emmener à son bureau le lendemain ou les détruire. » Des éléments plutôt minces selon la défense de Karim Achoui qui met en avant le fait que l’avocat n’a reçu aucun coup de téléphone dans la nuit du 11 au 12 mars.
Par ailleurs, les audiences devraient donner lieu à des scènes plutôt cocasses. Alors que Karim Achoui vient de publier un livre sur la tentative d’assassinat qu’il a subie en juin 2007, où il y accuse, thèse difficile à croire, un flic de la police judiciaire d’avoir manipulé un indic pour le tuer, cette autre « affaire » devrait rebondir au procès de Ferrara. Le flic est convoqué comme témoin à la demande des deux avocats de Karim Achoui, Francis Szpiner et Patrick Maisonneuve. Le ministère public ne s’y est pas opposé. Il devrait y avoir des surprises à la barre…
Depuis juillet 2003, le « roi de la belle » croupit donc à la prison de Fleury Mérogis, le plus grand centre pénitentiaire d’Europe, qui abrite d’autres figures du grand banditisme comme Marc Hornec ou Pascal Payet. Mais Ferrara a le droit à un traitement spécial. Il a très vite été placé à l’isolement. Et pour cause, celui-ci n’a pas l’air de vouloir passer trop de temps derrière les barreaux. Dans une note confidentielle datée du 24 novembre 2003, révélée par Frédéric Ploquin dans son ouvrage « Ils se sont fait la belle » (Eds Fayard, juin 2008), des surveillants de la prison relatent un échange révélateur entre Antonio Ferrara, et l’assassin présumé du préfet Erignac, Yvan Colonna lui aussi incarcéré à Fleury-Mérogis, puis avec un terroriste présumé, Djamel Beghal. Ferrara interroge alors ses co-détenus sur les conditions de parloirs, sur le nombre de surveillants dans les miradors et s’étonne de « l’inertie de l’extérieur ». A bientôt 35 ans, « Antonio Ferrara est prêt à tout pour recouvrer la liberté », et c’est son avocat, Paul-Charles Deodato, qui le dit. Mais nul doute que cette fois les flics l’attendent au tournant.
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