Internet a bouleversé le fonctionnement des rédactions. Et la recherche de synergies entre les éditions papier et web ne s’est pas faite sans heurts. Première victime : le journaliste web.
« Ne dites pas à mère que je travaille sur le web, elle croit que je suis journaliste ». Cette phrase, inventée par Elisabeth Lévy et Philippe Cohen, pour leur livre Notre métier a mal tourné [1], valait bien quelques développements tant elle met en lumière les difficultés que traversent les journalistes employés par les sites internet d’information. Précarité, rythme infernal, mépris de la part des confrères de l’édition papier (le print, jargonnent certains) jugée plus noble, salaires insuffisants, conditions de travail parfois limites…. Et le journalisme français ne se presse pas pour dénoncer son nouveau prolétariat.
A quoi ressemble une rédaction Internet classique, du type de celles adossées à des journaux papier ? Un open space, une série d’écrans d’ordinateur branchés sur le fil de l’Agence France Presse derrière lesquels de jeunes journalistes, scotchés à leurs sièges, tapent frénétiquement sur les claviers. Organiser, réécrire, hiérarchiser, titrer, chapôter, trouver une illustration : ici on ne cherche pas l’info, on la rend intelligible. Pas le temps d’aller plus loin, le web impose l’immédiateté et un rythme accéléré par rapport à celui d’une rédaction papier. Un travail de desk donc, et forcément sédentaire, où l’exigence de réactivité régit les conditions de travail. Bienvenue dans le monde merveilleux des sites web d’infos.
La moyenne d’âge n’y excède pas trente ans. Plutôt moins d’ailleurs. Au site Internet du Nouvel Observateur (où l’auteur de ces lignes a passé plus de deux ans), les horaires, inflexibles, sont souvent très matinaux, et les contrats plutôt précaires. (6 CDI, 2 CDD, 7 contrats de professionnalisation qui alternent travail et école, et 3 stagiaires). Les rédactions web et papier sont séparées. Au print, les étages historiques de l’immeuble de la place de la Bourse ; au web, une pièce au rez-de-chaussée avec vue sur les poubelles. C’est sans doute pour cela qu’il est rare d’y croiser des journalistes du print. A moins que ce ne soit par mépris. Récemment, Denis Olivennes, le nouveau patron de l’Obs n’a t-il pas parlé lors d’une conférence de rédaction des « gens d’internet » ? Avec pour effet immédiat de mécontenter certains journalistes de la rédaction web.
Mais, pour ce prix-là, et les directions ne se privent pas d’utiliser l’argument, le jeune journaliste qui a tout à apprendre et tout à prouver, met un pied dans une grande rédaction. Ce qui, aujourd’hui, il faut bien le reconnaître n’est pas chose aisée. Prière donc de ne pas trop se plaindre. La file d’attente est longue, et personne n’est indispensable. Message reçu. Rentrer dans le rang ou dégager.
Et bien souvent, le rythme de travail est plutôt soutenu. Au site LePoint.fr, une dizaine de personnes se relaient de 7 heures à 20 heures, du lundi au vendredi, produisant 500 000 signes par jour, ce qui correspond à 30 à 40 articles quotidien. Dans un compte-rendu de la SDR d’avril 2008, cette phrase plutôt révélatrice : « Dans la mesure du possible, les rédacteurs du site tentent d’apporter de la valeur ajoutée par rapport aux dépêches d’agences ». Dans la mesure du possible donc. Amis journalistes, préparez vous donc à bâtonner de la dépêche. Aux talentueux et expérimentés journalistes du print la recherche de l’information, aux jeunes journalistes du desk le soin de l’habiller et de la vendre au mieux, et au plus vite. Et surtout sans faire de l’ombre à la sacro-sainte édition papier.
Eric Mettout, rédacteur en chef de L’Express.fr explique à Bakchich : « C’est vrai qu’il y a un gros travail de desk, mais les tâches sont tournantes. Les journalistes sortent faire des reportages, ils font de l’editing, ainsi que de la gestion de communautés. Et il y a une vraie émulation au sein de l’équipe. »
Un journaliste web d’une grande rédaction nationale plutôt remonté raconte à Bakchich : « Le rythme du net est tellement différent qu’on ne se comprend pas avec les journalistes du print. C’est une autre culture. Ca se rapproche plus du rythme de la radio. Alimenter un site en permanence génère une tension continuelle qu’il est difficile de saisir quand on ne la vit pas. Quant aux conditions de travail, je crois que les directions ne misent pas sur le salarié car elles savent pertinemment qu’il tiendra le ryhtme 4/5 ans tout au plus. Quel est l’intérêt alors pour elle d’investir en salaire et en formation ? Nous avons un profil de cadre, des responsabilités et un stress de cadre, mais le revenu ne suit pas. C’est le règne de la précarité. »
Au Figaro.fr, les journalistes web sont payés par l’Agence presse interactive (API), la société éditrice du site, ce qui comme le souligne un délégué syndical de la maison, « arrange la direction qui du coup n’est pas obligée de se poser des problèmes de mise en conformité avec la convention collective du groupe ». « D’ailleurs l’équipe du web n’a pas de délégués du personnel ou de représentants syndicaux », ajoute-t-il perfidement. Manque de temps, sans doute… Une situation qui n’empêche pas le Figaro de s’autocongratuler sur le nombre de ses visiteurs uniques. De son côté, le SNJ, contacté par Bakchich, n’ignore pas ces problèmes et déplore une « précarité organisée ».
Si ces journalistes plein d’entrain ont parfois le plaisir de sortir sur le terrain pour réaliser des vidéos, il n’en reste pas moins que leur rôle est parfois difficile à définir. Ainsi, en avril dernier, alors que la direction du Parisien préparait la création d’une rédaction unique, mélangeant journalistes papier et web, les délégués SNJ du journal s’inquiétaient de ce que la direction « envisage qu’une partie des postes dédiés soit affectée » à une « sorte de secrétariat de rédaction ». Et s’interrogeait : « Depuis quand des accords d’entreprise "envisagent" des "sortes" de dispositions, alors qu’ils devraient définir des procédures et fournir des garanties ? ». D’ailleurs les journalistes en ligne sont rarement responsables de rubrique, la direction leur préférant la polyvalence. De manière à ce que l’équipe puisse réagir à tous les sujets d’actualité chaude. Mais ce qui les empêche de se spécialiser, et rend plus difficile pour eux une éventuelle reconversion vers un autre support.
Du fait de son histoire, Le Monde est un cas un peu à part. Le Monde.fr est une filiale du groupe détenue à 34% par Lagardère. Historiquement les deux rédactions fonctionnent de matière quasi-autonome et se regardent de loin (environ 3km séparent leurs locaux respectifs) et avec méfiance car confie un journaliste du groupe, « il ne s’agit pas du même Monde ». De nombreux conflits ont opposé les deux rédactions sur les modalités d’un travail en commun. Mais la réflexion se poursuit. Un comité de rédaction qui s’est tenu mardi 21 octobre avait pour thème l’amélioration des synergies.
Quant à 20minutes.fr, qui en quelques années est devenu l’un des premiers sites d’infos, les salariés ne semblent pas les plus mal lotis. Même si la direction leur a récemment coupé la tête en mettant à pied Johan Hufnagel, leur rédacteur en chef, qui de l’aveu de beaucoup était très apprécié. Au moins ont-ils un baby-foot pour se détendre…
Plus généralement, dans un rapport qui n’a pas encore été rendu public mais que Bakchich s’est procuré, intitulé « Mutations de la filière Presse et Information », les chercheurs Franck Rebillard, Béatrice Damian-Gaillard et Nikos Smyrnaios, maîtres de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication [2] affirment que face à la révolution numérique « la logique gestionnaire paraît avoir pris une place majeure au sein des groupes de presse, au point de venir s’immiscer jusque dans l’encadrement des rédactions », ajoutant : « Ceci pose question quant à la marge de manœuvre des créateurs qui, sans être annihilée, pourrait voir se réduire les possibilités d’innovation et donc de diversité des contenus. »(…) « les journalistes spécialisés dans le numérique effectuent un travail qui est rarement un travail de création et beaucoup plus souvent un travail de retraitement ou de ré-écriture d’informations existantes. »
Et de noter par exemple qu’« aux Échos, le travail essentiel des rédacteurs Web semble consister à alimenter le site en informations d’actualité, principalement à partir d’un travail de desk : appui sur les dépêches d’agences de presse, étude des communiqués et des rapports d’activité des entreprises à partir de leur site Web, et, plus rarement, appels téléphoniques auprès des protagonistes. » (…) « En résumé, c’est donc un bilan pour le moins mitigé puisque le surplus de rédaction généré pour le numérique n’est pas intégralement alloué à la création, mais plutôt orienté vers un retraitement industrialisé de l’information (Rebillard, 2006). »
Deux générations de journalistes, deux médias pour lesquels il faut trouver des synergies et créer des passerelles. Un défi dont ont commencé à se saisir toutes les grandes rédactions encore faut-il que leurs directions respectives comprennent que tenir compte de la relève peut être une bonne idée pour l’avenir.
Pour savoir comment fonctionne au quotidien la rédac d’un site d’info « pure player » (un jargon incontournable signifiant « non adossé à un journal papier »), cliquez ici
À lire ou relire sur Bakchich.info :
[1] éd. Mille et Une nuits, janvier 2008
[2] Frank Rebillard, Béatrice Damian-Gaillard et Nikos Smyrnaios sont respectivement Maître de conférences à l’Institut de la Communication – Université Lyon 2, Maître de conférences à l’IUT de Lannion – Université Rennes 1 et Maître de conférences à l’IUT de Castres - Université Toulouse 3.
sur internet, t’as interet a pas raconte de conneries ou relayer des mensonges d’etats car tu te grilles de suite… tu fais ton job correctment et de facon la plus neutre… tu buzzera tous les jours et tu pourras gagner un epu plus d’argent dans ta vie de tous les jours… pourquoi ?
Parce que les gens ne lisent plus le print et regardeent en diagonales les infos Tv… quand ils veulent s’informer ils passent sur le net et plutot pas par des sites de journaux conventionnels mais sur des sites ’alter’ reconnus pour passer les infos verifiees cinquantes fois plus que dans les journaux conventionnels… des sites comme ca… il y en a en pagaille, ton site doit paraitre ’underground’ du net, si t’es un hypocrite qui veut de la tune… si tu veux faure ton metier normalement… fais le et tu verras tu peux faire entre 10 a 45 000 visites par jours… tu regles ton site avec des arrangeurs publicitaires et voila… une entree d’argent correcte juste en etant honnete… mais si tu veux faire de l’info ’systeme’ sur le net… prepares toi a pointer aux assedics, parce que tu fais pas le poids avec ce qu’on trouve sur le net.
AS
En exemple à mon message précédent, admettons que la crise financière 2008 ait retenu l’attention d’un site journalistique WEB. Ne serait-il pas intéressant d’avoir au jour le jour l’évolution de la situation, des positions des acteurs, des actions engagées. Mais, avec une mise en ligne, pas obligatoirement au jour le jour, mais avec du recul -pourquoi le XX/10/2008 la bourse a monté ou descendu, le XX/10/08 annonce d’un plan d’aide aux PME, le XX/11/2008 résultat du plan d’aide-, et tout cela au sein d’un même article revisité quand nécessaire tout en conservant l’orientation de la rédaction.
Outre son action au jour le jour, il me semble que le journalisme WEB pourrait être un outil formidable de rassemblement d’informations dispersées , d’analyse du présent au regard d’hier.
Un boulot d’historien sur le tas quoi, mais pas a chaud.
Pourquoi le journalisme WEB n’a pas intégré la notion de pérennité… L’espérance de lecture d’un journal papier est de l’ordre de la semaine.
Le journalisme WEB n’est limité que par la capacité de stockage du serveur mais sa mémoire peut être éternelle (enfin …).
Pourquoi le journalisme WEB ne s’oriente pas sur 2 axes :
— L’actualité du jour (comme maintenant, au rythme effréné )
— L’analyse de fond sur des sujets redondants dans les actualités, traitée dans le genre WIKIPEDIA gérés par les journalistes (Il ne s’agit pas d’archives d’articles, mais bien d’enrichissement, d’évolution d’un point de vue,de l’histoire des idées ,des comportements, des structures - et vous pourriez utiliser les compétences des journalistes "papier" tout en offrant aux journalistes coups de vent, une chance de se reposer - ).