Début septembre, en marge d’une réunion des ministres européens des Transports, le secrétaire d’État et président du Conseil général de Charente-Maritime, Dominique Bussereau, a fait la promo d’un peintre de l’île de Ré. De quoi entretenir des amitiés franc-maçonnes utiles à un destin charentais…
C’est un blanc dans le programme officiel qui a failli passer inaperçu. Un trou de quelques heures dans l’emploi du temps des ministres des Transports de l’Europe, réunis à la Rochelle les 1er et 2 septembre derniers. Organisateur de la réunion, le sous-ministre des Transports Dominique Bussereau, qui est également patron du Conseil général de Charente-Maritime, a connu son heure de gloire. Et en a peut-être aussi un peu tiré sur la corde.
Le premier jour, après une courte après-midi de travail, « Bubusse » a entraîné tout son petit monde — ministres et commissaires européens — sur l’île de Ré. De tels raouts donnent toujours lieu de la part du pays qui invite, à quelques escapades permettant de joindre l’utile à l’agréable. Par exemple, on sait officiellement que Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, conduira, fin septembre, ses homologues manger de la tome des Bauges dans un alpage au dessus d’Annecy. Histoire de défendre la politique agricole commune (PAC) en montrant qu’elle donne de bons fromages.
Mais avec cet ancien DL de Bussereau, rien d’aussi franc du collier. On cherche le rapport avec la choucroute. À peine si, la veille, ses services ont confessé à la presse locale – deux lignes dans Sud-Ouest et la Charente Libre – la possibilité de l’île. L’excursion n’a fait l’objet d’aucun compte-rendu. Et pour cause, les journalistes étaient proscrits ! Illusoire pourtant de quitter La Rochelle en catimini… Une escouade de voitures officielles, trimballant près d’une trentaine de ministres et leurs suites, le tout filant à fond de train, escorté par une cohorte bruyante de motards de la République, sous l’œil d’un hélico, ça fait forcément du bruit dans la campagne charentaise…
Destination finale : la demeure très cossue d’un artiste habitant la commune de la Flotte en Ré, lorsqu’il n’occupe pas sa maison parisienne de la Butte aux Cailles. L’heureux élu est le peintre et sculpteur Richard Texier, très à la mode dans les années 80 et 90 et qui a exposé plusieurs fois à l’étranger. Coïncidence, l’artiste a eu droit, fin août, à un reportage promotionnel dans Figaro Madame intitulé « Dolce vita chez Richard Texier ». Du prémonitoire en somme ! « Pineau, champagne, et autres apéros agrémentés d’huîtres, l’ambiance était détendue, relate une mouche du coche présente à la petite sauterie secrète des officiels européens. Une ministre était pieds nus dans la pelouse, un autre affalé sur un canapé. Certains ont bu comme des trous. » Quand caméras et photographes ne sont plus là, on redevient humain…
Bussereau et Madame, eux, ont surtout joué les agents en relations publiques de l’ami peintre. « Avec Martine, nous avons passé le réveillon ici, c’est très agréable. Le lendemain, on a dégusté des huîtres », a-t-il vanté devant les 26 autres délégations européennes en faisant visiter les dépendances. Vrai maître de cérémonie, l’élu charentais n’a pas oublié de veiller à la diffusion du talent artistique du peintre. Les visiteurs sont repartis chacun avec un tableau, payé, comme les frais d’apéro, sur le budget de… la présidence française de l’Union européenne. Malgré tout, certains sont restés de marbre après la visite. « Ses œuvres sont plutôt laides à souhait » a lâché un affreux rabat-joie.
Personnage mystérieux pour certains, Texier a beaucoup vécu des commandes publiques, nationales ou locales. « C’est un bon copain de Raffarin, et Bussereau a au moins une œuvre de lui dans un de ses bureaux », raconte un connaisseur. Le secrétaire d’État aux Transports ne collectionne donc pas que des objets de Tintin ? Au-delà des cercles raffarinesques, Texier plait aussi à Dominique de Villepin, grand amateur d’art. Il compte aussi des fréquentations dans la gauche locale : le maire PS de la Rochelle Maxime Bono, Lionel Jospin lorsqu’il habitait l’île de Ré, mais aussi l’ennemie de ce dernier, Ségolène Royal. L’an passé, en marge de l’Université d’été du PS, la présidente du Poitou Charente est venue faire un tour chez Texier. « Bref c’est un artiste œcuménique… » commente un observateur avisé. Bien vu ! Le peintre est l’auteur d’une toile intitulée « Le Franc maçon en habit de lumière », visible au musée de la Grande loge nationale française (GLNF). Amusant quand on sait que la GLNF est aussi la loge à laquelle est réputé appartenir Jean-Pierre Raffarin, dont le gouvernement, en 2003, a attribué à Texier le titre de peintre officiel de la Marine nationale.
La mer, les bateaux… c’est justement le fil ténu qui a conduit Bussereau à justifier le détour des ministres des Transports de l’Europe entière chez le Texier. Maintenant on comprend mieux. Il s’agissait sans doute d’initier l’Europe aux œuvres du peintre et de faire savoir discrètement, au milieu des notables locaux, que Bussereau lui aussi connaît bien cet artiste… Un peu usé par bientôt un septennat au gouvernement et avec une marge de manœuvre politique réduite comme adjoint du ministre de l’Écologie Borloo, l’ami Bussereau prépare à l’évidence son repli local.
En mars dernier, il a déjà récupéré le fauteuil de président du Conseil général de Charente-Maritime en prenant la place de son collègue UMP, Claude Belot. Une jolie planque avec bureau et studio donnant magnifiquement sur l’océan. L’élu a marqué son territoire « en exigeant une marque de serviettes et de savonnettes particulières » croit savoir un indiscret. En fait, le sous-ministre qui redoute peut-être d’être viré au prochain remaniement vise déjà les régionales de 2010. Objectif : reprendre le Poitou-Charentes, région de Raffarin conquise en 2004 par Ségolène Royal. Sûr qu’un cortège de voitures officielles avec plein de ministres de toute l’Europe invités par Bubusse, ça impressionne déjà l’électeur.
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Un secrétaire d’État emmène durant la pause ses collègues chez un peintre officiel. Au lieu d’aller au foot ou au bordel. Bien. Pas même de caviar sur place, mais des produits locaux. Bon. Mais ils seraient francs-maçons. Francs-macs, coco, plutôt. C’est mieux. On y aurait dit que… Et un autre croit savoir que… Même que…
Monsieur Borne (forcément, ça limite), savez-vous ce que « plumitif » veut dire ?