Parlons d’un temps que les moins de vingt ans auraient pu connaître La douce et belle époque du transistor, cette radio qui se balladait partout.
C’est clair comme de l’eau de roche : les gens qui ont eu vingt ans en 1968 (et certains s’obstinent à penser que c’était le plus bel âge de leur vie) ne seraient jamais descendus dans les rues si le poste de radio était resté sur l’étagère de la cuisine.
Là, il trônait en hauteur, massif et bien ciré, et se prolongeait par un long ressort de cuivre qui faisait le tour du plafond pour capter « Signé Furax » ou « la minute de Saint-Granier », moment de sagesse lamentable où l’on flétrissait la jeunesse à longueur de minutes : malpolis, mal coiffés, incapables de céder leur place aux mutilés dans l’autobus, ces rejetons d’un après-guerre bordélique laissaient des cailloux dans les lentilles et ne rangeaient pas leurs outils dans l’atelier. Des « speakers » aux voix de barytons Martin déclamaient les « informations », et les présidents du Conseil de cette République versatile valsaient dans un silence attentif qui coïncidait, chaque soir, avec la soupe de légumes. Mon père était très fier de son appareil, et vantait sa beauté en le disant « superhétérodyne », sans trop savoir en quoi consistait cette vertu, puisqu’il lui arrivait d’appliquer le terme à tout instrument perfectionné et même à Danielle Darrieux, dont il appréciait la silhouette.
Et vers la fin des années 50, avec autant de culot, un composant électronique donna son nom abscons à la petite merveille : une radio capable de marcher sur piles, et donc d’aller partout. Au lycée, à la plage, en auto. Du coup, bien des gens apprirent que, dans leur gros ventre, les postes précédents cachaient des lampes, et que celui-ci n’en avait plus ; et pourtant, son cadran s’allumait quand on tournait le bouton ; devenue transportable, la radio restait magique. Le volume des postes fut divisé par trois, et la bakélite remplaça le bois ; des couleurs apparurent, jaune poussin, gris souris, grenat ; le prix dégringola, on céda aux supplications du petit (mais pourquoi, soudain, cette envie d’écouter de la musique à tout moment ?) ; le père Noël ou la marraine de Carpentras firent le reste. Désormais, le cadran des stations était volontiers rond, on y faisait tourner une aiguille rouge qui parcourait les gîtes des ondes longues (les meilleures), moyennes (celles des vieux postes) et courtes (crachotantes) pour y dénicher, au millimètre près, l’émetteur efficace.
Comme on pouvait désormais lire de près cette boussole à ondes, on y vit apparaître des noms parlant d’Europe et de Monte-Carlo, à côté du Poste Parisien, qui rappelait Radio-Paris de sinistre mémoire, et de repères mystérieux tels qu’Allouis, Beromunster, Sottens ou Hilversum, qui diffusaient d’on ne sait où. Sur certains cadrans ambitieux, il y avait même Berlin, Riga et Moscou. Pour faire riche.
Le transistor devint le compagnon des enfants du baby-boom, le complice de leur puberté, le Méphisto de leurs rêves : ils lui vendirent sinon leur âme, du moins leurs oreilles. Ils l’emmenèrent d’abord à côté de leur lit, et parfois sous leurs draps. Avec la lampe de poche, qui permettait de lire clandestinement jusqu’à des heures indues, il fut le matériel de grandes évasions, dans la maison où les adultes fatigués s’assoupissaient tandis que Zavatta s’échinait sur la « Piste aux Etoiles » de Gilles Margaritis, à l’heure où l’on avait envoyé les petits enfants au lit et où les grands enfants affrontaient leurs pulsions pubertaires vespérales. De la collection Rouge et Or, on bondit à Salut les Copains, on découvrit les magazines pour ados, les photos de chanteurs, les « secrets de beauté », le courrier du coeur où se posait de façon lancinante la question des limites morales et tactiles du flirt, et tout cela se fit en musique, grâce au transistor. L’acné juvénile devint une maladie préoccupante, chacun voulut sa chambre, on raccourcit les jupes, on rallongea les cheveux, bref, le foutoir commença. Mais aussi, c’est un transistor qui, un jour de février 1962, apprit à des lycéens qu’il y avait eu des morts à la station Charonne, et pour s’en inquiéter, au lieu de féliciter le Préfet Papon. Sur nos stations préférées, il n’y avait pas que de la musique. On n’allait pas tarder à le comprendre.
Mais la révolution fut aussi esthétique. Radiola, Visseaux, Ducretet-Thomson, Optalix, Grandin, les marques proliféraient, inaugurant l’abondance de la société de consommation. De la bakélite, on passa au plastique, et le transistor fut un des objets sur lequel le design naissant se déchaîna. Les formes géométriques aux angles nombreux et vifs, qui sévissaient dans le dessin publicitaire et aiguisaient les pieds des meubles, trouvèrent sur ces parallélépipèdes des façades à diviser dissymétriquement : plans,cercles, lignes, bien des modèles semblent modestement décliner les leçons de Kandinski. D’autres optaient, au contraire pour une rigueur métallique et fonctionnelle, cadran sur le dessus, touches multiples alignées comme sur un clavier et procurant le beau geste moderne d’enclencher d’une ferme poussée de l’index, au lieu de tourner un bouton comme cela se faisait déjà avant-guerre… Mais aussi, je me souviens d’un appareil moulé dans le plastique de façon à ressembler à une de ces petites valises d’osier tressé dans lesquelles on serrait une douzaine d’oeufs achetés au crémier. Un transistor « à l’ancienne », en quelque sorte. La couleur s’est délavée, elle ressemble aujourd’hui à la croûte d’un Pont-l’Evêque. Tenez-vous bien, il marche encore.
Ah oui, le transistor !! Ça tombait moins en panne que les outillages modernes et c’était réparable mais le son était moins bon.
On écoutait les retransmissions de l’orchestre symphonique de Monte Carlo (le dimanche soir si je me souviens bien) chez mes grands-parents.
En semaine chez les parents, déjà le jeu des mille francs………
Et puis, il y avait Radio Caroline, faut pas l’oublier avec le reste de la panoplie, cheveux longs, fleurs aux tifs et fringues joyeuses. Une musique pas banale ; la première radio libre si je ne me trompe et qui chérissait la mer :-) Tout le monde ne pouvait pas capter en France mais quand on la chopait, quel pied !!!!