« Le Point » affirme publier le meilleur des Carnets de l’ancien patron des RG Yves Bertrand. Il s’agit en fait d’extraits, soigneusement choisis
« Un voyage sous les jupes de la République ». C’est ainsi que le Point annonce aujourd’hui la publication intégrale des vingt-trois carnets de celui qui fut pendant douze ans, sous la Gauche comme sous la Droite, le tout puissant patron des Renseignements Généraux (RG). Coucheries des grands de ce monde, petits secrets de la République, l’affiche est alléchante. Et notre as des services se révèle un graphomane remarquable, le général Rondot est définitivement dépassé. Les carnets d’Yves Bertrand se trouvent, depuis aujourd’hui jeudi, en tête de gondole.
Sauf que ces extraits croustillants ont été soigneusement triés par l’intéressé lui même. En effet, le Point ne possède aucun carnet après 2003. ce qui est dommage. Yves Bertrand, chiraquien notoire, est à cette époque au cœur des secrets de la République. Il voit régulièrement Philippe Massoni, patron des RG comme lui, devenu le conseiller spécial de l’Elysée auprès de Chirac. Et ces deux-là, peut-on imaginer, avaient sûrement quelques lumières sur l’affaire Clearstream et quelques autres.
D’ailleurs, les deux juges, Pons et d’Huy , qui ont enquêté sur cette affaire de faux comptes bancaires, ont eu l’intuition qu’il serait instructif d’aller perquisitionner chez Yves Bertrand. Ce qu’ils ont fait, l’hiver dernier.
C’est ainsi qu’ils ont découvert, à son domicile, les précieux carnets. Enfin, du moins, une partie de la collection, jusqu’en 2003 ! Et encore, de nombreuses pages avaient été soigneusement arrachées. « Grincheux », comme le surnommaient ses hommes, avait l’habitude de dissimuler ses carnets derrière la boite de ses chers chats, les seuls êtres au monde en qui il ait vraiment confiance. Mais les collections jusqu’en 2003 étaient enfouies à la cave, où les flics chargés du dossier Clearstream les ont facilement découvertes, avant de les placer sous scellés.
Hélas, les deux juges qui ont enquêté sur l’affaire Clearstream, Zig et Puce, n’ont jamais eu la curiosité de demander à Yves Bertrand où il avait planqué les autres carnets, plus récents. Et les journalistes du Point ne se sont pas montrés plus curieux ! Autrement dit, les carnets dont on dispose aujourd’hui sont ceux que le commissaire Bertrand a soigneusement mis à la disposition des juges dont il savait qu’ils allaient perquisitionner un jour ou l’autre son domicile.
Reste qu’Yves Bertrand s’est livré, durant les douze ans où il fut patron des RG, à un travail monacal et méthodique. Au quatrième étage de la rue des Saussaies, les portes doublement capitonnées de son bureau étaient toujours largement ouvertes. Son péché mignon était d’être un obsédé du contact, un accro du renseignement, un entomologiste des réseaux.
Il recevait beaucoup, beaucoup de journalistes, dont l’auteur de cet article, autour d’un whisky ou d’une tisane, c’était selon. Ces jours-là, il recueillait les informations ou les rumeurs avec délectation, une sorte de jubilation dans le regard. Et il notait le moindre propos sur de petites fiches cartonnées. Le visiteur parti, l’ami Bertrand recopiait au propre, dans ses fameux carnets, le meilleur de ses multiples conversations. Coucheries, ragots, rien ne lui était étranger. Du travail à l’ancienne !
« On va à la bibliothèque ». Dans certaines rédactions, c’est ainsi qu’on nommait les visites chez le commissaire Bertrand. Certains confrères allaient même à la soupe. Ces jours-là, le patron des RG appelait son comptable qui lui remettait une petite enveloppe avec laquelle quelques uns repartaient. De là à voir en Bertrand « un Talleyrand des RG », comme l’avait fait le Point dans un ancien numéro, il y a un fossé. L’air mi bonnasse, l’air mi renfrogné, le commissaire fait plus penser au sergent Garcia qu’au Saint Simon de la Cinquième République. Et ses carnets sont à prendre avec des pincettes, et en se bouchant le nez. Tout comme il aurait fallu considérer le faux listing des comptes bancaires Clearstream, que le Point- encore lui- avait publié avec fracas dans un numéro de l’été 2004. A l’époque, un certain Marc Francelet, ami de FOG, le patron du Point, trainait beaucoup dans les couloirs. Et c’était un interlocuteur régulier du commissaire Bertrand, un habitué de la rue des Saussaies. Comme le monde est petit !
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