Le 8 décembre 1991, le drapeau rouge orné de la faucille et du marteau est rangé dans les tiroirs, et avec lui l’empire soviétique. Exit l’URSS. Si c’est un bouleversement politique majeur, il cache les permanences du système russe, dont les véritables gardiens restent les services secrets. Avec l’ouvrage, « Les espions russes de Staline à Poutine », sorti en mai 2008, bienvenue dans l’univers des 007 russes et les petits dossiers d’un Monsieur X…
Quitter les rives de l’histoire officielle pour explorer les coulisses du pouvoir, c’est le propos de cet ouvrage sur les espions russes qui regroupe les chroniques radiophoniques de l’énigmatique Monsieur X et son complice, le journaliste et historien Patrick Pesnot.
Cette plongée dans les arcanes d’un système, de l’ère stalinienne à la présidence de Vladimir Poutine, met en lumière avec brio une caractéristique majeure des membres des services secrets outre-Oural : le pragmatisme. À sa lecture, on comprend que les différents moyens utilisés par les membres du FSB (ex-KGB, Tcheka, NKVD, Guépéou) avaient pour objectif, non pas la seule préservation du système communiste, mais celle plus globale de la puissance et de l’ordre russes. Les armoiries du KGB - le glaive et le bouclier- traduisent cette priorité. « Le glaive, pour les actions menées à l’extérieur du pays : espionnage, désinformation, opérations spéciales. Le bouclier, pour l’action intérieure, c’est-à-dire essentiellement le contrôle de la population ».
Le parcours d’un éminent dignitaire des services secrets russes, Iouri Andropov, illustre de manière éclatante ce que signifie être au service d’un intérêt supérieur. L’homme qui employa tous ses moyens –avec succès- pour mater les insurgés du printemps de Prague en 1968, de l’infiltration d’ « illégaux » en terre tchécoslovaque à la désinformation du Kremlin lui-même, sera celui qui, au début des années 1980, lors de sa brève présidence, initiera les mouvements de la perestroïka [1] et la glasnost [2], repris par la suite par Gorbatchev. Opportuniste ? Réaliste à coup sûr.
Finalement, au-delà des destins particuliers d’espions et d’hommes politiques, c’est cinquante ans d’histoire qui sont disséqués là, avec le souci constant d’explorer le dessous des cartes, d’interroger les thèses officielles mais aussi les plus hasardeuses. Ainsi, si Gorbatchev apparaît aujourd’hui comme la victime du putsch de l’été 1991, comment se fait-il que le maître du Kremlin n’ait pas tout tenté pour empêcher ce coup d’État dont même Washington avait eu vent ? Les deux auteurs parient sur un calcul politique malheureux qui a finalement laissé la victoire à Boris Eltsine. Une analyse qui rappelle que l’histoire d’un pays, si elle se construit sur des stratégies politiques extrêmement rodées et complexes, repose également sur une part d’imprévu, une marge d’erreur non prévisible.
Lire et relire sur Bakchich :
[1] « reconstruction, restructuration » en russe, politique de réformes économiques et sociales
[2] « transparence » en russe, politique de liberté d’expression