Le jeune GI, auteur présumé de la fuite massive de documents militaires sur Wikileaks, attend sa comparution devant une Cour martiale et déchaîne des débats socio-politiques passionnés.
Bradley Manning, l’auteur présumé de la fuite massive de 90 000 documents militaires secrets publiés par Wikileaks attend, au secret, sa comparution devant une Cour martiale.
S’il l’a vraiment commis, l’impact de son geste sur l’issue de la guerre que mène les USA et leurs alliés en Afghanistan demeure hypothétique.
Ce qui est certain en revanche, c’est que le jeune bidasse de 22 ans se retrouve au centre des débats socio-politiques les plus passionnés qui agitent l’Amérique profonde en ces temps de mi-mandat présidentiel.
Du côté de ses supporters, récemment rejoints par Noam Chomsky, le linguiste, philosophe, auteur prolifique et activiste politique qu’on ne présente plus (« c’est un privilège de me joindre à la campagne de soutien de Bradley Manning pour son courage et son intégrité au service de son pays, en ayant aidé à contraindre le gouvernement à répondre de ses actes devant ses citoyens et en informant le monde de ce que ses peuples doivent savoir… ») on retrouve la cohorte des irréductibles libéraux gaucho-pacifistes qui dénoncent notamment les atrocités subies par les populations civiles que les états-majors s’efforcent de dissimuler à l’opinion publique.
La version du Département de la Défense prend évidemment l’exact contre-pied de cette thèse en affirmant que les fuites ont mis en danger la vie des soldats engagés et de leurs informateurs locaux.
La prise de position du Colonel en retraite Ann Wright sous forme d’une lettre ouverte du 18 septembre reproduite par un grand nombre de médias, a jeté un trouble supplémentaire dans les esprits ; extraits :
« …Une grande partie de mon expérience concerne les lois de la guerre. La plupart des Américains ne réalisent pas que nos guerres en Irak et en Afghanistan ont violé des lois nationales et internationales, violations prouvées par les documents que Manning est accusé d’avoir remis à Wikileaks…Quand je suis entrée dans l’armée américaine, tout comme Manning, j’ai prêté serment de protéger la Constitution et le peuple américain. C’est ce qui m’a conduit à démissionner quand les USA ont envahi l’Irak en 2003.
La protection de la Constitution prime sur le respect des ordres et Manning devrait être félicité pour avoir pris la bonne décision. Bradley Manning est un patriote de notre démocratie qui est demeuré loyal à ce qui est bien, au risque d’en subir les conséquences pour sa sécurité. Sa loyauté à la Constitution et au peuple américain transcende toute espèce de politique partisane. Tout comme Daniel Ellsberg vis-à-vis des mensonges des dirigeants américains au sujet de la guerre du Viet Nam, Manning est accusé pour avoir attiré l’attention sur l’illégalité des guerres d’aujourd’hui… »
Des propos inacceptables pour la droite américaine la plus conservatrice qui, depuis peu, a placé le débat sur un autre terrain : celui de la doctrine « DADT – Don’t ask, don’t tell » qui définit la position actuelle – de plus en plus critiquée de toutes parts – de l’armée américaine sur l’homosexualité. Selon ce principe qui découle d’une loi fédérale, l’armée s’interdit en effet d’entreprendre quoi que ce soit pour déterminer l’orientation sexuelle des militaires et des candidats au recrutement tout en excluant ceux « qui démontrent une propension ou une intention de se livrer à des actes homosexuels….qui créeraient un risque inacceptable pour le moral, l’ordre, la discipline et la cohésion qui sont l’essence même de l’efficacité militaire… ».
Le Family Research Council, (FRC) émanation de la droite conservatrice et puritaine un brin adepte de notre célèbre slogan un peu oublié « Travail, Famille, Patrie », n’est pas en reste. S’appuyant sournoisement sur un article du quotidien anglais Daily Telegraph du 30 juillet, le FRC a décidé de porter ses coups en dessous de la ceinture ; et l’éditorialiste de son site s’en donne à cœur joie : « …Il s’avère que Manning est un activiste extrême de la cause homosexuelle dont la fureur contre la doctrine militaire en la matière pourrait bien l’avoir poussé à publier des documents militaires ultra secrets… ».
Le FRC repasse une couche couleur arc en ciel un peu plus loin : « Selon le Telegraph, Manning a une longue histoire de militant en faveur des gays, lesbiennes et transsexuels ; des sources affirment même qu’il aurait pu être sur le point d’envisager de changer de sexe au moment ou il a fuité sur Internet… » avant de conclure : « …malheureusement pour nous tous, la trahison de Manning confirme douloureusement ce que ne cessent de répéter des groupes comme le FRC : l’instabilité qui caractérise le mode de vie homosexuel est préjudiciable à l’aptitude militaire… »
Alors, le soldat Manning est-il un héros ou une folasse manipulée par les talibans ? Seule certitude, sa mère, Susan et son oncle Kevin Fox, ont été littéralement dévastés en entendant l’amiral Mike Mullen, président du US Military’s joint Chiefs of Staff, affirmer avec une rare violence « que les fuitards pourraient bien déjà avoir sur les mains le sang de jeunes soldats ou celui de familles afghanes ».
Étonnant comme c’est facile de charger une mule. Bradley Maning aurait du sang sur les mains… Mais ceux qui ont ont vraiment du sang sur les mains, ce ne serait pas plutôt ceux qui ont déclaré la guerre ? LE président, les ministres, les conseillers, les généraux….
Encore une fois, les vraies questions sont éludées, les vrais responsables sont protégés.