En plein mois d’août, la nouvelle direction de RFI, sous la houlette de Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac, a viré, pour faute grave, un des meilleurs spécialistes de politique étrangère de la radio, Richard Labévière. Sous prétexte qu’il a commis l’irréparable en obtenant un entretien exclusif, le 11 juillet dernier, avec le président syrien. Et pire encore, en collaborant avec ses collègues de TV5, en voie pourtant de rapprochement, croyait-on, avec RFI.
Qu’en plein été, entre Jeux Olympiques et embrasement en Georgie, la nouvelle direction de RFI licencie, pour faute grave, un des meilleurs spécialistes de politique étrangère de la station présage mal des projets de regroupement de l’audiovisuel extérieur. Le règne de la reine Christine, comme on baptisait Ockrent du temps de sa splendeur, et de son coadjuteur, Alain de Pouzilhac, débute fort mal. Et on ne parlera pas de la lettre antidatée de Pouzilhac découverte la veille du conseil de discipline, par les défenseurs du journaliste. Laquelle lettre le licenciait avant de l’avoir entendu, ce qui est simplement illégal. Quelle importance ! Comme le faisait remarquer une rédactrice en chef, nommée par les nouveaux patrons de RFI : « Peu importe que des recours soient déposés, lorsque l’affaire sera jugée, nous ne serons plus en place ». C’est ce qui s’appelle nettoyer une rédaction au kärcher !
Revenons à la « faute grave » qui vaut à notre confrère un tel traitement après de nombreuses années passées à travailler pour le service public, tout à tout rédacteur en chef, éditorialiste puis animateur d’une émission hebdomadaire. Grand connaisseur du monde méditerranéen, dont il connaît les arabesques, Richard Labévière a réussi, à la veille du sommet organisé par le chef de l’Etat en juillet, à obtenir une interview avec le président syrien.
« Cet entretien présente un intérêt éditorial évident », reconnaît dans une lettre à Labévière, le 3 juillet, la nouvelle patronne de la rédaction de RFI, une certaine Geneviève Goëtzinger. Et la même de lui reprocher, en termes mesurés, de ne pas avoir averti suffisamment tôt sa hiérarchie. Le contentieux aurait dû en rester là et le pêcheur pardonné. Cet excellent journaliste, qui connaît Damas comme sa poche, n’avait-il pas obtenu une interview exclusive pour RFI et TV5 que ses collègues du « desk » Moyen-Orient avaient été bien en peine de négocier ?
Et bien non, la faute était terrible et quelques jours plus tard, la procédure de licenciement engagée contre ce journaliste dont le tort était d’avoir fait son travail. « Vous avez fait bénéficier d’autres entreprises de la primeur de cette interview », lui explique la directrice des relations humaines de la station. La faute grave, la voici : TV5 a diffusé l’entretien avec le président syrien le 9 juillet, et Labévière, dans son émission sur RFI, deux jours plus tard. Diable, le cas est pendable puisqu’il s’agit de deux entreprises destinées à cohabiter bientôt au sein de « France Monde », qui devrait regrouper l’audiovisuel public extérieur. « Vous avez gravement porté atteinte à l’image et à la crédibilité de RFI qui apparaît tributaire de TV5 (…) », poursuit la direction des ressources humaines.
Disons que le regroupement des forces débute bien mal !
Dans un excellent petit bouquin, La règle du Je, paru l’année dernière, Richard Labévière disséquait l’égo de notre philosophe préféré, BHL. Mais il a sous-estimé l’égo des nouveaux patrons de RFI et des rédacteurs en chef aux ordres ( tous venus du journalisme politique) qui dirigent désormais la station. Pas une tête qui dépasse ! Et surtout pas celle d’un journaliste et auteur reconnu ! Labévière a commis plusieurs ouvrages de référence sur l’international. Et en particulier le dernier, Le grand retournement, où la politique chiraquienne, de Bagdad à Beyrouth, est mise à plat. Autre indice d’une réelle notoriété, le même Labévière anime la revue de défense nationale, qui recense les analyses des anciens de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure. Cette institution respectable ne passe pas pour aimer les trublions. Et Labévière n’en est pas un, et plutôt du genre à défendre avec constance des positions étayées par des années d’enquêtes et de recherches (voir la vidéo qu’il a enregistrée pour se défendre et où il témoigne du harcèlement professionnel dont il a été victime à RFI depuis 2005. Cliquer iciRichard Labévière.
Le départ de Richard Labèvière fait moins de bruit médiatique que celui de PPDA, sauf à Beyrouth où nos confrères libanais lui ont organisé une conférence de presse le 25 août. Dommage pour les auditeurs de RFI ! Les téléspectateurs de TF1, eux, sont déja consolés par la présence quotidienne de la suave et blonde Laurence Ferrari.
RFI est hélas devenue une coquille vide, un robinet à eau tiède que l’on peut à la rigueur écouter en faisant ses carreaux. La "reine" des ménage$ a fait le vide dans les rédactions, comme Bouygues l’avait fait au sein de TF1 après la privatisation : ne restent plus dans les bureaux et à l’antenne que les dociles et les craintifs…
Il est loin le temps où l’on se délectait des programmes de RFI comme on peut se délecter d’un article du Monde diplo… ou de Bakchich. Adieu RFI !
Richard Labévière, très favorablement "connu de nos services" exerça longtemps ses talents et son indépendance d’esprit sur les ondes de la Télévision suisse romande, notamment de son journal télévisé. Il était très apprécié de notre public et fort connu au sein de la communauté des journalistes du siège européen de l’ONU, à Genève.
Pourquoi a-t-il choisi de quitter le territoire de la Confédération helvétique où les media sont indépendants des 23 Etats souverains qui la composent et du pouvoir central, pour gagner celui d’une République voisine et amie, unitaire et autoritaire, où l’on peut tantôt plaire au Prince tantôt lui déplaire ou cesser de lui plaire ?
Comme jadis à Versailles…
Richard, reviens nous !
J.-A. Widmer/Genève