L’enfance violée. Voici les mots d’un homme, d’un enfant, abîmé par un viol. Philippe Pichon, fonctionnaire de police, accouche d’un mal qui le ronge depuis ses sept ans. Sans obscénité, on n’est pas chez Mireille Dumas, et avec gravité.
Né un beau jour de 1969, sa vie s’est arrêtée sept ans plus tard, dans les vestiaires d’une salle de sport, en octobre. Le jour exact, ni lui ni personne ne se souvient, ni lui ni personne ne se souviendra plus.
A sept ans, Philippe Pichon, s’est fait violer. Et sa vie s’est arrêtée. Forcément. « Le viol, c’est d’être chassé de chez soi, de son corps, ne plus pouvoir habiter chez soi, dans sa tête, au milieu du monde, parmi les siens. C’est pourquoi on devient fou. Ou presque. on ne peut plus aimer. On voudrait rentrer chez soi, habiter le monde, mais on n’y arrive plus » (p. 32). Philippe Pichon parvient malgré tout à aimer un peu, beaucoup, sa fille surtout, Manon. La petite a sept ans, comme lui le jour où s’est répandue sur son corps la torture. Comme lui aujourd’hui aussi. Aujourd’hui, à 38 ans, Philippe est flic, et enfant, l’enfant qu’il était à sept ans. À la librairie de Coulommiers, il montre à la vendeuse ce qu’il veut acheter, pour lui, un cahier grand format à gros carreaux. C’est pour un enfant ? Oui. Quel âge ? « Avec les doigts, j’ai répondu sept, pensant très fort non pas au jeune Philippe mais à Manon » (p. 65). Il y a Manon, et Marie aussi, la mère de sa fille. Marie a essayé de faire sortir la mort de son corps. Ce fut trop dur. S’en suit leur – fatale – rupture.
Lui reste la lecture, infinie lecture, et « les marches nocturnes, finalement comme une façon de percer l’indicible, c’est-à-dire l’éclaboussante crasse du monde ». Et l’écriture. La quête de sens dans le « vieux parchemin des visions ».
« Je creusais dans les mots comme l’on avait creusé dans ma chair, comme il avait auparavant fouillé ma bouche d’enfant avec son sexe dressé comme l’on creuse la terre avec un scalpel. Et ses mains sur mon tout jeune corps de sept ans avaient pris la couleur du sang et l’odeur des fumées, des derniers incendies comme l’on brûle la jupe des folles dans les pays où règne la terreur » (p. 139).
Mais pourquoi, lui, enfant, n’a-t-il pas parlé ? Lui le sait. Pourquoi n’a-t-il pas poussé le moindre cri, ni avant, ni pendant, ni après ; pourquoi avoir « ravalé râge et dégoût ». Là, Pichon prévient les prévisibles pervers abrutis. « Qu’on ne me dise pas que, peut-être, quelque part… j’y avais trouvé mon compte, sinon je hurle et dénonce sans le moindre état d’âme les immondes connards qui osent se livrer, de leur grasse lippe de libertins avertis, à de telles insinuations puantes » (p. 26). L’enfant ne sait pas toujours qu’un crime mérite châtiment.
Aujourd’hui, malgré la fatigue du ressassement du viol, Philippe Pichon écrit, s’écrit, se crie, par défi. Et pour témoigner que « le bien n’est jamais sûr ».
Au nom du chiffre, les médias n’aiment pas beaucoup déroger à leur loi de l’obscène. Au nom du courage de Philippe Pichon, prions pour qu’ils apprennent enfin que la pudeur est sacrée.
Post-Scriptum :
Philippe Pichon est l’auteur de nombreux ouvrages, dont le Journal d’un flic (Flammarion, 2007), qui l’a révélé au grand public.
Son livre Le cas Céline, coupable, mais de quoi ? vient d’être publié aux éditions Dualpha (lire la chronique de Bakchich.info).
De la thérapie par le viol :
http://www.brest.maville.com/Les-seances-tres-speciales-d-un-psychiatre-/re/actudet/actu_loc-469910-----_actu.html
http://www.letelegramme.com/gratuit/generales/regions/finistere/assises-des-accuses-aux-abonnes-absents-20071205-2088970_1140661.php
http://www.letelegramme.com/gratuit/generales/regions/finistere/assises-les-seances-tres-speciales-du-psychiatre-20071219-2188215_1158711.php
http://www.letelegramme.com/gratuit/generales/regions/finistere/viols-sur-personne-vulnerable-douze-ans-de-prison-au-psychiatre-20071220-2192599_1159559.php
http://www.brest.maville.com/Douze-ans-de-reclusion-au-psychiatre-violeur-/re/actudet/actu_dep-484530-----_actu.html