A l’orée du congrès de Reims, un vieil habitué des arcanes socialistes se raconte. « Le pouvoir, pourquoi et comment ? », par Jean-Jacques Piette, l’ancienne éminence grise de Bérégovoy.
Militant socialiste depuis 1961, tourneur fraiseur et banquier d’affaires, pourfendeur de la pensée unique et éminence grise de Pierre Beregovoy, aujourd’hui grand-père gâteau et toujours conseiller de grands groupes français, Jean-Jacques Piette est un atypique. Qui se raconte dans Le pouvoir, pourquoi et comment ? (éditions Bruno Leprince).
On y découvre son grand-père membre de la SFIO et de la CGT ; son père qui adhère à 16 ans au PC, et qui fut, un temps, garde du corps du maire (alors communiste) de Saint-Denis, Jacques Doriot, avant d’être brigadiste pendant la guerre d’Espagne. Avant de rejoindre « dès 1940 », la résistance.
Jean-Jacques Piette, à l’époque de la guerre d’Algérie, se veut bien plus à gauche que Papa, la SFIO et le PCF réunis. Il soutient activement le FLN. On le trouve porteur de valise du réseau Jeanson ; proche des GAR « groupe d’action et de résistance » anti–OAS.
Le passionnant essai qu’il signe mêle la profession de foi du militant et la réflexion stratégique de l’homme d’affaires, le tout truffé des souvenirs d’un homme de l’ombre, qui a plusieurs fois traversé l’histoire, la petite et la grande. C’est lui qui a notamment imaginé le mécano complexe de la société EADS, une formule « capitalistiquement » inédite, qui aura été jugée acceptable par le Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin ! « J’ai apprécié, raconte-t-il, de faire des opérations juridiques et financières sortant de l’ordinaire et paradoxalement au service d’objets socialistes ».
Parmi les opérations ainsi « appréciées », on découvre pêle mêle, le financement du siège du PS grâce à la banque des syndicats allemands, « sans que nul ne puisse trouver à redire à ce montage », la construction d’un hôtel sur pilotis à Monaco, ou encore « l’agencement financier » du siège d’une « grande organisation syndicale ».
Il y a plusieurs livres dans ce livre, c’est sa richesse et aussi son défaut. Le livre constitue également une charge virulente contre la « deuxième gauche » de Michel Rocard et Jacques Delors. Piette pourfend cette pensée unique « linceul des pré-retraités et des chômeurs ».
Le parti socialiste, poursuit-il, « se contente de gérer le système avec des réformes sociétales », modèle Pacs. Autant de gadgets, qui ne « changent rien aux conditions de travail ». Piette établit ainsi un lien direct entre le tournant de la rigueur en 1983, et l’absence, vingt ans plus tard, de Lionel Jospin au second tour de la présidentielle de 2002. Une génération de salariés aurait été sacrifiée par la victoire de la deuxième gauche « mélange de mai 1968, de visée néo-libérale et d’anti-étatisme ».
Le coupable serait Michel Rocard, qui « a encouragé, 60 ans durant, la mutation du dessin socialiste vers le néolibéralisme (…) ». Et de stigmatiser l’ancien Premier ministre, qui a osé affirmer : « le drame qu’ont du mal à admettre certains de mes camarades de gauche c’est que le capitalisme a gagné ».
Des propos indignes, selon lui, pour un homme qui aurait profité du système sans chercher à le changer. Malgré son âge avancé, souligne-t-il, Rocard a été reconduit par le parti aux européennes de 2004.
Mieux ou pire, Piette relève qu’en 2003, le gouvernement de droite fut « davantage efficace que la gauche », en prenant 30 % de parts dans le capital d’Alsthom. Et ce en dépit des oukases concurrentiels de Bruxelles. Une initiative d’un certain Nicolas Sarkozy alors en poste à Bercy.
Rédigé avant que n’éclate la crise financière actuelle, l’ouvrage de Piette prend une résonance particulière à l’heure où Sarkozy mobilise les finances publiques pour voler au secours des banques. Pas question que la « main invisible du marché », insiste-t-il, ne s’empare à trop bon compte des entreprises stratégiques du pays.
Autant d’engagements qui autorisent le militant socialiste et banquier d’affaires à quelques commentaires savoureux et d’ une grande liberté de ton, pour apprécier la résistance d’un Mitterrand ou l’implication de Jospin en faveur de la guerre d’Algérie.
Pas sûr que l’ombrageux Lionel et de nombreux autres camarades goûtent cette piqure de rappel aux fondamentaux du socialisme.
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