Chirac l’Afrikaner

La contine se déroule au croisement des années 60-70. Grand héraut de la libération des peuples et démocrate devant l’éternel, feu le roi du Maroc Hassan II lutte contre l’apartheid qui sévit en Afrique du Sud. Aussi, le bon roi cherche à financer l’ANC, le mouvement de Nelson Mandela, alors interdit et entré en résistance armée. Le souverain chérifien a besoin d’hommes sûrs, engagés et qui abhorrent le régime raciste en place à Pretoria. Jacques Chirac, qui vaque alors de poste de secrétaire d’État en strapontin de ministre délégué, est de ceux-là. Et met un point d’honneur à embrasser l’obscur rôle de porteur de valises.

Abracadabrantesque ? Pas du tout. « J’ai été militant de l’ANC de Mandela depuis la fin des années 60, le début des années 70. J’ai été approché par Hassan II, le roi du Maroc, pour aider au financement de l’ANC. »

La farce est écrite noir sur blanc à la page 8 de L’inconnu de l’Elysée, livre concocté par Pierre Péan sur la base d’entretiens avec le président, dit-on pudiquement. Et a été reprise sans sourciller par la plus grande frange d’une presse fort prévenante.

Pourquoi douter, après tout, de l’appétence humaniste et tiers-mondiste de Jacquot et de son copain Hassan II ? Parce que le roi chérifien a acheté des blindés légers au pouvoir afrikaner en 1963, en pleine « guerre des sables » [1], comme le révèle le Journal Hebdomadaire (23/02) ? Ce serait mesquin. Parce que Jacques Chirac n’a rencontré Hassan II qu’au milieu des années 70, à en croire Majesté, je dois beaucoup à votre père  [2] ? Cela relèverait du pointillisme historique. Parce que le Corrézien éternel avance que l’archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984 (« un curé » dixit Chirac) peut témoigner de son combat, quand bien même Tutu n’a jamais fait partie de l’ANC ? Simple point de détail. Parce le fondateur du RPR a longtemps été admirateur de Reagan et Thatcher, peu critiques vis-à-vis de l’apartheid ? Mesquinerie là encore…

Une petite affaire, pourtant révélée dans un livre récent, laisse un peu plus songeur quant aux convictions anti-apartheid du futur ex-président. Une broutille qui consiste seulement en une livraison d’armes au régime de Pretoria, en violation d’un embargo onusien décrété en 1977 sur la vente de matériel militaire à l’Afrique du Sud. Le tout organisé sous le gouvernement très libéral de Chirac Jacques entre 1986 et 1988.

« En 1986, en effet, c’est une quasi lune de miel que vivent la France et le régime de Prétoria », décrit Laurent Léger dans Trafic d’armes [3]. « Aérospatiale, l’entreprise française alors nationalisée est déjà l’un des partenaires privilégiés » de l’Afrique du Sud.

Outre la maintenance des Mirage et de tout le matériel aéronautique, Aérospatiale se pique alors de livrer des hélicoptères de combats Super Puma à l’autre bout du globe. La demande, émise en 1985 par l’armée sud-africaine, se matérialise vraiment à partir de 1986. Et les multiples réunions parisiennes classées « top secret » entre l’entreprise publique française et Armscor, l’agence d’armement springbok, « ça vous laisse une de ces paperasses », constate notre collaborateur.

Au demeurant, les comptes rendus de ces rencontres s’avèrent fort intéressants. Notamment celles datées du 16 avril 1986. « Avec Henri Martre [alors PDG d’Aérospatiale], Jean Picq [et quelques autres] sont les seuls à être au courant de l’ensemble des activités d’Aérospatiale avec l’Afrique du Sud ». Or le brave Jean a aussi été directeur financier d’Aerospatiale, avant d’être bombardé en 1986… conseiller technique auprès du Premier ministre Chirac pour les questions de Défense. Désormais président de chambre à la Cour des comptes, Picq nie toute intervention dans le dossier.

Reste que « les responsables d’Aerospatiale ont pu exporter environ 50 hélicoptères en kits, sur quelques années » vers l’Afrique du Sud. Et ce, « avec le feu vert- au moins implicite- du cabinet du Premier ministre en poste à l’époque des premières négociations, Jacques Chirac ».

Gênant pour un partisan de la première heure de Nelson Mandela.

Les personnes âgées ont tendance à s’arranger avec leur mémoire. L’inconnu de l’Élysée ne déroge pas à la règle.