Le 28 juin 2009, le Honduras était secoué par un putsch. Des milliers de paysans ont perdu les terres promises par le Président destitué. Dernier épisode de notre reportage.
Quatrième partie : Guadalupe Carney
Phelipe, Pedro et Roberto choisissent de dîner à Guadalupe Carney. Le village de 6000 âmes paraît gigantesque à côté des campements qu’ils viennent de quitter. Les maisonnettes en pierre ou en bois, les toits en feuilles de palmier, les cuisinières avec plaques et robinet, les fermes et les terres ont remplacé le néant de la forêt vierge. Ici, plus de peur ni tensions. Au contraire, une vitalité étonnante se dégage du village. Des corps dansent à la lumière de deux-trois projecteurs, une sono installée au cœur de la cité lâche des salsas et des corridos. Des couples se tiennent par la main, des vieux se promènent l’air détendu, des enfants courent sur les chemins, des champs religieux assez joyeux sortent de l’église.
Guadalupe Carney est le nom d’un jésuite états-unien disparu mystérieusement en 1983. Carney faisait partie de ces religieux des années 1970 - 1980 qui, partageant les valeurs de la théologie de la libération, se sont engagés dans la lutte, aux côtés de la guérilla. Contre la doxa du Vatican…
A la mémoire du jésuite bien aimé, Guadalupe Carney est le nom de baptême donné au seul endroit au Honduras, que les paysans ont réussi à reprendre, via l’Etat, aux grands propriétaires terriens. En 1998 en effet, après le passage dévastateur de l’ouragan Mitch, il a fallu reloger tous les sans-abris. C’était l’occasion pour les paysans de racheter des terres. 5000 hectares, récupérées en 2001, mais dont seules 40 % sont cultivables.
Installés à la terrasse d’un café, les bières locales goûteuses sur le point d’être servies, Phelipe et des amis paysans doivent demander à baisser le son de la musique et celui de la télévision, pour s’entendre parler.
Au menu, une cuisse de poulet, des bananes frites, des haricots rouges et un peu de salade. Pendant qu’ils dévorent les plats, Augustin, un maigrelet de 71 ans, portant une chemise verte, des lunettes et un grand chapeau blanc, un des porte-paroles du village, raconte comment fonctionne Guadalupe Carney :
« Depuis 10 ans, le village est auto-géré. Il y a un chef, une direction régionale pour la communauté et trois syndicats. Tous les deux ans, on change de direction. Il y a un cimetières, des écoles, une église catholique, une radio musicale, une banque paysanne, et même une épicerie alimentaire ! Quant à la police, c’est simple, jusque-là, elle n’est presque pas intervenue. Car ici, ce sont les chefs et les syndicats qui se réunissent pour faire ce travail. Une seule fois, il y a eu un crime. La police a demandé d’entrer pour faire l’investigation, les paysans ont accepté bien entendu ».
Les paysans de Guadalupe ont réussi à mettre en place un ensemble de structures indépendantes de l’Etat, qui créées un peu d’activité. Mais à cause du peu de terres cultivables, la vie reste pauvre dans le village, et l’emploi se fait rare, beaucoup sont obligés de travailler à l’extérieur. Et, ironie du sort, souvent pour les plus jeunes, dans les palmeraies de ce satané Miguel Facussé.