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Carnet de voyage en Russie (3)

Na Zdorovie ! / dimanche 22 août 2010 par Renaud Chenu
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Des incendies très néo-libéraux. Une nuit LOL chez Gogol. Contrôle de police. Du Lac des Cygnes à Kronstdat et de la vodka en tube.

Des incendies très néo-libéraux…

La Russie, oui mais par où ? C’est un peu la question qu’on se pose dans l’immensité proposée à notre regard néophyte. Exit la campagne, ça crame et ça pue et je ne me vois pas jouer les héros de circonstance en m’inscrivant sur un des nombreux sites internet de volontariat pour aller me battre contre un brasier avec une pelle made in China. Car devant la faillite de l’État, niée par des médias arrimés à la « verticale du pouvoir », l’auto-organisation citoyenne joue à plein. Aussi rapide grâce au web qu’efficace grâce à l’urgence que provoque les flammes lancées au galop vers votre village, la solidarité entre Russes des villes et Russes des bois s’est installée là où l’État avait disparu. L’ampleur titanesque de ce phénomène a en réalité assez peu avoir avec les conditions climatiques exceptionnelles de cet été. Le responsable quasi unique de cette flambée géante est le néo-libéralisme russe.

Yves Béguin, ancien directeur exécutif de la Fédération Astronautique Internationale (FAI), rappelle sur le blog de Paul Quilès qu’ « en 2002 la forêt sibérienne a brûlé sur une superficie grande comme la France, alors que les autorités russes avaient déclaré une surface sinistrée dix fois plus faible. Grâce au études [faites par la FAI], avec des scientifiques russes et français et l’usage d’images du satellite Spot, nous avons pu prouver l’ampleur exceptionnelle des dégâts et la nécessité d’intervenir sur la gestion de la forêt sibérienne, deuxième "poumon" de la respiration de la planète après la forêt amazonienne.

Les autorités russes ont été averties, à Saint Petersbourg notamment, par nos collègues scientifiques. Malgré ce sévère avertissement, la gestion de la forêt sibérienne, déjà quasi abandonnée par l’État russe, a été "régionalisée" en 2006. C’est à dire qu’elle a été transmise aux régions et en réalité aux oligarques russes, qui se sont précipités dans l’exploitation du bois sans aucune préoccupation environnementale ou de protection de la ressource.

70 000 gardes forestiers nationaux ont été licenciés, les effectifs des pompiers forestiers réduits à quasiment zéro, l’entretien des routes délaissé… des décennies d’effort pour étendre et rationaliser la gestion de ce patrimoine bradés. Résultat de cette libéralisation et privatisation : la forêt en feu et l’incapacité des autorités à agir sur le sinistre, réduites à attendre que la pluie tombe pour sauver le reste ».

Par extension, on peut voir dans ces incendies une allégorie in vivo de tous ceux créés par le libéralisme. Là bas ce sont les arbres qui flambent sous l’effet de la désertification des territoires en services publics, en France les banlieues…

Nuit LOL chez Gogol

La campagne nous étant fermée au moins pour cet année, partons à la découverte de la nuit. La Russie Underground ? Née avec Gorbatchev et le mouvement d’ouverture qu’il initia, elle a colonisé la nuit et les arrière-mondes urbains en se cherchant une identité dans les arrières cours du kitch. Existe-t-elle vraiment en réalité derrière ces visages fermés et cette attitude revêche qu’offre la grande majorité des gens que vous croisez ici ? On peine à le croire. On a bien visité quelques lieux de boisson censés représenter ce mouvement, mais on était juste au niveau du décor d’un soap movie des années 80. Pas de quoi pavoiser, surtout qu’avant d’atterrir à Moscou nous étions à Berlin, capitale mondiale de l’Underground.

S’il est un peu casse-gueule d’affirmer qu’il existe des caractères bien spécifiques aux peuples, on ne peut que constater la faible propension des Russes à être immédiatement aimables et à se montrer ouvert à toute chose. L’humour ? Les Russes ne sont pas vraiment connus pour ça et il n’est pas évident de le saisir dans les conversations que vous pouvez avoir avec eux, surtout quand votre maîtrise de la langue s’arrête aux formules de politesses. Tentez une petite blague anticléricale très second degré sur les Popes, très peu de chance que vous ayez un franc succès. Pour moi ce fut un bide. L’humour est très présent dans la littérature, surtout celle du XIXe, mais il semble avoir fait un pas depuis.

Bref, si nous étions très impressionnés par ce pays, passé l’émerveillement des premiers jours, il était grand temps de quitter le luxe des halls d’hôtel où où les Mojitos le disputaient à la vodka sur glace et de jouer à se faire peur !

Dans le quartier d’Arbat, relativement bourgeois, nous avions remarqué une enseigne sympathique. Entre boite et karaoké, le lieu offrait à la fois des possibilités de rencontre et des tarifs sympathiques. On s’y pointe vers 23h, le portier se marre quand on lui demande si on peut louer un box pour un karaoké. Il se fout de nous mais ça fait parti du jeu, on ne relève pas. On sait qu’on risque de devoir lire les textes de Britney Spears ou de Chakira en cyrillique mais pourquoi pas, la vodka fait passer beaucoup de chose passé une certaine heure et Waka waka ça se lit facilement dans tous les alphabets. Le box loué est déjà occupé, mais l’accueil est plus que cordial. Les deux jeunes filles présentes sont parfaitement anglophones et le texte de Chakira est en alphabet latin. Niveau dépaysement on y est pour nos frais… Et niveau sortie de ce bouge aussi. Dès que nous affichons notre volonté de rejoindre la boite en sous sol, nos éphémères rencontres disparaissent comme un voile diaphane sur du coton. Un charmant jeune homme asiatique tout de muscle charpenté nous présente la note. Oui ? Tout ça ? Outre nos boissons et celles de nos délicieuses interlocutrices parties sans payer, une ligne de compte prohibitive s’ajoute en bas la note. On comprend un peu tard et c’est à ce moment là qu’on se rend compte du caractère absolument précaire de la situation de touriste, comprendre de connard crédule. Nous avions fait preuve malgré nous de beaucoup de quant à soi en nous contentant de ne profiter que de la riche conversation de ces deux superbes filles. Mais si la conversation nous était facturée, le reste aussi, en dépit de notre prude ignorance.

Des millions d’abrutis dans mille pays ont dû se retrouver dans notre situation dans autant de bordels, et notre principal souci à ce moment-là était de sortir dignement, étant donné que les quelques milliers de roubles que nous avions en poche ne suffisaient pas. On proteste notre bonne foi, on gémit notre misère, on sort tout notre argent, on finit par retrouver notre dignité et gueuler dans un anglais de charretier qu’on a autre chose à faire que de se faire plumer par des malhonnêtes… La situation devient délicate quand le charmant jeune homme asiatique est rejoint par deux de ses clones. Là, le film aurait pu virer au n’importe quoi sans l’intervention d’un touriste allemand parlant tout à fait russe qui nous a fait signe de dégager en prenant à parti nos trois obtus.

On passe sans demander notre reste devant le portier qui s’était foutu de nous en entrant, on comprend mieux en sortant, mais le problème restait entier. Moscou est une ville immense et passé une heure du matin, les transports en commun se sont endormis avec la vertu des honnêtes gens. Nous n’avons plus un kopek. Nous sommes à 15 kilomètres de notre hôtel. C’est parti pour une grande randonnée nocturne dans la brume des incendies et les artères si grandes qu’elles donnent le vertige.

Au bout d’une heure de marche, une voiture de police ralentit à côté de nous. Nous sommes les seuls piétons dans une rue qui doit compter cent mille habitants. On regarde bêtement autour de nous. Oui, c’est bien nous qui les intriguons. En guise de salutations nous avons droit à trois affreux flics nous entourant (encore trois, c’est du comique de répétition) et se contentant de nous dire « Passeport, Visa, go to police ». Les deux premiers mots passent assez bien. La fin de sa phrase nous laisse un peu perplexe et nous motive immédiatement à retrouver tout le vocabulaire russe dont nous disposions. « Izvinitie, ya frantsuzskiĭ , ya nie gavarrou po-russki » (Désolé, je suis français, je ne parle pas russe). Le « go to police » était certainement une marque d’humour en képi et ils nous refilent nos passeports avec un sourire énigmatique. Soirée de merde. Heureusement, en arrivant après trois heures de marche à proximité de l’hôtel, sur une place de béton entre deux artères, nous tombons sur une curieuse fête improvisée où une centaine de jeunes moscovites dansent sur de la house merdique autour de vielles Lada customisées sur lesquelles des bimbos en string assurent des shows endiablés. Il est quatre heure trente du matin, nous sommes accueillis chaleureusement, la soirée peut commencer, nous avons trouvé l’underground.

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Du lac des Cygnes à Kronstadt

Cité de la culture par excellence, St Petersbourg permet de voyager pas trop idiot et de revenir un peu moins con. Si les meilleurs Ballets russes sont en tournée à Vienne, Tokyo ou New York pendant la saison estivale, on sacrifie quand même au plaisir de voir le Lac des Cygnes sur les terres de Tchaïkovski. N’en jetez plus, trop d’adjectifs superlatifs ont déjà été utilisés dans ces carnets. Deux heures de pur plaisir dans le cadre à vous couper le souffle du théâtre Théâtre Mariinsky, érigé en l’honneur de Maria Alexandrovna, épouse d’Alexandre II. La propension des Maîtres de la Russie à faire ériger des merveilles d’architecture pour honorer la moindre amourette est très touchante. De grands romantiques.

Deux Françaises d’une soixantaines en goguette en Russie nous interpellent dans le couloir derrière notre balcon. On se laisse offrir le vin, « On vient tous les ans, St Petersbourg est extraordinaire… » Le bla bla de ces deux vieilles bourgeoises claquant allègrement l’argent amassé tout au long d’une vie d’oisiveté nous permet de nous réhabituer à Paris deux jours avant de revenir. Comme elles ont l’air de connaître et de payer assez facilement, et que les finances sont un peu raides depuis qu’on s’est fait chiper nos Iphones et portefeuilles par un pickpocket, autant en profiter. « Vous connaissez Kronstadt ? Vous nous emmenez demain ? » « Kronstadt, mais pourquoi Kronstadt ? »

Et de lui expliquer l’insurrection des marins de Kronstadt en mars 1921 contre le pouvoir Bolchévique. Petit cours d’histoire à la louche. Léon Trotsky, qui dirigeait l’armée rouge à ce moment-là, avait mené une expédition pour ramener dans le droit chemin de la révolution ces marins contestant au parti bolchévique la direction de la révolution socialiste. Depuis 1917 y régnait le prima des Conseils (les soviets) et la démocratie directe avait force de loi. Trotsky lui-même qualifiait les habitants de ce port comme étant « la valeur et la gloire de la Russie révolutionnaire » tant ils avaient été à la pointe des révolutions de 1905 et 1917. La guerre civile est réduite en ce printemps à quelques poches de résistances des blancs et touche à sa fin. Le danger vient d’ailleurs, des campagnes qui se révoltent et des ouvriers qui déclenchent des grèves dans les usines, comme à Pétrograd où ils se mobilisent sur des mots d’ordre démocratiques et sociaux dans la résolution du Petropavlovsk, où se réunissent quinze mille personnes le 1er mars. Le pays, déjà bien arriéré en 1914, est à genoux après 7 ans de guerre civile. Le pouvoir Bolchévique ne goûte pas vraiment cet affranchissement à son autorité dans le principal port du Pays qui se trouve à une portée d’arquebuse de l’Europe et envoie le 5 mars un ultimatum déclarant que ce révolte « avait été assurément préparée par le contre-espionnage français ». S’ensuit un jeu de provocations qui se termine quelques jours plus tard par une offensive meurtrière contre les marins de Kronstadt suivie d’une répression non moins sanglante et de la déportation des survivants et des familles des insurgés. Les victimes se chiffrent par millier des deux côté et cet épisode reste une ombre dans la biographie à celui qui deviendra le principal opposant de Staline.

«  Mais pourquoi vouloir aller dans un endroit pareil ? » me demande Colette. « Pour voir, pour ressentir la grande histoire dans les lieux où elle s’est déroulée ! » Pas vraiment emballée, Colette se laisse finalement convaincre. Je suis tout ému sur le bateau en direction de l’île de Kotline où se trouve le port fortifié de Kronstadt. Finalement l’excursion aura surtout valu le coup pour profiter de la beauté du Golfe de Finlande. A Kronstadt, peu de chose restent de cet épisode. On visite la cathédrale navale, aussi impressionnante que tous les autre gros gâteaux orthodoxes que nous avons vus. Retour à Saint Petersbourg. Un détour par le super kitch musée de la Vodka, tiens, ça existe aussi en tube ?. Il est temps de faire ses valises.

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Grandeur incontestable de Poutine - Cours de géopolitique en direct de Moscou - Incendies et poulets brûlés - Sauna à la bière - Vodka pour tout le monde. Na Zdorovie !
Train de nuit vers St Petersbourg - Sélection naturelle - Rencontre avec une cannibale - Lac des Cygnes - Décadence française - Retour à la culture du corps - Grandeur incontestable de Poutine.

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  • Carnet de voyage en Russie (3)
    le lundi 23 août 2010 à 21:21, béniouioui a dit :

    C’est marrant, car pendant que vous étiez en Russie, j’étais en Géorgie. Deux modèles qui se font face…

    Les incendies sont-ils néo-libéraux ou néo-communistes ?

    Vous pourriez tout à fait refaire votre article avec un postulat de départ opposé. Les incendies ont pris l’ampleur du délais de la Russie assoiffée de puissance à demander humblement de l’aide aux occidentaux. Les visages patibulaires que vous rencontrez sont peut-être aussi le fruit de 70 ans passés à cacher ses émotions et ses désirs profonds sous peine de se retrouver dans un sinistre et mortel goulag. Le rapport aux femmes particuliers pourrait enfin découler d’une philosophie qui voulait tuer Dieu.

    De l’autre côté de la frontière, dans les montagnes du Caucase, la Géorgie a choisi un autre modèle. Elle s’est brutalement éloignée de la Russie, est allée chercher des idées, de l’argent et des émigrés diplômés aux Etats-Unis et a tenté de se relever. Et, malgré tous les manquements qui restent à combler, la Géorgie a objectivement réussi un beau travail. Un niveau de vie général en hausse, un patrimoine culturel et spirituel revisité et des sourires qui recommencent à fleurir.

    La Russie a toujours cette vision absurde de la puissance. Elle veut montrer ses muscles ; elle a peur d’afficher ses faiblesses ; elle n’aime pas la contradiction. Ce sont de vieilles valeurs soviétiques qui n’arrivent pas à partir. Pourquoi ne réinvestit-elle pas tout l’argent de son gaz/pétrole dans des PME ? Pourquoi n’essaie-t-elle de découvrir la liberté ? Pourquoi enfonce-t-elle son peuple et ses républiques satellites comme l’Arménie (voisine de la Géorgie et contre-exemple criant) ?

    Le libéralisme est toujours vulgaire pour les français bobos mais dans ce mot, il y a celui de liberté qui est magnifique. Tout n’est pas noir là-dedans. Qu’il soit ancien (celui des philosophes du XIXe) ou néo, il devrait faire moins peur.

    Passez la frontière sud, Renaud, et discutons de manière moins idéologique :-)

  • Carnet de voyage en Russie (3)
    le dimanche 22 août 2010 à 07:40, Phil2922 a dit :
    Et dire que notre Président néo-libéral bling bling et ses valets n’ont comme seul souci que de détruire les Services Publics encore existants en France et utiles à TOUS et TOUTES. Je regrette, mais si je me retrouve dans un couloir d’hôpital à attendre d’avoir une chambre, je refuse que Frédéric Lefebvre soit le volontaire venu me tenir la main et lire la "Princesse de Clèves"… !!
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