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Honduras, un an de résistance (1)

Amérique centrale / lundi 5 juillet 2010 par Anaëlle Verzaux
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Il y a un an, le Honduras était secoué par un putsch. Du même coup, des milliers de paysans ont perdu les terres promises par le Président destitué. Depuis, ils luttent pour les récupérer, jusqu’à en mourir. Reportage.

La plupart des pays d’Amérique latine ont fait leur révolution, grande ou petite, et se sont écartés de la domination nord américaine. Au contraire, la petite République du Honduras (7,6 millions d’habitants) a toujours été considérée comme la base arrière des Etats-Unis. Pourtant deuxième pays le plus pauvre d’Amérique Centrale derrière Haïti, le Honduras ne s’était, jusqu’à peu, guère rebellé.

Or, voilà un an que les Honduriens se battent. Contre les militaires, contre les oligarques, à l’influence politique et économique considérable, contre les réformes conservatrices engagées par le nouveau président.

Le 28 juin 2009, le Honduras fut secoué par un putsch. Sous la pression des militaires, le bien aimé Manuel Zelaya, alors président du pays, dû d’abord s’enfuir, puis rester cloîtré, durant quatre mois, dans l’ambassade du Brésil, au Honduras.

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Aux yeux des «  golpistas » (les putschistes), Zelaya est coupable d’avoir pris un virage à gauche. De droite modérée (parti libéral), ce grand propriétaire terrien s’est soudainement intéressé à résorber les inégalités. En 2008, il a presque multiplié par deux le salaire minimum (passant de 126 à 210 dollars), a fait adhérer le Honduras à l’ALBA (l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques), puis tenté de faire modifier la rigide constitution de 1982, notamment afin de permettre au président de la République de faire un deuxième mandat (comme c’est le cas en France par exemple). Selon ses partisans, cette réformette n’a rien d’anti-démocratique. D’ailleurs, si elle était passée, « Mel » Zelaya n’aurait pas pu en bénéficier. Mais pour les putschistes, il est interdit de modifier la Constitution. D’ailleurs, c’est écrit dans la constitution elle-même.

Après des mois de dictature militaire, Manuel Zelaya a été contraint à l’exil. C’était le 27 janvier 2010, le jour même où son successeur, le conservateur Porfirio Lobo (appelé aussi « Pepe Lobo ») prenait ses fonctions.

27 janvier 2010, à Tegucigalpa :  Grande manifestation d’adieu à Manuel Zelaya, au bout de la piste de l’aéroport - JPG - 85.7 ko
27 janvier 2010, à Tegucigalpa : Grande manifestation d’adieu à Manuel Zelaya, au bout de la piste de l’aéroport
© Daniel Mermet
Le 27 janvier 2010 à Tegucigalpa - JPG - 84.9 ko
Le 27 janvier 2010 à Tegucigalpa
© D.M.

Depuis, « El Lobo » comme ses opposants le surnomment (« le loup » en espagnol), dirige le pays d’une main de fer. Il est soutenu par les oligarques et les militaires, qui n’hésitent pas à réprimer dans le sang la moindre opposition. Le pays vit dans la terreur, dans l’indifférence générale.

Selon un communiqué de Reporters sans Frontières publié le 28 juin 2010, le Honduras « est devenu le plus dangereux de la planète au cours de ce semestre pour la sécurité des journalistes et aucune avancée judiciaire réelle n’a encore permis de faire la lumière sur les assassinats de six d’entre eux et d’un animateur en l’espace d’un mois et demi ».

Depuis le début de l’année, neuf journalistes ont été assassinés. Trois autres ont été contraints de quitter le pays. L’Organisation des Etats américains (OEA) a parlé d’ « alerte rouge au Honduras ». Même le président Pepe Lobo a dû s’en émouvoir. Mais les Etats-Unis et l’Union européenne s’en contre-fichent. Comme l’a très justement relevé Jacques Dion dans Marianne (du 3 au 9 juillet), « la secrétaire d’Etat Hillary Clinton ne rate pas une occasion de faire la leçon à Cuba à propos des atteintes à la liberté de la presse » (et on comprend pourquoi). En revanche, la même Hillary Clinton se garde bien d’évoquer le Honduras ».

En mai dernier, dans l’indifférence toujours, plusieurs dizaines de personnes (magistrats, enseignants, parents, paysans…), ont fait une grève de la faim qui dura au moins dix jours. Les grévistes contestaient les réformes du nouveau gouvernement.

Car Pepe Lobo est revenu sur les acquis sociaux obtenus du temps béni de Zelaya. Les paysans, par exemple, avaient reçu une subvention de l’Etat pour racheter des terres aux grands propriétaires terriens. Ils ont perdu la subvention. Et les terres avec.

Depuis le début de l’année, 3500 familles de paysans occupent 14 000 hectares de terrain, luttent pour les récupérer, jusqu’à en mourir. En février, Bakchich est allé à leur rencontre, dans les palmeraies de la côte est du Honduras. Reportage (en quatre parties).

Février 2010, Vallée de l’Aguan (côte Est du Honduras) : des paysans occupent des terres - JPG - 86.1 ko
Février 2010, Vallée de l’Aguan (côte Est du Honduras) : des paysans occupent des terres
© D.M.

Février 2010

Première partie : Pedro

Avec son grand chapeau évasé, sa chemise bleue ciel et sa cigarette au bec, Pedro est assis droit sur une chaise en bois. Sa machette soigneusement rangée dans un étui ficelé à la ceinture, il transpire à grosses gouttes. La saison des moussons est tout juste achevée, l’air est chaud et humide. Un peu étouffant.

Depuis un petit restaurant familial de Tocoa, une ville de l’Est du Honduras, Pedro l’agriculteur scrute la rue à travers les baies vitrées. Les trottoirs à moitié rongés, une route poussiéreuse, des bouteilles en plastique abandonnées, la ville semble usée par la pauvreté. Il surveille, avec la peur de se faire tuer.

Depuis une semaine, Pedro est suivi par une voiture argentée aux vitres teintées, sans plaque d’immatriculation. Il hésite, le soir, à rentrer chez lui. « Les propriétaires terriens ont mis un contrat sur ma tête, ils ont engagé des tueurs à gage pour me tuer, ce qu’ils ont déjà fait à d’autres agriculteurs ».

Dehors, un homme lance son cheval au trot. Le bellâtre parade, il dépasse une silhouette féminine ! Celle d’une jolie vendeuse, élancée et souriante qui, postée devant sa boutique, propose des chaussures à un dollars la paire, des casquettes nord-américaines, et des tee shirts blancs, couleur unique, taille unique.

Soudain, les yeux de Pedro s’ouvrent, énormes : « Regarde, c’est une voiture comme celle-ci qui me suit ! »

Depuis une dizaine d’années, Pedro lutte, comme 600 autres paysans, pour récupérer des terres qu’ils possédaient jusqu’à ce que trois hommes d’affaires (“les oligarques”) – Miguel Facussé Barjam, René Morales et Reinaldo Canales – mettent la main dessus, dans les années 1990. Les paysans étaient organisés en coopératives, ils sont désormais ouvriers agricoles. Ils produisaient du riz, dont se nourrissaient les familles, ils produisent désormais de la palme africaine, dont on n’extrait que de l’huile, du savon et un peu d’essence. La terre c’est la vie. Les paysans la défendront jusqu’à la mort.

L’ancien président Manuel Zelaya [1] prévoyait de verser 1,5 millions de dollars aux paysans, afin qu’ils réinvestissent les terres perdues. Mais le 28 juin 2009, Zelaya est renversé par un coup d’Etat militaire et, le 27 janvier suivant, doit quitter le pays pour céder sa place à un Président bien moins conciliant, Porfirio Lobo. Dit aussi “le loup”.

Pendant que Pedro s’inquiète pour sa vie, la patronne du restaurant prend la commande. « Six verres de jus d’orange frais, s’il vous plaît ». Les odeurs de haricots rouges assaisonnés ont parfumé l’air, l’heure du déjeuner a largement sonné. Mais autour de la table, aucun paysan ne mange.

Les discussions, elles, s’enchaînent à toute vitesse : « La récupération des terres de la Vallée de l’Aguan, c’est une question de survie, explique Roberto, un paysan un peu trapu, qu’on remarque tout de suite à cause de son visage à la grecque encore lisse et sa dent unique. Ce n’est pas avec le salaire que nous versent les oligarques, 107 lempiras par journée de 8h (soit un peu plus de 5 dollars), qu’on peut manger à notre faim, poursuit-il. Encore moins les ouvriers qui travaillent sur les terres de Miguel Facussé. Il n’emploie pratiquement que des journaliers, qui peuvent être virés tous les 60 jours de travail ».

Pedro est déjà trop vieux pour travailler chez Facussé. A 48 ans, il est dépassé et pas assez productif.

Deuxième partie à lire demain sur Bakchich.info : Xavier Cachiro, le “mafieux humanitaire”

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Depuis un demi-siècle, les Etats-Unis forment des militaires sud-américains avec un net penchant pour la dictature au sein de la School of Americas, une annexe du Pentagone. Le responsable du coup d’Etat au Honduras en est (…)

[1] Un homme de droite (parti libéral) mais appliquant une politique de gauche, s’étant rendu compte en gouvernant de la nécessité de réduire les inégalités


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4 MESSAGES

Forum

  • Honduras, un an de résistance (1)
    le jeudi 2 septembre 2010 à 16:57, José a dit :
    J’ai participé à la mise en service d’un hôpital ( don de la France ) à San Pedro Sula ( nord- est du Honduras ) en 1987, pour le compte de Hospitex. A l’époque, cette ville, comme d’autres, servait de base arrière aux américains, qui infiltraient le Nicaragua pour combattre les sandinistes de Daniel Ortega, pourtant légalement élu. Le Honduras était très pauvre, et ceux qui avaient un travail étaient chanceux. Je constate que l’occupation américaine continue, et, apparemment, n’apporte , comme d’habitude sur les continents sud et centre américains, que dictatures et misères. Le 11 septembre 2001 ne leur a pas servi de leçon. L’arrogance des dirigeants américains n’a pas cessé. Encore donc, un autre 11 septembre ?
  • Honduras, un an de résistance (1)
    le mardi 6 juillet 2010 à 19:27, Calagan a dit :
    Merci pour cet article (même incomplet, à charge pour moi de m’acheter le backchich papier). On ne parle pas du Honduras, et ce n’est pas parce que l’actualité est décalée qu’on ne doit pas en parler. A l’époque du putsch, je n’avais pas bien saisi la situation. J’ai quelques éléments supplémentaires maintenant.
  • Honduras, un an de résistance (1)
    le lundi 5 juillet 2010 à 21:04, Jamaye a dit :
    Merci à Bakchich de relayer la situation dans ce pays qui est outrageusement non médiatisée, et je crois que tout le monde sait pourquoi. Les médias de masse devraient avoir honte de soutenir aveuglément l’impérialisme américain, que ce soit pour le Honduras, ou pour les multiples de tentatives de putsch en Amérique latine, sans parler de la situation à Gaza. Merci d’exister, continuez, ces populations ont plus que jamais besoin de nous et c’est pour cela que votre rôle est essentiel.
  • Honduras, un an de résistance (1)
    le lundi 5 juillet 2010 à 14:08, Primitivi a dit :
    Merci de ne pas, comme tant d’autres, oublier le Honduras.
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