Exit la révolution safran réprimée dans le sang, place au business. La crème des opérateurs internationaux prévoit un boom des secteurs pétroliers et gaziers pour 2008 dans ce pays aux mains d’une junte militaire.
Vingt ans après la répression sanglante de 1988, l’ouverture officielle de la Birmanie aux capitaux étrangers est sur le point de s’intensifier de manière significative dans les secteurs de l’énergie. A croire que les pratiques répressives de la junte militaire au pouvoir correspondent directement à l’augmentation de la présence financière étrangère et à l’externalisation de l’exploitation des ressources naturelles.
Pour des raisons dites techniques, les trois petites compagnies pétrolières birmanes (MOGE, MPE et MPPE) ne peuvent malheureusement pas exploiter toutes seules l’immensité des richesses gazières et pétrolières de leur sous-sol. En conséquence, le pays accueille à bras ouverts les opérateurs de bonne volonté qui n’en sont que trop ravis. Une quinzaine de compagnies étrangères se partagent allègrement le territoire. Dans leur jargon rationalisé de coupeurs de gâteaux aux hydro-carbures, ce dernier ne se compose que de blocks : 16 blocks sur terre (onshore) et 29 blocks en mer (offshore).
Signes de ce gazo-boom historique, la ruée vers l’or gazeux bat son plein. Le secteur ne s’est jamais aussi bien porté. Pour preuves, la Compagnie Nationale Pétrolière de Thaïlande (PTT-EP) devrait débuter cette année l’exploration du block M-9 dans le Golfe de Mottama, à l’est du pays. Après avoir déjà investi un milliard de dollars dans ce block, PTT-EP exploitera de manière effective ce champs géant en 2011-2012. La Thaïlande, grande sœur de la Birmanie et également pour les puristes « Pays de Bouddha », y est le premier investisseur étranger avec un total de 7,3 milliards de dollars, tous secteurs confondus, soit 53 % des investissements étrangers dans le pays.
De plus, le 26 février 2008, la République Populaire de Chine, autre poids lourd de la région, à travers l’un de ses bras armés de l’énergie, la China Offshore Oil Corporation (CNOOC), a commencé un programme de trois explorations dans le block M-10 situé également dans le Golfe de Mottama. D’après le journal gouvernemental, The Mirror, ce programme devrait s’achever le 18 mai et immédiatement laisser la place à l’exploitation proprement-dite. Les intérêts chinois sont particulièrement bien représentés avec la CNOOC, la China National Petrochemical Corporation (CNPC) et Sinopec. Cerise sur le gâteau, cette année débutera la construction d’un cordon ombilical énergétique entre la Chine et son satellite du sud-ouest asiatique, un pipeline pétrolier et gazier Chine-Birmanie. Pourquoi faire compliqué… ?
Le 14 février dernier, Pado Man Sha, le secrétaire général de la KNU (Union Nationale Karen), la plus vieille guérilla au monde en conflit avec Rangoon depuis soixante ans, a été assassiné en Thaïlande. Selon l’enquête de la police thaïlandaise, cette liquidation a été exécutée par trois hommes parlant le karen. Un constat qui a permis aux autorités de Bangkok d’avancer la thèse d’un règlement de comptes entre factions et, ainsi, de ne pas mettre en cause la junte birmane.
Or, selon les renseignements obtenus par l’Union karen, qui a intercepté des communications entre les tueurs et un colonel birman, les hommes du commando sont membres de la DKBA (Democratic Karen Buddhist Army), une rivale de la KNU créée en 1994 à l’instigation des généraux birmans pour casser la rébellion karen.
Cette élimination d’un opposant respecté est intervenue cinq jours à peine après l’annonce par la junte birmane d’un processus électoral que Pado Man Sha avait, avec d’autres leaders de l’opposition, qualifié de mascarade…
Monsieur B.
Et l’Inde n’est pas la dernière dans ce domaine. D’après Xinhua News (agence de presse : Chine Nouvelle), la compagnie indienne ESSAR commencera en 2008 l’exploration du block L près de la capitale Sittwe dans l’Etat du Rakhine à l’ouest du pays. ESSAR est autorisée à explorer le block L suite à l’Accord de 2005 signé avec les autorités birmanes. Elle partagera avec la MOGE l’exploration et la production de ce champs. Le block A-2, deuxième block de la compagnie indienne ESSAR, celui-ci offshore, le long des côtes de l’Etat de Rakhine, devrait être exploité dans les prochaines années.
Ainsi, les intérêts indiens sont également représentés et pour le moins bien défendus par deux autres compagnies : ONGC Videsh Limited et Gas Authority of India Limited (GAIL). Elles possèdent toutes deux des contrats d’exploration sur les blocks A-1 et A-3 (Etat de Rakhine) en partenariat avec le consortium sud-coréen Daewoo International Corporation qui a investi 3 milliards de dollars dans ces blocks. L’histoire se s’arrête pas là. En septembre 2007, ONGC a signé séparément des contrats de production et d’exploration de gaz naturel avec la Birmanie concernant les blocks en eau profonde AD-2, AD-3 et AD-9 dans la zone offshore de Rakhine.
La liste serait trop longue à énumérer. Français, américains, russes et britanniques sont bien sûr de la partie et jouent leur partie. Comme d’habitude, les populations birmanes sont les premières à payer le prix de ce business du gaz naturel dont elles n’en voient que peu la couleur et la lumière, vivant encore à l’âge de la bougie ou des groupes électrogènes. D’après l’Organisation Centrale des Statistiques, dans l’année fiscale 2006-2007, la Birmanie a produit 13,039 milliards de mètres cube de gaz et en a exporté 13,028 milliards de mètres cube, ce qui a rapporté au régime 2,03 milliards de dollars. Un enfer pour ces populations désespérées, mais un paradis pour les opérateurs internationaux et pour la junte militaire, la Birmanie connaîtra-t-elle un jour son purgatoire ?