Dans une note du commandant de l’opération Amaryllis (9-14 avril 1994), l’armée française reconnaît que ses militaires ne sont pas intervenus pour empêcher les massacres contre les tutsis dont ils étaient des « témoins proches ».
Dans le dossier rwandais, la Grande muette aurait pu mériter son nom, mais la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Interieur, issue de la fusion DST - RG) est venu, le 14 janvier, lui faire une publicité inattendue. En convoquant le webmaster du site internet de la CEC (Commission d’Enquête Citoyenne pour la vérité sur l’implication française dans le génocide des Tutsi) afin qu’il retire un document classé confidentiel défense en ligne, les services ont attiré l’attention sur l’opération Amaryllis, conduite au Rwanda par l’armée française entre le 9 et le 14 avril 1994 pour exfiltrer les ressortissants français et étrangers au début du génocide des Tutsi.
Ce document, que Bakchich a eu tout loisir de consulter, était accessible en ligne sur le site de la CEC…depuis un an. Signé de la main du Colonel Henri Poncet, commandant de l’opération, à l’adresse de Monsieur l’Amiral Chef d’Etat-Major des Armées, il présente la particularité de souligner ce que de multiples témoignages ont établi depuis longtemps : l’armée française avait ordre d’interdire l’accès aux centres de regroupements aux Rwandais, en particulier Tutsi, sur le point d’être massacrés, et de ne pas intervenir pour faire cesser les massacres dont les militaires français étaient les « témoins proches ».
Ainsi, de sa plus belle plume, le colonel écrit-il :
« Les médias ont été très présents dès le deuxième jour de l’opération. Le COMOPS a facilité leur travail en leur faisant deux points de presse quotidiens et en les aidant dans leur déplacements mais avec un soucis permanent de ne pas leur montrer des soldats limitant l’accès aux centres de regroupement aux seuls étrangers sur le territoire du Rwanda (Directive N°008/DEF/EMA du 10 avril) ou n’intervenant pas pour faire cesser des massacres dont ils étaient les témoins proches. »
Peut-être que les journalistes, s’ils avaient libres de leurs mouvements, auraient pu rapporter du « renseignement de proximité » qui, à en croire le colonel, fut « insuffisant » « dans les heures qui ont précédé le déclenchement de l’opération ». Ainsi note-t-il qu’ « il n’existait pas à Bangui de plan d’évacuation des ressortissants. » Rendant sans doute le travail des militaires fort complexe.
Cette note confirme donc les accusations de survivants du génocide, qui ont toujours affirmé que même les membres du personnel tutsi de l’ambassade de France et du centre culturel ont été délibérément abandonnés à leur sort tragique. Toutefois, le compte-rendu du colonel Poncet passe sous silence un fait avéré qui contredit la directive de réserver les moyens d’évacuation aux seuls ressortissants étrangers : Des privilégiés du régime du défunt président Habyarimana, souvent liés aux génocidaires, ont été exfiltrés du Rwanda par les militaires français de l’opération Amaryllis. C’est notamment le cas de la veuve du président, Agathe Habyarimana, qui s’est ultérieurement vu refuser le statut de réfugié politique en France par la Commission de Recours des Réfugiés, pour « forte suspicion » de liens avec les organisateurs du génocide…
Reste à savoir pourquoi il a fallu un an pour que, sans passer par la case justice, soit prise cette décision de censure. Si cette note ne fait pas partie du lot de documents récemment déclassifiés à la demande de la juge qui instruit les plaintes de victimes rwandaises contre l’armée française, elle ne pourra figurer dans la procédure. Quant à son occultation, cette intervention policière n’aura fait que lui assurer une plus large publicité. Et les Amaryllis de refleurir ?
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