Poursuivi pour diffamation et incitation à la haine raciale après son ouvrage sur le Rwanda, Pierre Péan a été relaxé vendredi 7 novembre.
Peut-on encore aller à rebours de la pensée dominante sans se faire automatiquement traiter de nazi ? Telle est au fond la question que posait le procès, au mois de septembre dernier, du journaliste Pierre Péan, contre qui SOS Racisme avait porté plainte pour diffamation raciale et provocation à la haine raciale, après la publication de son livre : Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994.
Dans cet ouvrage, publié en 2005, Pierre Péan soutient que le président rwandais Paul Kagame porte une lourde part de responsabilité dans le génocide rwandais, puisque, d’après lui, « dans la phase ultime de sa stratégie de conquête du pouvoir, Kagame a planifié l’attentat » qui a coûté la vie à son prédécesseur, Juvénal Habyarimana, et « donc planifié ainsi sa conséquence directe : le génocide des Tutsis perpétré en représailles ».
Il dénonce également, ne croyant pas si bien dire, les accusations de révisionnisme ou de négationnisme portées contre quiconque oserait formuler une telle hypothèse.
En 2006, SOS Racisme porte plainte contre Pierre Péan pour diffamation raciale et provocation la haine raciale, pour quatre pages de son livre (sur plus de 540), rédigées d’ailleurs avec un… Tutsi, où il écrit notamment que : « La culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsis ».
Le procès a lieu en septembre 2008 : au deuxième jour, un témoin cité par SOS Racisme compare Pierre Péan avec Faurisson, et même, pourquoi se gêner, avec Hitler - expliquant très posément que Noires fureurs, blancs menteurs lui rappelle… Mein Kampf !
Pour avoir fait entendre une voix discordante, Pierre Péan serait donc un nazi, et un négationniste…
Mauvaise pioche, en vérité : le journaliste vient d’être relaxé, le 7 novembre, par un jugement qui remet quelques pendules à l’heure - et qui devrait inciter ceux dont l’argumentation se résume à de salissantes imputations à plus de modération.
D’abord, ce jugement établit que jamais Pierre Péan n’a, bien évidemment, nié la réalité du génocide rwandais.
Il écrit ainsi, par exemple : « Carnage, boucherie, abattoir… En vain aura-t-on cherché des mots assez éloquents pour dire l’horreur survenue au Rwanda. Rony Brauman, un des fondateurs de Médecins sans frontières, a su décrire l’indescriptible : "Ne se cachant même pas aux yeux des MSF tétanisés de rage impuissante, les SS tropicaux, ivres d’alcool et de fureur purificatrice, accomplissaient leur besogne, découpant adultes et enfants à la machette, sectionnant les tendons d’Achille, tranchant les doigts ou les mains des bébés, incendiant ou pulvérisant à la grenade les lieux de refuge, pourchassant les fuyards jusqu’à la frontière où ils les abattaient au gourdin, à la lance, à la mitraillette". L’intense charge émotionnelle de ces images de charniers a fait resurgir celle de la libération des camps de la mort, à la fin de la dernière guerre mondiale. Ainsi l’humanité avait de nouveau abdiqué devant l’horreur. La communauté internationale qui avait laissé, une fois encore, se perpétrer ces massacres crut se rattraper en qualifiant toutes affaires cessantes, la tragédie rwandaise de génocide. Oui, il s’agissait bien d’un génocide, d’une entreprise d’extermination par des meurtres de masse ».
Difficile d’être plus net.
Quant au passage incriminé par SOS Racisme, où Pierre Péan prête aux Tutsis une « culture du mensonge », et qui peut en effet choquer ?
Le jugement du 7 novembre souligne que « l’auteur justifie ce particularisme en ces termes : "Le mensonge est en quelque sorte une protection de soi ou du groupe auquel on appartient (…). Parce que les Rwandais ont toujours vécu dans la crainte et dans la culture de la méfiance sécrétée par la cour des Bami, ils s’attendent toujours à un malheur émanant de l’autorité ou d’une autre personne qui chercherait à leur faire du tort" ».
Verdict : « Une telle explication ne peut être dissociée des propos incriminés, sauf à dénaturer le sens que Pierre Péan a voulu lui donner ».
En substance, les juges retiennent que la démonstration de Pierre Péan « apparaît » certaines fois comme « hasardeu(se) et sujet(te) à discussion », mais qu’elle ne « caractérise » nullement « le délit de diffamation à caractère racial » - et que ses propos « doivent être appréciés au regard de la thèse soutenue par Pierre Péan qui, sans jamais nier ni banaliser l’existence du génocide dont ont été victimes les Tutsis, entend contrer une vérité officielle sur le drame rwandais et dénoncer les stratégies de désinformation, de manipulation et d’instrumentalisation de l’opinion publique par le régime de Paul Kagame et ses partisans ».
Naturellement, et encore une fois, une telle thèse peut (et doit) faire l’objet d’une discussion - au moment, notamment, où de nouvelles atrocités montrent, au Congo, une réalité complexe : mais encore faudrait-il ne plus confondre le débat et l’insulte.
A lire ou relire sur Bakchich.info
Que le tribunal écrive que Péan "entend contrer une vérité officielle sur le drame rwandais" pourquoi pas, c’est un tribunal (encore qu’on se demande quelle est cette vérité officielle, vu que Péan semble justement suivre la vérité officielle étatique).
Il est par contre tout à fait étonnant d’écrire que Péan "a osé faire entendre une voix discordante" quand on s’appelle Sébastien Fontenelle.
Comme quoi.
http://survie67.free.fr/France/Survie-pean.pdf