Immortel
4 mai 2006. Local enfumé. Un brouillard printanier flotte au 6B passage Thiéré. Premier étage. Après un escalier au carrelage brisé un étroit couloir. Quelques canette de bière trônent devant une porte entr’ouverte. Un léger clapotis laisse songer à une fuite d’eau. Les toilettes du bâtiment. Une porte plus loin sur la gauche. Blindée. Ouverte. Les murs sont moins épais qu’elle. Derrière ces ridicules séparation, une moquette violette, usée. Des traces d’un vieux café renversé sont mises en lumière par le néon violet. Au mur des dessins, visibles à travers les volutes de cigarettes fatiguées. Un rayon de soleil à travers les barreaux de l’unique fenêtre, en parti obstrué par l’étage du bâtiment voisin.
Et des ordinateurs allumés. Deux jeunes godelureaux en transe devant leur écran, quand une étrange muse commerciale sourit bêtement en comptant. "On est déjà à 20 !" Vingt visiteurs. Bakchich.info est né et le site est accessible. 2 mois d’efforts, peu de nuits de réconfort, pour une mâtinée béate. Les efforts ont payé, "IL" existe. Les fondateurs anonymes ou pas, venus des grandes rédactions multiplient les coups de fil. Du Canard enchaîné, du Monde, de Libé, du Nouvel Observateur. Les dessinateurs sont ravis. Eternité de l’instant. Avant de se remettre au boulot. Pour de nouveaux papiers.
De nouvelles nuits sans sommeil, simplement guidés par l’info, l’enquête et le mauvais esprit. Ce matin Bakchich est né. Sans salariés. Sans sponsor. Seulement avec une idée un peu folle. Informer. Sans rien concéder. Se marrer, faire marrer les potes. Et les lecteurs. Du journalisme total.
26 janvier 2011. 1, quai de la Corse. Tribunal du commerce. 1er étage escalier C. 12e chambre. La chambre du conseil nous attend. Pas franchement contente d’avoir à tirer le rideau sur 5 ans d’aventure. Le Groupe Bakchich va être liquidé. Avec ses 15 salariés, son hebdo, sa renommée. Depuis un mois, Nicolas Beau est devenu une star que les médias s’arrachent. La Tunisie de Ben Ali est tombér. Nos articles, son livre sur le système tunisien se voient enfin invités sur les plateaux télé. Un symbole. Autour du cercueil, des collègues passionnés pleurent la disparition de cette petite "usine à scoops". Moins cher que l’AFP et tellement plus facile à pomper. L’épitaphe de la profession. "Au journal que nous aimions tant pillé".
Trop tard pour vous rattraper. Ou pour feindre un chagrin. Cinq années de révélations. Ce fut aussi long que bon. Une extase des milliers de fois répétée, à mesure que les articles, les scoops et les jeux de mots s’empilaient. Que le bébé, dans le torrent de l’info était sauvé. Quel pied (de nez) à chaque résurrection. Et invention. Premier site d’info satirique né en 2006. Premier hebdo né d’un "pure player" nom barbare dont nous avons été malgré nous affublés en 2009. Premier site d’infos liquidé !
L’avant-garde a un coût. Et un petit arrière-goût. Qui ne fait naître qu’une envie. Y revenir. Créer une aventure de presse ? C’était possible parce que nous le voulions. Ca l’est encore. Simple question de foi.
Bakchich ? Immortel.