Dans un jugement du 4 juillet dernier, le tribunal correctionnel de Nice condamne Thales Engineering & Consulting (qui a fait appel) à 600.000 euros d’amende et à « l’exclusion des marchés publics pour une durée de deux ans ». Décryptage sauce « Bakchich ».
L’« affaire du tramway de Nice » est d’une époustouflante simplicité : en 2002, la société Thales Engineering & Consulting (THEC), filiale du groupe Thales dirigée, à l’époque, par Michel Josserand, a (gentiment) versé de confortables commissions occultes [1] à un conseiller municipal niçois, Dominique Monleau, pour obtenir sa part de l’épais marché du tramway.
Au mois de novembre 2003, un certain Bernard Angotti remplace Michel Josserand à la tête de THEC. Informé de ce que des gratifications clandestines ont ainsi été consenties à Dominique Monleau, il ordonne l’arrêt de ces versements, et demande une enquête interne : finalement, au mois de mars 2005, il dépose, à Nice, une plainte qui mentionne des « soupçons existants quant à des paiements indus », qui ne semblent « pas correspondre à des prestations réelles ». En clair : un bon vieil abus de bien social.
Le 9 avril 2005, Michel Josserand est incarcéré [2]. Jugeant que son ancien employeur essaie de lui faire porter un bob un peu trop large pour lui en le présentant comme un grand manitou de la corruption, il se lance, devant le vice-procureur de la République de Nice de l’époque, Gilles Accomando, dans le récit détaillé de ce qu’il sait, ou croit savoir, de certaines affaires du groupe Thales en France, et dans le reste du monde : son témoignage, pour le moins explosif, est transmis au parquet de Paris, où son instruction est confiée, à la fin de l’année 2005, aux juges Renaud Van Ruymbecke et Xavière Simeoni.
L’affaire du tramway, quant à elle, est jugée au mois de juin 2008.
Verdict : dans un jugement (n° 2441/08) daté du 4 juillet dernier, le tribunal correctionnel de Nice, en première instance, condamne l’élu qui « a porté gravement atteinte à la confiance que les citoyens doivent avoir dans leurs représentants » à « quatre ans d’emprisonnement dont deux ans avec sursis et (…) 15.000 euros d’amende ».
Michel Josserand, qui pour le tribunal « porte une responsabilité toute particulière dans le présent dossier puisqu’en tant que directeur de THEC il avait le pouvoir d’interdire toute pratique illégale », écope de « dix-huit mois d’emprisonnement dont douze mois assortis de sursis » et de « 15.000 euros d’amende ».
Précision intéressante : le tribunal considère que s’« il est incontestable que Michel Josserand, PDG de THEC », était « bien le représentant » de cette société en 2002, « il est tout aussi incontestable que les faits (…) jugés n’ont pas été commis (…) pour (son) propre compte, mais bien pour le compte de (…) THEC, le pacte de corruption ayant pour objet de faire en sorte que Dominique Monleau aide la société THEC à obtenir le marché MOER [3] du tramway de Nice ».
Le tribunal estime que « ce double constat suffit à retenir la responsabilité pénale de la société THEC », et « souligne » que « dans ce dossier, plusieurs éléments confirment cette responsabilité ».
Ainsi, dans le cours de l’instruction de l’affaire du tramway, « ce ne sont pas moins de trois réseaux de financements occultes qui ont été mis en évidence » [4]. Or : l’un de ces trois circuits de financement occulte « préexistait (…) à l’arrivée de Michel Josserand à la tête de THEC ». En outre : « Ce n’est pas seulement Michel Josserand qui a participé aux faits (…) jugés, mais aussi (…) trois cadres supérieurs de l’entreprise THEC ». Pour le tribunal, « c’est donc une partie importante des dirigeants de THEC qui ont participé à cette entreprise illégale : le délit de corruption n’est donc pas le fait d’un homme seul, mais bien d’une organisation, qualifiée de quasi-militaire tout au long des débats ». Enfin : « La circonstance que ce soit la société THEC elle-même qui ait dénoncé les faits (15 mois après qu’elle les ait découverts) n’est légalement pas de nature à modifier sa responsabilité ».
(Au passage, le jugement énonce que les révélations faites en 2005 par Michel Josserand dans le bureau du vice-procureur Accomando « ne sont pas totalement fantaisistes ».)
Conséquence numéro un : « Le tribunal retient (…) la culpabilité de la personne morale THEC ».
Conséquence numéro deux, pénible pour Thales : « Dès lors que le tribunal retient la responsabilité pénale de la personne morale, on ne peut plus prétendre qu’elle ait subi un quelconque abus de ses biens sociaux, puisqu’elle est à l’origine même de l’utilisation illégale de ses fonds. Michel Josserand n’a donc pas fait "de mauvaise foi" une utilisation anormale des biens de la personne morale puisqu’il a, en l’occurence, utilisé les fonds de la société THEC dans l’esprit qui y prévalait à l’époque, esprit qui consistait à penser que tous les moyens étaient bons pour arriver aux fins recherchées ».
Conclusion, d’une grande sévérité : « La société THEC apparaît dans le présent dossier comme une société dont le "code éthique" ne parvient pas à masquer une réalité beaucoup plus terre à terre, qui peut se résumer par l’adage : « La fin justifie les moyens » ».
Elle est donc « condamnée à 600.000 euros d’amende », et « le tribunal prononce à son encontre l’exlusion des marchés publics pour une durée de deux ans ».
THEC, où l’on ne s’attendait certainement pas, en portant plainte au mois de mars 2005, à un tel retour de bâton, vient de faire appel de ce jugement.
Michel Josserand, pour sa part, aimerait savoir où en est l’instruction, à Paris, des faits qu’il a signalés il y a plus de trois ans au parquet de Nice…
À lire ou relire sur Bakchich.info
L’affaire du tramway de Nice
D’autre joyeusetés à propos de Thalès
[1] Monleau a reçu 30.500 euros le 5 avril 2002, sur un compte bancaire (joliment nommé « CARAVANE ») à Gibraltar, puis 29.000 euros le 10 juin suivant, toujours à Gibraltar, puis enfin 45.765 euros le 24 septembre 2003, sur un compte bancaire suisse du nom de « TEREVA ».
[2] Il passera deux mois et demi en prison, avant d’être finalement élargi le 24 juin.
[3] Maîtrise d’oeuvre réalisation.
[4] Cela fait dire aux juges que : « La société THEC, du fait de son envergure, n’a donc aucune difficulté pour obtenir la collaboration de sous-traitants pour faire parvenir des commissions occultes à leurs destinataires », lesdits sous-traitants « percevant en guise de rémunération, 7 % (du montant de) ces opérations ».