Jean-Marie Stoerkel publie un succulent polar en forme de voyage à travers l’Alsace. De son côté, le philosophe Jean-Claude Michéa réédite son analyse du foot, "langage universel" et révélateur de notre société.
C’était obligé, à force d’écrire sur de vrais crimes, Jean- Marie Stoerkel finit par en inventer de faux. La vie de cet homme est celle d’un serial killer, toujours les pieds dans le sang. Pendant trente ans, JMS a été une perle du journalisme, délivrant ses lignes rigoureuses dans l’Alsace, où le reportage, pour être à portée de mobylette, n’en est pas moins grand. Des gens assassinés, Stoerkel en a vu, et trop de meurtres bizarres conduisent forcément au roman. Stoerkel publie la Morte du confessionnal. Bon titre dans une région où règne encore le culte d’État et où l’on pend le crucifix au mur du tribunal.
La morte fut une belle vivante. Godelieve, une Néerlandaise folle de son corps et d’Érasme, est venue en Alsace sur les traces du théologien érudit. Stoerkel en profite pour nous faire visiter la cathédrale de Strasbourg, la bibliothèque humaniste de Sélestat, le château du Haut- Koenigsbourg. Des chefs-d’oeuvre de l’humanité où, pour qui sait manier le clavier du PC, il est jubilatoire de mélanger le réel au fantastique. Lire ce polar, un verre de gewurztraminer en main, c’est faire un beau voyage. Se dépayser en restant dans sa chambre.
Évidemment, outre Érasme, Godelieve a une autre raison de voyager. Elle cache un diamant pourpre qu’elle doit convoyer à Bâle. Bien sûr, qu’elle n’est pas morte dans le confessionnal, cet instrument d’aveux pieux n’attire plus la foudre divine. La jeune Batave a perdu la vie près du Haut-Koenigsbourg, entre la Montagne des singes et la Volerie des aigles, dont l’un, noir bien sûr, aime à tourbillonner au son d’une contrebasse.
Tout cela pour vous démontrer que s’occuper des faits divers dans un journal n’est pas sans danger pour le cerveau. Mais bénéfique pour la littérature où ce joli cadavre fait un si bon livre. Ce Stoerkel est un habitué de l’extraordinaire. N’a-t-il pas été, jadis, l’ambassadeur de l’abbé Pierre auprès des Black Panthers, en plein coeur de Harlem en feu ! Du grand…
Si l’Alsacien Stoerkel traite du sang et des larmes, le philosophe, lui, Jean-Claude Michéa, écrit avec la sueur du peuple. Ultime philosophe « prolétarien », Michéa est un des plus remarquables de nos penseurs. C’est pourquoi les médias ne parlent jamais de lui. Admirateur du socialisme de George Orwell, Michéa flingue à longueur de lignes ces intellectuels qui continuent de s’affirmer « de gauche », alors que, comme le disait Guy Hocquenghem, « ils sont passés du col Mao au Rotary ». Pour faire plaisir à vos neurones, lisez l’Empire du moindre mal. La seule « toile » du philosophe, c’est d’avoir perdu son temps en signant un bouquin aux côtés de Finkielkraut et de Bruckner… Ce qui mérite un penalty.
Métaphore facile puisque Michéa réédite un magnifique tout petit livre, les Intellectuels, le peuple et le ballon rond. Un bouquin publié pour la première fois en 1998 et qui mériterait une diffusion universelle. Pour Michéa, le foot est le langage planétaire du peuple, son espéranto.
Dans ses pages, il rend hommage au grand écrivain uruguayen Eduardo Galeano, à son Football, ombre et lumière. Jongler autour de ce Sud- Américain est l’occasion, pour notre philosophe, de régler le compte à ces « classes éduquées » qui expriment « leur détestation pour les sports populaires, le foot en particulier ». Faites le test, comptez autour de vous les bobos propagandistes du prétendu « esprit rugby »… contre le foot si mal élevé et à l’identité nationale imprécise.
Si Michéa est un passionné du jeu, il n’est pas assez sot pour ne parler que de lui. Son livre est le moyen de mesurer l’état de notre monde à l’échelle du foot : la marée du fric et celle de l’individualisme font tsunami. Drôle, Michéa imagine qu’en prolongeant l’élan du foot coté en Bourse viendra le jour « où, à la mi-temps d’un match clé, les firmes footballistiques les plus influentes auront le droit de recruter les meilleurs joueurs de l’équipe d’en face ». Le changement de camp ? Alors Kouchner et Besson avec les Bleus !
La Morte du confessionnal, par Jean-Marie Stoerkel, éd. du Bastberg, 319 pages, 14 euros.
Les Intellectuels, le peuple et le ballon rond, par Jean-Claude Michéa, éd. Climats, 96 pages, 6 euros.