L’été dernier, le rapprochement entre le Tchad et la Chine n’a pas échappé aux yeux de Taiwan, ni aux oreilles de Bakchich
En 2005, les négociations entre le Tchad et la République populaire avaient failli se finaliser à Paris, lors de l’un des innombrables séjours médicaux d’ Idriss Déby, le président tchadien. Mais les promesses de Pékin n’avaient pas étanché la soif du dictateur, véritable tonneau des danaïdes. Les tractations entre les deux pays n’ont cependant pas cessé, entre Khartoum et Paris, parfois sous le haut parrainage de Abdoulaye Wade, le président sénégalais.
En août 2006, l’heure de la tournée du patron sonne enfin pour Déby. Le chef de la diplomatie tchadienne Ahmad Allam-Mi s’envole dans le plus grand secret pour Paris. Il y finalise les négociations avec les représentants chinois. A ses côtés se trouvent aussi Abakar Manany, le conseiller spécial de Déby, et un conseiller de Wade.
Entre la Chine continentale et la Chine nationaliste (Taiwan) n’a jamais règné une franche camaraderie. Le gros voulant depuis toujours annexer le petit. Cordiales les deux Chines n’en sont jamais venus aux mains, se contentant de montrer leurs muscles et de s’armer. Depuis l’investiture à Taiwan du président indépendantiste Chen en 2000, l’affrontement diplomatique entre Pékin et Taipei est devenu de plus en plus sanglant. Le 23 juillet 2002, le jour où Chen devait être nommé président de son parti, la mini république de Nauru annonce la rupture des ses relations diplomatiques avec Taipei. Le 12 octobre 2003, c’est au tour du Libéria de jouer le même jeu… deux jours après la fête nationale taiwanaise. Le 25 octobre 2005, c’est Dakar qui, à son tour, change de camp, le même jour que le Taiwan Retrocession Day, jour historique célébrant la fin de la colonisation japonaise sur l’île. Les Sénégalais savent cadeauter.
Tout se passe comme sur des roulettes quand, soudainement, la ministre déléguée des Affaires étrangères du Tchad, Lucienne Dillah, est sollicitée par l’ambassadeur taiwanais à Ndjamena. Les Taiwanais réclament des explications sur le voyage d’Allam-Mi et sa présence a Paris. Alertée par diverses sources, la Chine nationaliste a pu localiser Allami-Mi dans la capitale française. Mieux encore : les Taiwanais – visiblement dotés d’excellents services de renseignements - se sont rendus compte que le ministre tchadien a réservé une place sur tous les vols Paris-Pékin, pour pouvoir sauter sur un avion après la conclusion des négociations.
Pris par surprise, Ndjaména ferme la porte et refuse de s’expliquer. La ministre fautive, Lucienne Dillah, sera écartée lors du remaniement du gouvernement. Mais entre temps, Taipei multiplie ses demandes et lance finalement un ultimatum le 5 août 2006. Il y a urgence à obtenir des éclaircissements : le Premier ministre taiwanais Su Chen Chang doit en effet se rendre au Tchad trois jours après, le 8 août, pour l’investiture de Déby, le président réélu.
L’ambassadeur tchadien à Taipei est convoqué d’urgence au ministère des Affaires étrangères. En substance, on lui explique que le Premier ministre taiwanais annulera son voyage officiel à moins que Ndjaména fournisse une explication raisonnable sur la conduite de son ministre des Affaires étrangères. Le même jour à Ndjaména, c’est au tour de l’ambassadeur taiwanais d’être convoqué. On lui remet une note verbale datée du 5 qui déclare la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, accompagnée d’une lettre personnelle de Déby, datée du jour suivant, adressée au président taiwanais.
Aux vues des évènements de la semaine –état d’urgence proclamé, défaites sanglantes de l’armée régulière face aux rebelles-, le retournement du Tchad par la Chine n’a pas eu les effets escomptés. La tension avec le Soudan, plus que soupçonné d’armer les rebelles tchadiens est à son comble. Et la France, qui apporte son aide technique, logistique et humaine (1100 hommes sur place) bloque toujours toute initiative « privée ». Au grand dam des anciens lieutenants de Bob Dénard, toujours ravis d’aller faire un tour à Ndjaména et qui ne cessent de dauber « sur un colonel abruti congénital des services français, en place sur zone, qui interdit à Déby d’y penser ». Gros jaloux !
Dès le 6 août, Pékin renoue ses relations avec Ndjaména, mais sans fanfare, contrairement aux coutumes. Bien que trois mois se sont déjà écoulés, un mystère plane toujours dans les cercle diplomatiques de Ndjaména : qui est le corbeau qui a alerté Taipei sur les tractations en cours entre Chinois et Tchadiens ? Selon des informations recueillies au Tchad, parmi les noms cités, celui d’Abakar Manany revient le plus souvent. Un diplomate tchadien un brin bavard confie que ce dernier, chevalier de la Légion d’honneur par la grâce de Chirac, maintenait des relations étroites avec Taipei bien qu’il soit chargé des négociations avec Pékin. Peut-être a-t-il alerté Taipei de ce que tramait Pékin ? Reste qu’Idriss Déby a encore une fois changé de camp, impressionné par la montée de la puissance chinoise en Afrique, désireux de régler une fois pour toute ses problèmes avec Khartoum, y compris les rebelles soutenus par ce dernier, et encouragé par ses alliés français.