À peine élu président des États-Unis, Barack Obama compose sa nouvelle équipe. Douche froide garantie pour ceux qui voulaient du « changement », du vrai.
C’est une erreur de croire que la confortable élection de Barack Obama et la victoire du parti démocrate fera basculer l’Amérique à gauche. Obama gouvernera comme il a fait campagne : avec prudence et modération. D’autant plus que les caisses de l’État sont vides. Et oui, entre la guerre en Irak et la crise financière, le gouvernement est surendetté de plus de 3 000 milliards de dollars et n’a pas d’argent pour se lancer dans de vastes et coûteux projets.
Dans le futur gouvernement qu’il est en train de constituer, Barack Obama, qui prendra ses nouvelles fonctions présidentielles le 20 janvier, met le cap sur le centre. Lors des dernières 24 heures, on a eu confirmation que le futur président a bien demandé à Rahm Emmanuel, un démocrate de centre-droit connu sous le nom de « Rahm-bo », de devenir le secrétaire général de la Maison-Blanche, le poste le plus puissant après celui d’Obama. Quoique ses amis se répandent racontant que « Rahm-bo » se fait du mouron, partagé qu’il est entre accepter le job et abandonner son vœu le plus cher de succéder à Nancy Pelosi comme Speaker de la Chambre de représentants, il est trop assoiffé de pouvoir et devrait rejoindre la Maison-Blanche.
Obama entamera également une « ouverture à droite » en choisissant des républicains dits « modérés » comme membres du gouvernement. Il a déjà proposé au Général Colin Powell les postes de Secrétaire de la Défense ou de l’Éducation (cette dernière étant un sujet de prédilection du général). Et il y aura sans doute des républicains dans l’équipe d’Obama qui planchera sur l’économie. Leurs noms devraient être vite connus car le nouveau président souhaite que cette équipe soit constituée dans les meilleurs délais, peut-être même à la fin de la semaine.
Parmi les personnes pressenties figurent Gene Sperling, ancien conseiller en économie de Bill Clinton et John Podesta, ancien secrétaire général de la Maison-Blanche, toujours sous Clinton, qu’Obama vient de nommer directeur de la période de transition avec l’administration Bush. Mais ces deux-là ont œuvré, comme d’autres, à l’abrogation de la loi Glass-Steagall en 1999. Lorsqu’à cette époque Clinton rejoint les républicains pour mettre fin à cette loi créée par le président Franklin D. Roosevelt au pire de la Grande Dépression des années 30, la dérégulation des secteurs bancaire et financier qui en résulte engendrera les conditions de la crise financière et économique en cours. Sperling, Podesta et « Rahm-bo » (lui aussi un supporter de l’abrogation de Glass-Steagall), on se demande bien où est le « changement » promis par le candidat Barack Obama !
Le sénateur républicain conservateur mais modéré Richard Lugar, de l’État d’Indiana, avec qui Obama a co-sponsorisé des projets de loi au Sénat et qui est très respecté au sein de l’establishment pour sa connaissance des affaires étrangères (il est le numéro deux de la Commission des Affaires étrangères du Sénat qu’il a longtemps présidé), a toutes les chances de remplacer Condoleeza Rice au poste de Secrétaire d’État. Il est arrivé à Lugar de critiquer George W. Bush sur sa politique internationale mais est-ce qu’un sénateur en poste depuis 32 ans et aujourd’hui âgé de 74 ans (ses cheveux blancs sont censés compenser la jeunesse d’Obama) peut décemment incarner le « changement » ? Il est permis d’en douter. Autre possibilité pour Secrétariat d’Etat selon le quotidien Boston Globe : le sénateur John Kerry du Massachusetts, la candidat démocrate (et francophone) à la présidentielle de 2004.
Pour apaiser l’aile gauche de son parti, le nouveau président se tourne vers un nom célèbre : Robert F. Kennedy Jr., le fils du sénateur assassiné en 1968 pendant sa campagne présidentielle, pour diriger l’Environmental Protection Administration (EPA). RFK junior est un avocat spécialisé dans les questions environnementales aguerri qui s’est longtemps battu pour la propreté des eaux de la Rivière Hudson à New York. Il est également populaire auprès de l’aile gauche démocrate grâce à sa participation comme co-animateur dans une émission diffusée sur la seule radio nationale progressiste, Air America. Mais aussi pour ses enquêtes sur les tentatives de manipulation du processus électoral pour empêcher les noirs et les minorités de voter. Robert F. Kennedy Jr. plaira aussi aux supporters d’Hillary Clinton car il a soutenu la sénatrice new yorkaise (qui occupe le siège de feu son père) lors des primaires. Résultat pour Barack Obama : réhausser la visibilité de l’EPA, l’agence qui protège les eaux et l’air, avec un nom célèbre ne coûte pas grand chose mais est un bon coup de relations publiques qui concerne d’abord ceux qui, au sein du parti démocrate, seront déçus par le manque d’importantes initiatives progressistes pendant le début de sa présidence.
Une autre Kennedy se verra proposer un poste clé : Caroline, la fille du président assassiné en 1963 et qui figure déjà en tête de liste des candidats au poste d’ambassadeur des États-Unis à l’ONU. Une bonne façon de la récompenser pour son soutien à Obama au moment crucial de la lutte contre Hillary Clinton ou encore pour son aide à faire bénéficier le candidat du fameux effet « camelot », du nom donné au mythe voulant que la présidence Kennedy ait été ancrée à gauche. Un pur fantasme tant JFK exécrait la gauche…
Caroline Kennedy est plutôt connue pour fuir les projecteurs et en a surpris plus d’un avec le rôle actif qu’elle a joué dans la campagne d’Obama pendant les primaires. La question reste donc entière : acceptera-t-elle d’aller a l’ONU et donc d’occuper un poste visible et exposé ? Si oui, sa nomination aidera Obama à restaurer l’image des États-Unis dans le monde que George W. Bush a terni tant le nom de « Kennedy » recèle une certaine part de magie. Mais Caroline Kennedy n’est franchement pas réputée pour sa connaissance profonde des dossiers internationaux et ne sera qu’un « gadget » de plus de la future administration Obama.
Quant au Congrès, certes, les démocrates renforcent leur majorité dans les deux chambres mais pas autant qu’ils l’espéraient. Au Sénat, ils gagnent cinq sièges mais échouent à obtenir la super-majorité absolue de 60 sièges à laquelle ils prétendaient pour avoir le contrôle absolu de la chambre haute. Quatre combats restent encore en suspens : dans le Minnesota et en Géorgie, le résultat est si serré que les lois locales obligent à recompter les voix pour la seconde fois avec probablement un deuxième tour en Georgie.
Dans l’Oregon, le candidat le plus progressiste parmi les candidats démocrates au Sénat, Jeff Merkley, arrive un peu derrière le sénateur républicain Gordon Smith mais le vote par correspondance n’a pas encore été comptabilisé. En Alaska, le républicain et octogénaire Ted Stevens, reconnu coupable de sept chefs d’accusation dont celui de « corruption » lors d’un procès qui s’est tenu une semaine avant les élections, arrive en tête avec 4 000 voix de plus mais il reste encore 40 000 voix par correspondance à compter. Si Stevens l’emporte, il sera sans doute obligé de démissionner du Sénat à cause de ses démêlés avec la justice. Il y aura alors une nouvelle élection 90 jours plus tard et la gouverneure Sarah Palin pourrait bien se porter candidate.
A la Chambre des représentants, les démocrates ont gagné au moins 19 sièges supplémentaires avec la possibilité d’en ajouter cinq ou six autres une fois le décompte des voix terminé. Mais, loin de prendre un virage à gauche au Congrès, le groupe parlementaire démocrate à la Chambre sera plus à droite que jamais. Sous l’égide de « Rahm-bo » et des autres leaders démocrates, le parti a surtout recruté des candidats millionnaires de centre-droit capable d’autofinancer leurs propres campagnes… Quant au Sénat, les nouveaux venus sont tous des démocrates modérés du centre, excepté Merkley de l’Oregon s’il tire son épingle du jeu.
Pour conclure, Obama sera un président prudent et centriste avec quelques bons coups en relations publiques. L’Amérique reste un pays de centre-droit et, en bon politicien, Obama aura en tête sa ré-élection en 2012 dès qu’il prêtera sermon en janvier prochain. De son côté, le Congrès ne sera pas prêt, non plus, à le soutenir dans des projets jugés trop à gauche. Ceux aux États-Unis et dans le monde qui attendaient un grand changement seront vite déçus. Et puisque les attentes sont si grandes, la déception n’en sera que plus cruelle.
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