Victime de la crise financière, la Russie va dévaluation sur dévaluation de sa monnaie, le rouble. Ses dirigeants envisagent des solutions.
En seulement sept semaines, la Russie a procédé à 12 dévaluations du rouble, qui a ainsi perdu près de 2,5 % de sa valeur vis-à-vis du dollar sur cette période dans un contexte extrêmement tendu qui rappelle la déconfiture subie par le pays en 1998. Pourtant, et même si le dilemme consiste toujours entre laisser leur monnaie dégringoler ou déployer des efforts financiers intenses afin de la défendre, la Russie se retrouve aujourd’hui dans une situation nettement moins périlleuse qu’en 1998, politiquement et économiquement. La Russie a donc manifestement plus à perdre de nos jours, principalement eu égard à deux sources de pression substantielles qu’elle se doit de gérer au mieux, à savoir l’effondrement des prix énergétiques et les guerres larvées – ou ouvertes – avec ses voisins comme la Géorgie ou tout récemment l’Ukraine…
Au demeurant, la crise globale ayant sévi dans les nations limitrophes, a contraint ces derniers mois le zloty polonais à perdre 22% de sa valeur, le forint hongrois 16% et la couronne tchèque 12%, par rapport au billet vert dans une conjoncture de raréfaction du crédit ayant rudement touché l’est européen ! Quant au rouble, il a perdu à ce jour près de 20% de sa valeur vis-à-vis du dollar depuis août 2008. Cette crise du crédit a certes eu un impact non négligeable sur cet affaiblissement du rouble mais, une fois de plus, les vrais talons d’Achille du pays sont les prix énergétiques combinés au conflit géorgien ayant provoqué des fuites massives de capitaux hors du pays. Ainsi, et pour la première fois depuis une décennie, les comptes budgétaires russes seront-ils déficitaires du fait de l’effondrement des prix du pétrole de près de 80% depuis leur plus haut niveau de 147 dollars le baril en juillet 2008.
Comment s’étonner dès lors que, la Russie qui semble trembler sur son socle hiératique, dilapide progressivement ses réserves monétaires gigantesques afin d’éviter que cette crise ne contamine l’ensemble du pays ? En fait, le dilemme est classique : arrêter les frais et laisser le rouble trouver son équilibre sur les marchés au prix d’une dégringolade supplémentaire et d’une volatilité ayant marqué la population du pays en 1998 ou utiliser toujours plus de munitions afin de défendre le niveau du rouble au prix d’une perte d’influence internationale du fait de réserves monétaires en peau de chagrin… C’est au demeurant ces mêmes réserves, ayant fondu de 650 milliards de dollars en août 2008 à 500 aujourd’hui, qui ont permis au Kremlin d’éviter les faillites retentissantes d’établissements financiers russes, tout en freinant la baisse du rouble. Stable et contenu dans une fourchette de fluctuation établie approximativement entre 24 et 31 roubles pour un dollar américain, la monnaie russe a effectivement subi jusqu’à présent un dérapage tout à fait contrôlé, cette bande de fluctuation ayant été progressivement élargie par des autorités monétaires hantées par la liquéfaction de 1998 ! Le prix à payer pour cette stabilité relative reste toutefois fort substantiel puisque le Kremlin doit vendre hebdomadairement pour l’équivalent de 6 milliards de dollars de devises étrangères contre sa propre devise afin d’en stabiliser les cours, chiffre à comparer aux 2 milliards de dollars dépensés par les Etats-Unis chaque semaine en Irak…
En réalité, les autorités russes envisagent sérieusement une dévaluation massive de leur devise qui favoriserait une relance de leurs exportations : un effondrement suivi d’une stabilisation du rouble plaiderait en effet nettement en faveur des marchandises russes tout en stimulant l’attrait pour les investisseurs étrangers vis-à-vis de grands projets comme la construction d’un pipeline à travers la Sibérie. De surcroît, un rouble faible doperait les bénéfices des producteurs et exportateurs de Pétrole et de Gaz – et donc du budget de l’Etat Russe – puisque les recettes de ces exportations sont libellées dans un dollar qui achèterait plus de roubles…
Pour autant, le prix – politique – à payer fait sérieusement hésiter les dirigeants russes, conscients qu’une dégringolade non contrôlée de leur monnaie nationale ternirait le prestige d’une nation soucieuse de maintenir vis-à-vis de l’étranger une posture de grande fermeté politique et de stabilité financière. Les autorités russes, qui souhaitent ainsi démontrer que leur pays n’est plus dans une situation similaire à celle de 1998 où il devait lutter pour sa survie, comprennent effectivement que leurs ambitions internationales sont incompatibles avec un rouble en chute libre. De plus, la répétition du traumatisme de 1998 – avec ses faillites bancaires en chaîne – saperait considérablement la crédibilité du régime actuel au sein même d’une population qui considère que le cataclysme financier de 1998 a précipité le départ de Boris Yeltsin et l’émergence de Vladimir Poutine !
De fait, et en dépit d’une politique domestique axée sur la cohésion sociale et l’ordre intérieur, le Gouvernement Russe actuel ne voit pas sans appréhension certains signaux avant coureurs de troubles causés par la crise financière actuelle parmi sa population. Toujours est-il qu’à un moment où la Russie multiplie les bras de fer à l’encontre de l’étranger, il est à craindre que les autorités du pays ne se laissent dépasser par les événements, du fait de la combinaison de la crise du crédit, du ralentissement économique prononcé et d’un effondrement probable du rouble.