Ah le bon air de la campagne. Rien de mieux pour vous requinquer un homme à l’âge incertain. Abdoulaye Wade ne dément pas l’adage populaire. Et s’en donne à coeur joie depuis le lancement officiel de la campagne électorale.
« Cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu ainsi », claironnent ses conseillers. Bain de foule, voyage en brousse, discours accrocheurs. Les artères de « Gorgui » Wade rajeunissent d’au moins vingt ans quand il hume le bon air du scrutin. Toujours plus respirables que celui de Dakar, empesté tant par les taxis, les grands travaux et les journalistes.
Dernier fait d’armes, ces maudits gratte-papier glosent sur les frais de la caravane du candidat président. Au bas mot, « la centaine de personnes officielles qui suit Me Wade dans ses déplacements bénéficient d’un perdiem journalier de 250 mille francs Cfa (NDR : 370 euros environ ) en guise de frais de mission », avance le Quotidien (15/2). Une fort jolie somme à laquelle s’ajoute le pourboire laissé aux journalistes suiveurs, 50 000 FCFA jour (NDR : 75 euros environ).
Les scribouillards du Quotidien, un brin grognons, regrettent sans doute, les malotrus, de ne pas faire parti du « Wade Tour ». Et de toute façon, la classe journalistique sénégalaise semble avoir un problème avec l’argent qui circule ces derniers temps au Sénégal.
Depuis des mois, les quotidiens de la place font leurs gros titres autour de scandales financiers laissés dans son sillage par les affidés de Wade. Au choix le partage des fonds secrets de la présidence, l’attribution de marchés publics ou donc, les frais de campagne.
Heureusement, les gouvernants sénégalais ont trouvé la parade à tant de récriminations. Devant le Medef, en juillet 2006, le Premier ministre Macky Sall avait tout simplement invité ses interlocuteurs à l’auto-critique plus qu’à la critique. « Regardez, écoutez ce qui se passe également dans vos pays ! ». Un poil agressif. Toujours Premier ministre mais devenu directeur de campagne du candidat Wade, Sall a affiné la formule. Et a livré une réflexion beaucoup plus pointue le 2 février dernier, lors de la présentation de la folle équipe de campagne du président (cf. Bakchich #21). « Que je sache, ce ne sont pas le Sénégal et les Sénégalais qui ont inventé la corruption ». Bien aimable et Omar Bongo, le très probe président gabonais n’aurait pas renié la formule.
Et pour ceux que ces arguments laissent de marbre, reste la théorie d’un plus vaste complot, résumé par un haut cadre du parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade. Petit préambule. « Trouvez moi un pouvoir qui ne fraie pas avec la corruption ». Certes, l’argument, assez martelé est désormais bien assimilé. « Ces dossiers qui sortent sont des manipulations de lobbys puissants à l’étranger. Et ils veulent faire tomber le président Wade pour pouvoir s’installer au Sénégal ». Expliqué comme ça…
« Je sais, ce n’est pas très finaud comme défense, mais que voulez-vous, on est en campagne », plaide un habitué de la présidence. Une campagne où les arguments volent bas. Longtemps réticent à faire du chantage au dossier, le président Wade, désormais se lâche. Et menace de dévoiler les vieux scandales du temps socialiste. L’opposition rétorque en attaquant les grands travaux, La lubbie présidentielle, le naufrage du Joola [1], ou la grâce accordée aux meurtriers de l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel [2] .
Bref, une campagne saine, d’autant que la violence n’est pas que verbale…comme aux plus beaux temps du régime socialiste, les années de braise de 1988 et 1993.
Déjà, le 26 janvier, les grenades lacrymogènes et l’embastillement général des opposants avait été remis au goût du jour, à l’occasion d’une marche non autorisée de l’opposition. Depuis, la famille libéral se jette à l’occasion quelques caillous. Dans la banlieue de Dakar, à l’occasion du premier meeting de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, le 4 février. Puis le 13 février entre fidèles de l’ancien ministre de l’Environnement, Modou Diagne Fada et son successeur, Thierno Lô à Dara Mousty.
Même la tranquille localité de la Somone, sur la petit côte, au sud de Dakar, s’est enflammée le temps d’affrontements entre jeunes wadistes et militants socialistes qui escortaient leur candidat, Ousmane Tanor Dieng.
De petits évènements qui ont suffi à réveiller le Collectif des chefs religieux et intellectuels pour la promotion de la paix, de la stabilité et de la concorde nationale (Ccrip). Les hommes de Dieu ont appeler « tout le peuple sénégalais, particulièrement à la classe politique pour une campagne électorale civilisée et une élection libre, démocratique et transparente ».
Pas gagné quand même. Le bon Ousmane Ngom, ci-devant ministre de l’Intérieur et responsable de la bonne tenue du scrutin, a organisé une petite marche à Saint-Louis en l’honneur du candidat Wade…
Qu’importe, après tout, puisque les élections auront bel et bien lieu. Et tant pis si tout le gouvernement explique qu’il n’y aura qu’un seul tour, puisque le président aura 51% de voix. « Nous devons à tout prix éviter l’élection d’un président sans légitimité », glisse un ministre. « Et un président élu est légitime ». Cela dépend quand même de la transparence du scrutin, non ? « L’important est que les résultats soient proclamés légalement ». Elémentaire.
[1] Le 26 septembre 2002, le bateau Joola, qui relie Dakar à Ziguinchor fait naufrage, avec plus de 2000 personnes à son bord, quand il n’était autorisé qu’à accueillir 550 passagers. Plus de 1900 personnes décèdent. La plus grande catastrophe maritime à ce jour
[2] le 15 mai 1993, le vice président du conseil constitutionnel, Me Babacar Seye est assassiné. Soupçonné d’avoir commandité le meurtre Abdoulaye Wade est emprisonné, jugé et blanchi. Les assassins resteront en prison jusqu’à 2002 et leur grâce, accordée par Me Wade, devenu président de la République. La loi Ezzan de 2005 les amnistiera