Si Barack Obama s’active sur de multiples dossiers internationaux comme l’Iran, l’Asie, l’Europe et le Brésil, il manque cruellement de stratégie globale.
Les dossiers internationaux urgents ne manquent pas en ce début d’année. Et la nouvelle administration, tout juste entrée en fonction, ne sait déjà plus où donner de la tête, pressée de toutes parts pour exprimer sa position sur tel ou tel sujet. Pour autant, elle fait d’ores et déjà preuve d’un grand activisme sur de nombreux dossiers, en étant présente sur de multiples fronts. Mais ne manque-t-elle pas d’une vision globale ?
Les émissaires spéciaux au Moyen-Orient sont déjà au travail. George Mitchell, en charge du Proche Orient, vient de terminer une tournée qui l’a conduit en Israël, Cisjordanie, Egypte, Jordanie et en Arabie Saoudite. Il a également rencontré des leaders européens. Pour l’heure, la position américaine sur le dossier israélo-palestinien n’est pas arrêtée. George Mitchell souhaite privilégier la discussion avec les principaux acteurs avant de prendre position. Richard Holbrooke, en charge de l’Afghanistan et du Pakistan, a entamé une visite dans ces deux pays.
Obama lui-même a démontré son intérêt particulier pour le monde musulman, en délivrant son premier discours important de politique étrangère à une chaîne de télévision soudanaise, al-Arabiya, et en soulignant sa volonté d’améliorer les relations des Etats-Unis avec cette région du monde. L’Afghanistan, principal casse-tête militaire de l’administration, est considéré comme une priorité. Et les objectifs sont nombreux : s’attaquer au problème de production et de trafic de drogue, prendre ses distances vis-à-vis d’Hamid Karzai, promouvoir une réconciliation nationale, dialoguer avec les seigneurs de guerre, moins se focaliser sur la démocratisation du pays que sur sa sécurité en luttant contre Al Qaïda, promouvoir une reconstruction économique, renfort massif de troupes etc. Ces objectifs peuvent parfois apparaître comme idéalistes, voire démagogiques.
L’administration Obama semble vouloir adopter une révision en profondeur de la stratégie à l’égard de l’Iran, avec l’ouverture au dialogue comme principal point de rupture avec la politique de Bush, même si le lancement d’une fusée dans l’espace a été jugé « inquiétant » par Washington. Gary Samore, un ancien du NSC sous Bill Clinton, en charge des questions de non prolifération, devrait faire office de « coordinator on the prevention of Weapons of Mass Destruction, terrorism and proliferation » et à ce titre jouer un rôle important dans le dialogue avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire. Toutefois, personne n’a été officiellement nommé comme émissaire spécial à Téhéran, du fait principalement des prochaines élections dans ce pays, qui pourraient changer la donne.
L’administration Obama ne devrait pas non plus délaisser l’Asie, comme le montrent les récentes nominations pour cette région. Jeff Bader, en charge de l’Asie au Conseil de Sécurité National (NSC) est le principal conseiller d’Obama sur la Chine, dont il est réputé être un grand spécialiste et Kurt Campbell, nouveau secrétaire d’Etat adjoint pour l’Asie de l’Est, suit de près les affaires militaires chinoises. Si l’administration Obama va chercher à entretenir une bonne relation avec la Chine, il est probable que des différents économiques et commerciaux apparaissent rapidement. Washington se défend de vouloir ouvrir une « guerre monétaire » avec la Chine – qui est le premier détenteur de bons du Trésor américains et donc le « banquier » des Etats-Unis. Toutefois, les propos de Timthy Geithner ou Joe Biden montrent que l’administration Obama pourrait chercher à faire plus pression sur la Chine que la précédente administration. Rien n’est moins sûr pourtant que cela conduise Pékin à changer de stratégie.
En Amérique Latine, Obama semble vouloir renforcer sa relation avec le Brésil, aujourd’hui considéré comme un acteur international important. Lula devrait d’ailleurs se rendre à Washington rapidement. Obama souhaiterait également normaliser ses relations avec Cuba, au niveau diplomatique mais également économique, et préparer l’ère post-(Fidel) Castro. La question des trafics de drogue et de l’immigration clandestine sera en outre un sujet majeur entre les Etats-Unis et le Mexique.
La position de l’administration Obama vis-à-vis de la Russie est moins claire. Obama avait durant la campagne signifié qu’il serait « dur » avec la Russie, mais qu’il voulait renouer de bonnes relations avec ce pays. Michael McFaul, qui sera en charge de la Russie au NSC, est une personnalité controversée, notamment chez les plus libéraux (au sens américain), pour ses positions néo-conservatrices héritées de la Guerre froide. Il serait favorable à l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Otan, sujet qui risque fort d’irriter les Russes. Elle risque également de créer des dissensions avec la « vieille Europe » et notamment avec l’Allemagne, pour le moins très réticente à l’élargissement de l’Otan à ces deux pays. Obama semble pour l’instant repousser cette idée, d’autant que c’est un autre dossier qui l’intéresse tout particulièrement : le désarmement nucléaire. Il souhaite en effet, en partenariat avec les Russes, promouvoir le désarmement nucléaire. Certains membres de l’entourage d’Obama envisagent même d’éliminer totalement les armes nucléaires.
Concernant l’Europe, il est probable qu’Obama adopte une attitude pragmatique : les Etats-Unis ne devrait pas chercher à entretenir une relation particulière avec tel ou tel pays européen, mais plutôt à travailler avec les pays qui souhaitent coopérer et aider les Etats-Unis, ce qui serait finalement peu de l’attitude de l’administration Bush. Obama se rendra en Europe à deux reprises : en avril (à l’occasion du G20 à Londres puis du Sommet de l’Otan à Strasbourg-Kehl, où il devrait faire un discours important de politique étrangère) et en juillet (G8 en Italie). Obama souhaite que l’Europe ait un rôle plus important au Moyen Orient, mais il ne se fait que peu d’illusions sur la capacité des Européens à déployer un nombre sensible de troupes supplémentaires en Afghanistan.
L’administration Obama veut également faire preuve de changement sur les grands dossiers internationaux. L’annonce de la fermeture de Guantanamo et de l’interdiction de la torture au lendemain de l’investiture sont le signe d’un changement d’approche des droits de l’homme de la part des Etats-Unis. Obama veut renforcer l’engagement de son pays à l’égard du respect des Conventions de Genève. Partisan d’un leadership affirmé des Etats-Unis dans la lutte contre le changement climatique, Obama souhaite développer une approche globale, en travaillant avec l’Inde et la Chine, et développer de nouvelles technologies pour améliorer l’efficacité énergétique des Etats-Unis.
Cet « inventaire à la Prévert » des multiples priorités de l’administration Obama sur les dossiers internationaux peut laisser perplexe quant à la stratégie globale poursuivie.
Les principaux acteurs en charge des affaires internationales ont été choisis, mais l’équipe Obama semble manquer de fil conducteur, de « grand strategy », c’est-à-dire, comme le souligne Stephen Walt, d’une conceptualisation de la politique étrangère et de sécurité qui va être développée, d’un plan global sur les instruments de puissance à employer pour promouvoir les intérêts américains (puisque tel est le but, in fine, de la politique étrangère américaine). Certes, le pragmatisme prévaut. Mais une « grand strategy » est nécessaire afin d’identifier les déterminants de la situation internationale actuelle, pour ensuite décider de la façon d’utiliser les instruments à disposition du gouvernement américain pour sécuriser et faire prospérer le pays. Il s’agit de définir des priorités, développer une « big picture » de la situation actuelle. On a également le sentiment que le multilatéralisme développé par Obama manque de véritable conceptualisation. Ne risque-t-on pas de voir les Etats-Unis continuer à imposer leur point de vue sur le règlement des conflits et des crises avec pour seul espérance du côté européen sur le point de vue américain se rapproche miraculeusement du leur ?
Si l’objectif global affiché par la nouvelle administration est de réintroduire les Etats-Unis dans le jeu mondial en respectant le droit international (ou peut-être proposeront-ils de l’adapter pour mieux le respecter…) et les voix des autres pays, afin de gagner en crédibilité et en autorité morale, la méthode pour y parvenir n’est pas encore assurée.
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