Caméras obsolètes, mauvaise circulation des informations, personnel handicapé de la Ville reclassé en surveillants de musée sans aucune formation… les failles dans la sécurité des musées parisiens sont alarmantes.
Ce n’est pas le casse du siècle, mais ça y ressemble : cinq chefs d’œuvre du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, dont un Picasso, dérobés pour un préjudice évalué à 500 millions d’euros… Un coup de maître ? Certainement, mais bien aidé quand même.
Au moment du cambriolage, on le sait, le dispositif anti-intrusion était partiellement en panne. On sait aussi que l’efficace entreprise de maintenance attendait la pièce nécessaire à la réparation depuis presque deux mois. Ce qu’on sait moins, c’est que l’alarme était en plus inaudible. « Elle est réglée à un niveau trop faible : son bruit est couvert par la soufflerie », explique une syndicaliste CGT. Ajoutez à cela une image brouillée sur la caméra – vétuste – et on comprend mieux comment la vigilance des trois agents de surveillance (pour 4500 m2 !) chargés des rondes de nuit a été « déjouée », selon les propos de l’adjoint à la culture, Christophe Girard.
Ces défaillances ne sont pas propres au musée d’Art moderne. La mairie de Paris a beau soutenir que, à la suite d’un audit alarmant de 2007 (voir encadré ci-dessous), tous les travaux nécessaire ont été réalisés, des voix s’élèvent de toutes parts pour dénoncer le contraire.
« Le patrimoine, Delanoë et [son adjoint à la culture] Christophe Girard s’en fichent, dénonce une source proche des musées parisiens. Ce qui les intéresse, c’est le spectacle vivant et les happenings. » Comprenez, les Nuits blanches ou le pharaonique 104, « lieu de création » déserté du 19e arrondissement de Paris et gouffre financier sans fond. Les syndicats sont nombreux à dénoncer cette « politique paillette ». Même si, reconnaît Nadine Lemoule, déléguée CGT, « ce n’était pas mieux sous l’ère Chirac-Tibéri, avec la corruption et le clientélisme. »
Mais, pendant que droite et gauche se renvoient la balle, nos musées se dégradent, et toute cette négligence accumulée va finir par coûter cher. La solution ? Bertrand Delanoë a confié à sa proche conseillère Delphine Lévy une mission de « réflexion » sur un nouveau statut pour les quatorze musées dépendant de la Ville de Paris. L’idée étant de créer un établissement public administratif pour réunir tous ces établissements. Les musées sortiraient ainsi du giron de la direction de la Direction des affaires culturelles. Plus autonomes, ils seraient aussi en grande partie chargés de leur propre financement. Pas facile, puisque Bertrand Delanoë a eu l’idée géniale, au début de son premier mandat, d’instaurer la gratuité des collections permanentes. Sans pour autant attirer plus de public. Actuellement, les expositions temporaires, ainsi que les catalogues et les quelques produits dérivés sont, eux, confiés dans le cadre d’une délégation de service public à l’association Paris musées, une structure privée créée sous Chirac pour reclasser quelques fidèles du RPR. Ce qui a pour conséquence gênante que les musées ne profitent pas des recettes générées par leurs propres expositions et catalogues.
Mais voilà, dans la future configuration, beaucoup craignent une mainmise de l’association-porte-monnaie sur ses partenaires. Et de dénoncer une privatisation rampante, qui, sous-prétexte de supprimer des « doublons » conduirait à expurger encore plus les effectifs.
Il y a quelques mois, une note interne de la Direction des affaires culturelles de la Ville, que Bakchich s’est procurée, pointait la non-conformité des caméras de surveillance des quatorze musées parisiens (incluant notamment le musée d’Art moderne, Carnavalet, ou encore le Petit Palais) avec le décret du 3 août 2007, qui définit des normes en matière de qualité de l’image. Constatation des auteurs de la note concernant la mise aux normes : « Il s’agit là d’un dispositif lourd à mettre en place pour des dispositifs anciens comme les nôtres, car il nous faut retrouver les installateurs ou à défaut mettre à niveau les dispositifs existants. »
Plutôt inquiétant, d’autant plus qu’en cas de problème avec le matériel, les garde-fous sont eux aussi déficients : « Une installation peut toujours tomber en panne, explique une source proche des musées parisiens, mais, dans ce cas là, la procédure prévoit que des renforts sont affectés. » Notamment par la DPP, la direction de la prévention et de la protection, les super-vigiles de la Ville. « Mais, dans le cas du musée d’Art moderne, l’information n’est jamais remontée. Ce n’est pas étonnant, car la communication dans les musées parisiens est complètement sclérosée, que ce soit vers le haut ou vers le bas, précise cette même source. C’est tout un système à revoir. »
Une dénonciation à laquelle fait écho la surprenante déclaration de l’adjoint au maire de Paris chargé de la culture, Christophe Girard, au lendemain du casse : « Le musée d’Art moderne est sous mon autorité politique, j’en assume la responsabilité. Mais je ne suis ni directeur du musée ni chef de la sécurité : je ne suis pas informé des détails », avouait-il sans vergogne à nos confrères du JDD, avant de s’empresser de rejeter la responsabilité sur ses prédécesseurs de l’ère Chirac -Tibéri. « Les musées sont mal entretenus depuis quinze ans, reconnaît Jack Paillet, permanent syndical à la CFTC. Mais l’équipe actuelle n’a pas engagé les travaux nécessaires, de même qu’elle refuse d’embaucher du personnel sous prétexte qu’il n’y a pas d’argent. Mais cela n’a pas empêché les élus parisiens d’augmenter leurs indemnités. » Ni d’investir massivement dans d’autres « projets culturels » plus vendeurs électoralement. (Voir encadré en fin d’article)
Cette inaction autour du patrimoine est d’autant plus préoccupante que les failles, particulièrement nombreuses, ne se limitent pas à l’équipement technologique : une petite étude de l’architecture environnant le musée Carnavalet (dont Bakchich, soucieux de la protection de nos œuvres, ne donnera pas ici les détails) permettra au voleur averti d’y entrer presque comme dans un moulin, de jour comme de nuit. Et, une fois à l’intérieur, pas besoin de montrer patte blanche : « Il m’est arrivé de faire le test en me promenant incognito à l’intérieur des musées, raconte un syndicaliste. J’ai pu sans problème accéder à des salles fermées au public. »
Si le visiteur mal intentionné n’a pas à se méfier des alarmes, il devra par contre être plus vigilant concernant les chutes de pierres, qui ont une fâcheuse tendance à se détacher du plafond du musée Carnavalet mais sont, heureusement, retenues par de solides filets. Il y a quelques mois, c’est même une des portes du musée d’histoire de la Ville qui s’est abattue, ne faisant, par miracle, aucun blessé. « Nous avions plusieurs fois pointé ces défaillance, affirme une déléguée CGT. On nous a répondu d’arrêter de faire le procès des établissements publics, et que les syndicalistes devaient arrêter de se mêler de tout ! » Vous avez dit : « partenaire social » ?
Il faut dire que, dans les musées parisiens, le personnel est particulièrement peu considéré. Notamment les fameux « agents de surveillance », censés veiller sur les œuvres. Le poste, tout à fait passionnant, qui consiste à passer 7 heures, parfois pendant six jours d’affilée, assis sur une chaise à attendre, est surtout l’occasion pour la Ville de reclasser son personnel handicapé venu d’autres services municipaux.
« On trouve de tout parmi les surveillants : d’anciens éboueurs, du personnel venu des crèches ou des espaces verts, raconte notre syndicaliste CGT, qui a elle-même exercé le job. Cela va du surdiplômé à l’illettré. Parmi les vacataires, il y en a même qui ne parlent pas français. » Pratique pour interagir avec les visiteurs. « C’est un travail insupportable par sa monotonie et son manque d’intérêt. Le mode de management est très infantilisant et ne laisse à peu près aucune autonomie au personnel en bas de l’échelle. Il est impossible de ne pas avoir des baisses de vigilance. »
En plus d’accueillir les personnes estropiées par leur carrière dans d’autres services, le poste est aussi n°1 du reclassement des fonctionnaires souffrant de dépression. Une pathologie que cette mise au placard ne risque pas d’arranger. Sans être généralisés, les problèmes d’alcoolisme ne sont pas non plus rares, admettent plusieurs sources. « Ce sont des personnes usées par la vie, reconnaît de son côté Jack Paillet, de la CFTC. Ils font leur travail du mieux qu’ils le peuvent, mais tous n’ont pas les aptitudes physiques et intellectuelles nécessaires. »
De quoi expliquer l’absentéisme endémique des agents de surveillance : presque deux fois supérieur à celui du reste du personnel de la direction des affaires culturelles, selon un rapport de 2008. Résultat : un sous-effectif chronique qui empire encore les conditions de travail et entraîne l’emploi récurrent de vacataires précaires, qui ne connaissent pas les bâtiments.
Pire, les malheureux agents sont parachutés sans la moindre formation. « Tout s’apprend sur le tas, avec les plus anciens, au fur et à mesure et au petit bonheur la chance », raconte notre surveillante-cégétiste. Même pas de formation à la sécurité incendie, pourtant réclamée de longue date par les syndicats, et qui pourrait présenter une certaine utilité en cas d’évacuation.
Les veilleurs de nuit, qui ne sont pas armés, n’ont pas le début d’une formation à la sécurité. Et à cause du sous-effectif, il leur arrive de devoir faire les rondes de nuit seuls, ce que le règlement interdit normalement. « Depuis le vol au musée d’Art moderne, ils ne veulent plus y aller sans être accompagnés d’un équipier », précise la syndicaliste.
Mais auront-ils le choix ? La mairie sait que, pour régner, elle peut compter sur des salariés divisés « Ils peinent à s’unir en raison de leurs profils très différents, et parce qu’ils ont peur des représailles cachées de la part des petits chefs. »
Mais, soyons tranquilles, car Bertrand Delanoë l’a rappelé vendredi dans un communiqué : « Tous nos musées ont fait l’objet d’un renforcement significatif de leur dispositif de sécurité au cours des quatre dernières années. » Peut-être, comme son adjoint Christophe Girard, le maire n’est-il « pas au courant des détails. »
Un audit de chacun des musées administrés par la Ville, remis à Bertrand Delanoë en janvier 2008, se montre particulièrement accablant. Pire, une synthèse générale publiée en mars 2009 montre que les problèmes sont très loin d’avoir été tous pris en compte dans l’intervalle.
Morceaux choisis.
Sur le musée d’Art moderne :
A propos des travaux réalisés en 2004 et 2005 : « Cette opération, décidée dans l’urgence à la suite d’une mise en demeure de la préfecture de police, a été marquée au départ par une mise au point délicate et complexe. […] La seconde tranche de travaux, dont le calendrier n’a pas encore été arrêté, devrait notamment comporter l’achèvement des travaux de sécurité. […] La réalisation de la deuxième phase est absolument nécessaire. »
« Tous les personnels de surveillance ne sont pas affectés à des tâches de surveillance. 2 travaillent au service éducatif, 3 sont employés comme ouvriers professionnels, 1 comme coursier, 1 comme relais technique informatique, 1 au service audiovisuel, et enfin 4 au standard et à la reprographie. On retrouve ici les conséquences d’une politique ancienne et bien connue : les responsables de l’établissement n’obtenant pas les emplois spécialisés correspondant à ces métiers ont détourné des personnels de surveillance. »
« [L’]absentéisme est notamment dû à l’augmentation des périodes de longue maladie et en corrélation avec le nombre élevé d’agents reclassés dans le corps. La Direction des ressources humaines a été sensibilisée par la DAC [Direction des affaires culturelles] sur ce sujet, mais peut-on sérieusement attendre des résultats très rapides ? »
Sur le musée Carnavalet
« Le contrôle de sécurité n’est pas réalisé de façon suffisamment systématique côté jardin, si bien que certains visiteurs peuvent ensuite pénétrer dans le musée sans en avoir fait l’objet. En outre, cette entrée […] ne bénéficie ni d’un portique électronique, ni d’une caméra de surveillance. »
« Aucun dispositif ne permet d’approcher […] le nombre de personnes présentes simultanément dans le musée, donnée qui entre dans les paramètres de sécurité. »
« Deux solutions sont utilisées par le musée pour pallier le manque d’effectifs de titulaires : le recours au personnel vacataire et la fermeture de salles. » « [Ce recours aux vacataires] implique pour le musée, notamment le week-end (période où il est le plus fréquenté), d’avoir en salle un personnel peu formé. »
Conclusions du rapport de 2009
« Les équipements dans les musées, principalement ceux qui servent a la sécurité et a la climatisation, ont pour caractéristiques d’être complexes, couteux et rapidement obsolètes. »
« Les musées municipaux sont également confrontés a des problèmes de réserves. Certaines sont inondables. D’autres trop étroites et non climatisées. »
« Sécurité et sureté réclament une articulation étroite entre moyens humains et moyens techniques ainsi qu’une formation adéquate des agents. Le rapport […] dresse un constat inquiétant. »
« En matière de sécurité incendie, en dehors des musées rénovés récemment, les installations sont obsolètes et non conformes a la réglementation. En ce qui concerne la sureté, la protection des locaux n’est que partiellement assurée et celle des œuvres reste très rudimentaire. »
« De ce fait l’essentiel de la sécurité repose sur les personnels de surveillance spécialisée des musées. Or ces agents sont très peu formés dans le domaine de la sécurité. »
« Les véritables décisions sont prises par la DRH et non par la DAC [direction des affaires culturelles]. »