Clarika sort son cinquième album studio et prouve en treize chansons que le mieux n’est pas toujours l’ennemi du bien.
D’abord, il y a la pochette : sublime ! Il faut toujours considérer la pochette comme un indicateur fiable, la première exigence esthétique d’une œuvre. En matière de musique, la pochette annonce mieux qu’un flacon le degré d’ivresse par sa beauté intrinsèque, souvent très révélatrice.
Clarika vient de loin. Sorti sur le label tutélaire du mouvement alternatif des années 80-90, Boucherie Productions, son premier album (J’attendrai pas cent ans), révélait cette voix capable d’atteindre les cimes d’une folie tempétueuse – façon Cantat première période - autant que d’entonner des hymnes enjoués, au service d’une authenticité rafraîchissante. Mais il fallut attendre l’album Ça s’peut pas, en 1996, pour voir les efforts de l’artiste récompensés grâce au succès d’estime « Beau comme garçon », l’une des meilleures chansons françaises jamais enregistrées. Tout l’art de Clarika rayonne dans ce morceau : l’intelligence railleuse, l’esprit rock, l’ingénuité pop, l’ironie mordante, la beauté évidente des mélodies, l’efficacité de la production.
Aujourd’hui, à l’heure du cinquième album, Clarika continue de séduire avec cette nouvelle auberge espagnole contenant des tubes potentiels à la pelle : le piquant « Bien mérité », « Moi en mieux » (très Farmérien), « Les bavards », etc. Une fois encore, ce qui étonne, c’est cette écriture si particulière, capable d’émouvoir comme un ciel ne l’a plus fait depuis « Impression soleil levant » de Monet et de vous faire réfléchir comme Souchon l’a toujours fait : en équilibriste audacieux sur une avarie de mots reliés à nos cas de conscience.
La chanteuse s’amuse comme un enfant à l’école de la République : sans répit, au nez et à la barbe des conventions. Ses mots font crisser le tableau qu’elle dresse de nos dérisoires moments dits conviviaux (« Rien de tel »), des relations parents/enfants (« Lâche-moi »), des rêves étriqués nourris par des ambitions formatées (« Je ne serai pas », parfait antidote du « Etre une femme » de Sardou), etc.
Entre swing cuivré, pop colorée et audace rock, les compositions (aux arrangements toujours soignés) de Clarika et de son complice Jean-Jacques Nyssen offrent un patchwork euphorisant et singulier, même s’il présente par endroits des ressemblances troublantes avec quelques collègues de la chanson française : « Je ne serai pas » sonne comme du pur Thiéfaine, le motif de « Lâche-moi » a des faux airs du « Danser encore » de Calogero, et « L’ennui » évoque le lyrisme grandiloquent de Brel. Il y a même du Chris Conty dans « Des bulles », mais comment s’en étonner ? L’un des moments les plus touchants de l’album s’intitule « De fille à femme », un portrait de la condition féminine qu’aucun auteur masculin n’aurait pu écrire.
Ce Moi en mieux a eu la malchance de sortir en même temps que les nouveaux U2 et Indochine, pas facile de se faire entendre dans un tel contexte médiatique. Mais vous pouvez vous le procurer les yeux fermés (impossible avec une telle pochette), vous ressortirez de cet album avec une drôle d’impression : vous en mieux.
Bakchich : Quelles sont vos influences (littéraires, cinématographiques, etc.) ?
Clarika : Les auteurs « classiques » qui m’ont fait aimé la lecture sont : Camus, Flaubert, Sarraute, Butor, Proust, Albert Cohen, Prévert, Mauriac, Queneau, Garcia Marquez… Depuis deux, trois ans, je me suis mise à lire beaucoup d’auteurs « contemporains ». J’ai un faible en ce moment pour les femmes écrivaines … Alice Ferney, Marylis de Kerangal, Dominique Mainard, Alona Kihmi, Véronique Olmi…. Mais je suis aussi une fidèle de Modiano, Emmanuel Carrère … Je vais pas mal au cinéma … Les derniers films vus : Villa Amalia, Boy A, The country teacher, Ponyo sur la falaise (avec mes filles ), Gran Torino… Pour les Français, j’adore les vieux Sautet (Vincent François, Paul et les autres, Les Choses de la vie…), Téchiné en général, Tavernier, les vieux Rohmer. J’ai eu ma période Rohmer où j’allais tout voir ! Et j’en oublie plein c’est sûr. Les frères Dardenne, Almodovar, David Lynch, Ken Loach, Gong Li…
Bakchich : Quels ont été vos premiers chocs musicaux (et les derniers) ?
Clarika : Mes premiers chocs musicaux réels datent de l’adolescence, si on passe la période de l’enfance marquée par les 45 tours de Sheila, Boney M et Martin Circus… avec LA chorégraphie, indispensable, devant la glace. J’ai en fait découvert la « musique » par le biais de chanteurs qui écrivaient leurs textes et qui me touchaient d’abord par leur propos. Les Gainsbourg, Bashung, Higelin, Renaud, Thiéfaine, Souchon, Lavilliers furent mes chanteurs de chevet à l’adolescence. Les Rita Mitsouko furent le groupe qui incarnait pour moi la folie de la scène et Catherine Ringer fut sans doute une des chanteuses qui me donna envie de faire le « show », tout comme Annie Lennox ou Nina Hagen que j’adorais. J’écoutais aussi les Clash, Joe Jackson, Springsteen, les Red Hot, des vieux Stones, Bowie, Lou Reed et les chanteuses comme Patti Smith, Rickie Lee Jones, Marianne Faithfull. Et je mentirais par omission en omettant de citer Trust et AC/DC qui caressèrent, à leur manière, mes oreilles d’adolescente fiévreuse et exaltée !
Bakchich : Quels souvenirs gardez-vous de la période Boucherie Productions, label alternatif sur lequel est sorti votre premier album ?
Clarika : Boucherie fut ma première maison de disques et j’ai eu la chance à l’époque de signer pour un premier album dans un label indépendant « de qualité ». J’étais la première d’un nouveau département de Boucherie qui s’ouvrait à ce moment là à des groupes ou artistes moins rock alternatif. Ça a été très vite, entre le coup de fil de Hadji Lazaro qui recevait notre petite cassette et la signature… ça répondait à notre urgence du moment, c’était génial, et on a eu les moyens, petits mais réels, de faire un premier album sans concession et qui nous ressemblait, et de partir tout de suite sur les scènes le défendre. Ça nous a donné à JJ Nyssen, mon complice, et moi le LA pour la suite et la détermination pour faire ce qu’on avait envie de faire, comme on en avait envie.
Bakchich : « Bien mérité » est un tube en puissance mais, à l’époque du vite consommé et des textes très premier degré, ne risque-t-elle pas de faire peur aux programmateurs frileux (pléonasme) ?
Clarika : J’aurais aimé vous démentir mais vous touchez juste. Quand on a décidé de faire de ce titre un single, la maison de disques a émis des réserves mais nous étions persuadés JJ Nyssen, Florent Marchet (les réalisateurs de l’album) et moi-même qu’elle flippait pour rien, le titre étant perçu de manière assez forte et ne laissant personne indifférent à priori. La maison de disques, malgré ses craintes, nous a suivi dans ce premier choix, croyant malgré ces réserves au potentiel du titre, et « pris le risque ». Je ne pensais pas que cela en serait un. Or, effectivement, il y a une réelle frilosité des programmateurs radio qui ont peur que : soit les gens prennent cela au premier degré, ce qui est rarissime, lorsque ces mêmes personnes ont « accès » au titre ; soit, et là ils ne le disent pas mais on le comprend, que les gens ne soient tout simplement pas d’accord avec le propos… Et là, on le savait, ils n’ont pas toujours tort, certaines réactions sur la chanson, parfois violentes le prouvent ! Voilà, je m’attendais bien sûr à des réactions mais pas à cette peur des radios de déranger les auditeurs. Nous ne pensions pas avoir écrit un brûlot subversif, loin de là… ! Et je ne le pense toujours pas d’ailleurs. Ceci étant dit, je ne regrette pas ce choix car la chanson vit sa vie vraiment, sans un grand soutien des radios mais par le net aussi et les gens qui la diffusent eux-mêmes et la font passer etc., et par l’accueil réservé par la presse également .
Bakchich : « Bien mérité » est symptomatique de la force de vos textes. On sent chez vous une envie de marquer les consciences, d’interpeller l’auditeur, sans jamais tomber dans le côté « donneur de leçon ». Pouvez-vous nous en dire plus sur votre façon d’envisager l’écriture d’une chanson ?
Clarika : J’écris à l’instinct et suis assez brouillonne d’une manière générale, mais mon souci premier c’est que mon propos soit perçu comme je pense qu’il doit l’être et j’aime que l’auditeur reçoive vraiment ce que j’ai voulu faire passer (de l’émotion, un message, de l’humour) comme je crois qu’il va le recevoir. Après, les titres vous échappent, et c’est ça qui est chouette aussi, c’est que les interprétations divergent, si je puis me permettre ! C’est d’ailleurs ce qui me touche dans la chanson, c’est cette spontanéité, cette accessibilité…après, chacun a son style, sa manière de… Je sais que je suis en général au plus près de moi, et qu’il m’est difficile de tricher en m’inventant des sensations non éprouvées par exemple. Après, en écrivant moi-même mes textes, j’ai le choix de mettre en scène ma réalité comme je veux et de composer mon petit monde à ma sauce…
Bakchich : On sent dans la production du disque, comme sur les précédents, un tiraillement omniprésent entre chanson française tendance variétés et psychédélisme pop/rock à l’anglo-saxonne. Alors la question s’impose : Stone (et Charden) ou Beatles ?
Clarika : Les deux !! C’est ce qui me plait dans la « variété » au sens noble du terme. Pouvoir être touché par une pure chanson variétoche, comme on dit (genre un vieux slow italien avec la voix rauque du chanteur qui vous saisit sans que vous ne compreniez vraiment pourquoi) ou un vieux slow psyché de Bowie.
Bakchich : Le classique de Renaud « Mistral gagnant » aurait pu être signé Clarika, pour cette mélancolie poétique et cette part d’enfance prégnantes dans votre œuvre. Est-ce qu’il existe des chansons – dans le répertoire français ou étranger - qui vous rendent artistiquement « jalouse » ?
Clarika : Vous me parlez de « Mistral Gagnant », ça me touche, car c’est sans doute LA chanson du répertoire français que je garderais s’il n’en fallait qu’une… ! Quand une chanson me plait plus que la moyenne, je n’éprouve jamais de jalousie mais plutôt de l’admiration, et ça me motive pour écrire et essayer d’être à la hauteur.
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Désolé je fais encore de la promo pour des Artistes de la trempe de Mlle Keny Arkana que j’apprécie beaucoup, et qui se refusent à passer dans les médias.
Deuxième album pour ces Artistes Rappeurs de Lille M.A.P. (Ministère des Affaires Populaires) : "Les bronzés font du ch’ti". Avec la participation de Mlle Keny Arkana sur le titre "Appelle moi Camarade", et de Mouss et Hakim de Zebda sur le titre "Salutations révolutionnaires".
"Rap populaire. Tiraillés entre leurs racines méditerranéennes, leur vie de Ch’ti et leur culture hip-hop, les deux MC’s de MAP ont choisi… de ne pas choisir. Improbable pont tendu entre Lille et Alger, la musique de MAP malaxe accents orientaux, tziganes ou musette dans un oecuménisme chaleureux. Les textes, eux, n’oublient pas d’être mordants. Violon et accordéon à l’appui, le groupe bouscule les habitudes et entend réveiller les consciences."
M.A.P. en concert :
le 23 juillet à 21h au Planet Mundo Kfé à Marseille.
À bon entendeur-rice…