L’arme de la république populaire d’Indochine

La bande à Nico fait l’unanimité, sauf les fans de Christophe Sirkis (le grand frère ennemi auteur d’un livre peu amène pour le groupe) et ceux qui n’écoutent que du rock festif ou indépendant.

L’album studio précédent, Alice&June, sorti en 2005, avait marqué un déclin artistique dans la discographie du groupe, avec notamment deux duos inécoutables (avec Les Wampas et Aqme). Le gloubi-boulga sonore est encore de mise dans La République des Meteors mais quelques éclats de mélancolie renversante renvoient à une certaine pureté d’antan. Alors que ses albums des années 1980 ne contenaient que des hymnes pop-rock à la fraîcheur encore intacte aujourd’hui, et malgré la haute tenue des productions des années 1990 (particulièrement Un jour dans notre vie et Dancetaria), Indochine peine à retrouver la recette magique. J’ai demandé à la lune, comptine ambiguë obsessionnelle et envoûtante à qui le groupe doit son retour en grâce de 2002, avait été écrite par un autre : Mickaël Furnon de Mickey 3D.

La République des Météors, nouvel album d’Indochine

© Peggy M

Aujourd’hui, en guise de cache-misère, on nous sort le beau discours de la maturité atteinte (à 50 ans… Nicola Sirkis doit être le descendant de Benjamin Button), la volonté conceptuelle de réaliser un album BOULEVERSANT, la crédibilité rock acquise par les gros sons de guitares et les constructions alambiquées, etc… Soit, mais où sont les gimmicks killers qui faisaient le charme de la formation, dont le credo « simplicité et efficacité » se voit fortement ankylosé ici. Où sont les refrains-slogans aux impacts sociétaux (Et soudain surgit face au vent le vrai héros de tous les temps / Et on se prend la main, un garçon au féminin, une fille au masculin / Et un et trois et quatre au placard, etc.), où sont les vents cosmiques de Dancetaria, la candeur suave de Un jour dans notre vie, l’exotisme impérial de 3, les miracles infernaux de Paradize ? Enfouis sous le déluge broyeur de mélodies mis en place par un gros mur du son destiné à impressionner son monde.

Dès le premier titre, Go, Rimbaud go !, le refrain opère par un gimmick vocal « déjanté » qui fonctionne certes, mais l’idée sonne comme un premier yaourt venu, laborieux, sans véritable recherche mélodique. Parfois ça commence magnifiquement bien (« Le grand soir », « Union war »), mais les approximations et la facilité reprennent le dessus. Et d’où vient cette étrange impression d’entendre Chantal Goya chanter sous l’emprise d’une substance illicite les couplets du fumeux « Junior song » ? La vie de Nicolas Sirkis paraît bien compliquée, si l’on s’en réfère à la version de « Je t’aime tant » (dont le triolisme suggéré se prolonge sur « Le dernier jour » : moi j’aime deux filles en même temps). Le chanteur assure ne pas avoir écrit de textes autobiographiques mais n’est-il pas représenté dans le plus simple appareil sur les photos du livret (pour nous aider à comprendre qu’il s’est mis à nu dans l’écriture) ? La fin de l’album vire à un son industriel martelant des boucles noisy, comme seule réponse à ces situations inextricables. Olivier Gérard, le compositeur attitré de Nicola Sirkis, n’est pas un mélodiste. C’est un merveilleux bruitiste, un excellent arrangeur, un compositeur intéressant, mais pas un mélodiste. De ce capharnaüm assez intriguant malgré tout, on sauvera le tube « Little dolls », l’honnête deuxième single annoncé « Un ange à ma table » (aux faux airs de « Punishment park »), la féerique « Lettre de metal » (rappelant « Pink water ») et les touchantes « L.world » et « Bye Bye Valentine ».

Le tour de force de Nicola Sirkis réside dans le fait d’avoir écrit un album sur le thème de la guerre (et des séparations amoureuses qu’elle induit). Pour un groupe qui s’appelle Indochine, et après avoir développé pendant 10 ans le pan exotique de ce nom inspiré de l’œuvre de Marguerite Duras, le chanteur parachève la perception inconsciente contenue dans l’évocation de ce pays avec un album axé sur la guerre. La boucle paraît bouclée. Le problème, c’est que même lorsqu’il évoque ce sujet, on a encore l’impression d’entendre son lexique habituel autour de l’adolescence. L’auteur Sirkis est très loin de la poésie de Wilfred Owen, mort sur le champ d’honneur en 1918 (lire le bouleversant recueil « Et chaque lent crépuscule »).

Au final, La République des Meteors relève le niveau actuel du rock français de plus en plus franchouillard et surpasse sans se forcer les derniers albums de U2 et Morrissey sortis en même temps.