30 Novembre 2010, c’est officiel : Noir Désir ne survivra pas aux folles spéculations placées sur son nom, comme on mise sur une licorne chimérique dans une course où les handicaps ont trop tiré sur la corde. Décryptage d’un carnage.
Beaucoup de rockers de France savent que Noir Désir est mort bien avant 2010. Pas en 2003, non. L’âme de Noir Désir s’est envolée en 1996, avec le départ de Frédéric Vidalenc, le premier bassiste du groupe.
A partir de l’album 666.667 Club, on avait bien senti qu’un ressort s’était cassé. D’ailleurs, Serge Teyssot-Gay – le guitariste mutin - sortit cette même année 1996 son premier essai solo : Silence Radio, premier signe de distorsion. Les chants en mal d’aurore du combo girondin avaient blanchi au contact de la nouvelle prose javellisante de Cantat. La voix aux effrois munchéens s’était brisée à la sortie de la tournée Tostaky, dans le long, immense et raisonné dérèglement des sens qui cannibalisait le quatuor rock. Il faut avoir vu les concerts de cette tournée, et notamment sur les festivals d’été 1993 (dont Les Eurockéennes constituèrent un climax tsunamique) pour mesurer l’abîme dans lequel se perdit l’insubmersible Noir Désir à partir de 1996.
Il y a d’abord eu cette fameuse opération des cordes vocales de Cantat, en 1994, qui allait obliger le performer à se contenir sur scène pour la première fois depuis les débuts du groupe. Les concerts de la tournée 666.667 Club allaient confirmer qu’un changement s’était opéré. Un petit quelque chose de la magie d’antan s’était volatilisé. Mais quoi ? Sur l’album, il y avait bien des morceaux de bravoure comme « Song for JLP », faisant encore illusion. Mais Noir Désir était devenu un groupe de bourrins comme les autres, bien français.
Jusqu’en 1993, Cantat et sa bande étaient les Doors de l’hexagone, ni plus ni moins. Le chanteur était capable de faire peur à 80000 personnes. Ses ululements possédés, sortis de l’ère glaciaire, remuaient les tripes ferrailleuses de ses acolytes. Ses mouvements bourrus accaparaient l’attention, et, sur « Sober song » ou la reprise titanesque du « I want you » des Beatles, les inflexions vocales procuraient les frissons de l’angoisse. Ils venaient de succéder à Jean-Louis Aubert sur la grande scène, c’était un peu comme un bain de minuit en eau trouble après un bain de pieds en évier écarlate (bruni ?).
Bien sûr, il était impossible de prolonger une telle intensité émotionnelle, humaine et musicale sans séquelles. On sait où tout cela a conduit Syd Barrett.
Mais il n’y avait pas que ce problème de voix. Il y avait cette intransigeance extrême, qui finissait par relever de la parano ou de la bêtise. Avoir du succès et refuser certains plateaux télé au seul prétexte qu’ils ne sont pas dignes, pas fréquentables, est-ce digne ? Est-ce réellement une question d’éthique ? Les Sex Pistols passaient bien dans les émissions de début de soirée, ils n’ont pas fait le cultissime Saturday Night Live uniquement pour des problèmes de passeports. Personne n’est mort d’être passé à la télé, à part Loana et Patrick Sabatier.
Ironie de l’histoire, Noir Désir est aujourd’hui régulièrement évoqué dans les journaux d’information, là où tout a commencé en juillet 2003 (plutôt mal d’ailleurs, puisque Bertrand Cantat avait changé de prénom à Vilnius : les journalistes-prompteurs évoquaient un certain Bernard Cantat). Todo está aquí.
Sur la pique adressée à Jean-Marie Messier en 2002, lors des Victoires de la Musique, selon laquelle J2M et eux n’étaient pas du même monde, précisons qu’ils avaient dit la même chose d’un Jean-Louis Aubert venu leur rendre visite dans les loges aux Eurockéennes. Lui qui rêvait d’un autre monde, il a été servi.
Vraiment, le noir des marécages leur allait mieux, de 1987 à 1993, que le costume de chevalier blanc qu’ils ont endossé à partir de 1996. Des visages des figures a soufflé le mot de la fin, dans la face du destin. Le vent le portera, lui aussi, vers des contrées sombres, noires, sans désir, jusqu’en novembre 2010.
Quelle éloquence et théâtralisme dans cet article, bravo ! Mais alors pour le fond, c’est du grand zéro. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas (trop), vous avez le droit de préférer l’avant 93. Mais arrêtez ce ton lyrique presque régalien vomissant sérieux !
Pour ma part, je rejoins la quasi-totalité des commentaires. Personnellement, alors que j’ai été trop jeune pour suivre l’avant 666, je n’écoute que des titres à partir de Tostaky(albums, face b, lives). La voix de Cantat est pour moi celle qui sans doute (et encore aujourd’hui) me donne le plus de frissons (s’il y a moins de puissance - et encore cf le dernier live-tour juste énorme ce n’est pas si sur - quelle justesse, quelle sens de l’interprétation, quelle tension). Ajouté au musiciens du groupe derrière, ce groupe est juste énorme. Avec le temps, Noir Désir a su grandir et exprimer sa part de tension et de hargne autrement que par la force, à l’image de sa musique qui s’est énormément étoffée.
On perd vraiment un énorme groupe avec Noir Désir…
…Et l’Europe figure pour moi comme l’une de leurs meilleurs musiques !
Il me semble étrange d’être aussi péremptoire dans la lecture de la vie du groupe et dans des jugements sur des morceaux. Le Noir Désir post-93 est précisément celui qui m’a fait vibrer avec ses subtilités, ses variations, ses tubes et ses morceaux plus intimistes. J’aimais la brutalité d’un Johnny Colère, l’odyssée des Ecorchés ou la frénésie des premiers essais comme "Pour la lune", mais comment ne pas apprécier "A ton étoile", "Des armes" ou "l’homme pressé". A partir du moment où un morceau rencontre le succès populaire, j’ai l’impression qu’il semble "infréquentable" à une partie des puristes. Vous ne citez d’ailleurs jamais ces "tubes" dans vos explications.
Pour ce qui est de la retenue de Cantat, certes son style a évolué, mais sur l’album en Public, je n’ai pas le sentiment d’écouter un rocker à l’économie, en particulier sur la version de Comme elle vient que je considère comme mythique.
Cette lecture "après-coup" de Noir Dez est un peu facile, d’autant que je n’ai pas vu cet article à la sortie de Ganants perdant ou le temps des cerises ou quand le groupe s’est relayé en Lituanie pour soutenir son futur ex-leader.
@ La Fée Clochette : Noir Désir avait effectivement relaté en interview ce fait, selon lequel Jean-Louis Aubert était venu dans leur loge après leur prestation, pour les féliciter. Les Noir Désir s’étaient étonnés de cette intrusion, considérant qu’ils n’ont rien en commun avec un type comme Jean-Louis Aubert.
Merci pour votre commentaire.
Sébastien Bataille