Les tribulations du patron d’un resto minable de Hambourg. Primé à Venise, un film généreux, optimiste et burlesque goupillé par le réalisateur allemand Fatih Akin.
Ça vaut quoi, le nouveau Fatih Akin ?
- "99 minutes de bonheur", rien à voir avec les autres films d’Akin. "Head-On" était un truc de poseur punk, avec amours masos, drogues et crises d’hystérie dans des apparts pourris. En même temps qu’une énorme claque, une œuvre humaniste sur l’exil, le pardon et la tolérance. Et "Crossing the Bridge", un formidable doc sur la scène musicale turque. Après ses deux derniers films tournés en Turquie, Akin revient en Allemagne et passe à la comédie. Avec "Soul Kitchen", tu as l’impression de voir "Juno" ou "Little Miss Sunshine".
Fatih Akin aurait réalisé un « feel good movie » ?
C’est exactement ça. Tu vibres pendant toute la projo et tu gardes la banane pendant au moins une semaine.
Et l’histoire ?
Nous sommes à Hambourg. Zimos, un jeune restaurateur d’origine grecque, vit un enfer : sa copine part travailler à Shanghai, son resto, le Soul Kitchen, ne lui apporte que des galères, son mal de dos le tue à petit feu et son frère, à peine sorti de prison, vient l’embrouiller. Un promoteur immobilier cupide, une agent du fisc nympho, une serveuse en quête d’amour, un cuistot irascible vont l’entraîner dans une suite d’aventures plus folles les unes que les autres, au son de Sam Cooke ou Kool & the Gang.
Et ça marche ?
Comme dans un film de Robert Altman, une multitude de personnages se croisent, se heurtent. Mais Fatih Akin emprunte une structure de conte de fées : les miracles arrivent, les histoires d’amour finissent bien, les méchants croupissent en prison. Sur un rythme effréné, Akin ose tout. Les blagues à deux balles (« J’ai baisé le fisc », déclare un perso qui s’envoie en l’air avec l’agent des impôts), les séquences romantiques, les moments de pure comédie comme celui où le héros fait soigner sa hernie discale par le Broyeur d’os ou encore la partouze géante dans le resto ! Mais surtout il y a un truc qui souffle dans son film et que l’on voit rarement sur écran : la vie. Soul Kitchen est un film généreux, en liberté, où l’on boit, où l’on mange, où l’on baise. Fatih Akin n’a que 36 ans, mais il célèbre la vie comme Jean Renoir.
Cool…
"Soul Kitchen" s’apparente à un film de baba sur le communautarisme, le partage. Pas étonnant quand on connaît le bonhomme, un des plus chaleureux qu’il m’ait été donné de rencontrer, tellement loin des stars du showbiz. Et tu sais quoi, en plus d’être un film sur la fraternité, l’amitié, Soul Kitchen est un grand film politique. En effet, la plupart des protagonistes de cette histoire sont des Allemands d’origines diverses et variées : des Turcs, des Grecs, des Chinois… Un beau mélange ! Fatih Akin réalise un véritable tour de force que la plupart des spectateurs ne verront même pas : ses personnages ne sont pas stigmatisés, leur origine n’est jamais un problème, l’intégration est acquise, ce ne sont pas des Turcs, des Allemands, des Grecs ou des Chinois. Simplement des êtres humains. Le voilà, le grand film sur l’identité nationale. Bon dieu, j’aimerais voir un truc pareil un jour en France…