Une gargote parisienne étale les gribouillis de ses célèbres clients dont Carla et Johnny. On en oublierait presque l’insuffisance de la cuisine.
C’est où la place des Ternes ? Eh bien, à l’ENA… Voilà une réponse injurieuse pour l’élite. Alors que, sur cette place, deux choses sont assez rigolotes. La brasserie La Lorraine, carrefour de tous les possibles, où vous pouvez rencontrer une copine au poil ou Monseigneur Gaillot, ce qui n’est pas pareil.
Au coin de la place, dans l’avenue des Ternes, l’autre endroit marrant est un restaurant, "Les Gourmets des Ternes". Jadis le lieu était tenu par Francis Marie, un type formidablement irascible. Qui, devant des tables vides, pouvait lancer « Je suis complet » à cause de votre sale gueule d’arrivant. Mieux, de virer des buveurs de coca déjà installés. Un jour, il a eu du pot. Faisant des achats au BHV, une bombe explose et c’est le corps d’une malheureuse vendeuse qui lui épargne la mort. Sa gargote vendait la meilleure viande de Paris, Les Gourmets étaient le caviar du biftek. C’est fini. Jef, dit Jean-François, le fils du grincheux, ne remplit pas son resto avec des gourmets mais avec des gens à la mode, quelques voyous de la politique, de la finance ou des médias. Jef ne taille plus la bavette, il alourdit le potin mondain.
S’asseoir aux Gourmets, c’est du sport. Souvent il faut patienter dehors avec des créatures ou des gros messieurs. Enfin à table, si l’on respecte la première dame de France, la vertueuse Carla, on ne peut plus manger. Jef n’a rien trouvé de plus malin que, sur le papier de la nappe, de reproduire un mot doux de la volcanique Italienne. Comment, sans risquer l’outrage – délit qui fleurit maintenant à la vitesse du pov’ con –, se nourrir sans le risque de bombarder à la sauce gribiche l’encre de la divine Bibiche ? Imaginez la colère de Chouchou. Déjà qu’il n’aime pas, pour son compte, recevoir le quolibet, que serait-ce pour sa princesse ?
C’est donc pétrifié que j’ai avalé une bonne assiette de cèpes puis des côtes d’agneau honteuses. Avant l’Aïd, les bons moutons restaient- ils aux crochets, avec Villepin, afin de mieux nourrir des métèques plutôt que des Français de souche, à l’identité affirmée ? De moutons, Les Gourmets n’ontils eu que les noirs ?
Je ne veux pas lapider le pêcheur – pour que plus tard, évoquant ces mots, quelqu’un écrive à mon sujet, « alors il charia » –, mais dans la tonne de photos que Jef met en ligne sur le site Internet de son restau – sûrement le plus grotesque de Paris, qui présente Mathieu « Kassovitch » en place de Kassovitz, et autres sottises visibles à marée basse –, il n’y a pas que des colombes. Christian Audigier, Omar Harfouch, Greg Le Millionnaire, Paul-Loup Sulitzer, Johnny Hallyday, Bob Denard, Dominique de Villepin, fiertés du site, ont aussi fréquenté les bancs d’infamie. Heureusement, on y trouve aussi de saints laïcs comme Claude Bébéar, Pierre Sarkozy, Jack Nicholson, Albert de Monaco, Mick Jagger, Bernard Laporte, Jean-Yves Lafesse et Thomas Fabius ou Benoît Hamon, pour continuer de marcher sur le trottoir de gauche. Œcuméniques, Les Gourmets.
Pour rester dans l’observation purement sociologique, rien que pour mesurer le degré d’affection qui existe entre Carla et Jef, une visite aux toilettes est recommandée. Dans le couloir, vous verrez une photo tendre qui ne figure pas dans la galerie mise sur le site. Dans un resto de viande, c’est un secret d’étal.